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samedi 15 février 2025

La folle de Maigret – Maigret – Georges Simenon

 

1970, réédition de 1997

« Une petite vieille toute menue qui portait un chapeau blanc, des gants de fil blanc, une robe gris fer … [ ] … elle ne devait guère peser plus qu’une gamine. Son corps s’était comme épuré avec le temps et elle avait la peau diaphane. »

Léontine Antoine de Caramé, une vieille dame très digne et bien comme il faut, une parmi tant d’autres, petite et fluette, gentille et tendre, polie et respectueuse dans ses rapports avec autrui ; une octogénaire paisible, esseulée, deux fois veuve, fragile et discrète ; un de ses êtres gentiment accroché au bout du bout de la vie qui leur reste et glisse encore gentiment autour d’eux. Sa journée : le matin au marché, un banc du Jardin des Tuileries l’après-midi, la télé le soir, parfois le cinéma, des photographies sépia sur le marbre de la cheminée, des lettres jaunies, la concession à perpétuité de son premier mari qui l’attend quand le moment sera venu ... En attendant, des relations sociales réduites à peau de chagrin. Un bien triste constat au jour le jour… Une histoire simple en somme. C’est si facile d’oublier les vieux …

« Elle avait dépassé le peloton de ceux qu’elle avait connus et qui tous étaient morts avant elle »

Léontine sollicite en vain audience à Maigret au 36 Quai des Orfèvres. « Une question de vie ou de mort » prétend-t ’elle.  Elle se plaint, par défaut, à un subordonné du commissaire qui recueille sa déposition. Elle se sent menacée et demande de l’aide. A son domicile, où elle vit seule, lors de ses rares absences, des objets se déplacent légèrement ; on la suit dans la rue, elle le sent, même si, se retournant brusquement, elle ne perçoit personne de suspect derrière elle.

« Une folle, c’est une folle.. ! » tranche le commissaire qui ne donne pas suite. Les jours passent, la vieille dame est assassinée chez elle. Maigret culpabilise et se met en chasse, il a à se faire pardonner.

Les personnages : la nièce de Léontine, la cinquantaine sur la mauvaise pente, hommasse et laide, portée sur la chose. Son amant, gigolo sans remords et ex-proxénète. Son petit-neveu, musicien « pop » au chiches engagements scéniques (nous sommes en 1972 et Simenon laisse entrevoir sa curieuse vision du rock). Un trio pour un, ou plusieurs coupables ... à moins que ! Maigret et ses inspecteurs à la pêche d’intuitions plus que d’indices sur le fil d’une enquête atypique. Les proprios et locataires de l’immeuble dans laquelle Léontine habitait en toute discrétion, comme un fantôme en ces murs oublieux de sa présence. Toulon et sa pègre. Paris en mai durant 8 jours de beau soleil ; la ville d’alors, à l’aube des années 70.

Tout du long des 75 épisodes que compte la série, les « Maigret », en tant qu’entités physiques séparées, n’ont jamais été bien dodus (invariablement moins de 200 pages en version poche). La qualité de chacun d’eux n’a jamais attendu la quantité de mots. Était-ce une volonté de l’éditeur ou de l’auteur d’ainsi passer vite au suivant ? « La folle de Maigret » n’échappe pas à la règle et se simplifie même encore plus la tâche. Le texte fait la part belle aux dialogues (rapides mais habilement agencés) et renvoie facilement à la ligne, le roman se lit vite, l’intrigue n’est pas compliquée et l’épilogue se lasse facilement deviner. L’achevé d’écrire précise : « 7 mai 1970 », à trois « Maigret » de la fin de la série en 1972. Doit-on y avoir Simenon qui, dans sa hâte d’en finir avec l’écriture romanesque, réduit la voilure des mots. Et pourtant, l’auteur ne bâcle pas, installe une intrigue soigneusement agencée, une galerie de personnages fouillés, les uns attachants, les autres repoussants, tous inoubliables.

Une des versions TV (1975, avec Jean Richard et Hélène Dieudonné dans le rôle de Léontine) installe un épilogue absent du roman ; Léontine défunte, en fantôme éthéré près d’un bassin de jardin public, se retourne sur Maigret et le gratifie d’un sourire éblouissant qui pardonne tout.

Léontine est de ces portraits en prose qui se tatouent sur nos cœurs de lecteurs quand ils se font les échos de réalités sociales non encore résolues. « La folle de Maigret » fait oublier son statut de roman noir et entre en littérature blanche ; c’est le grand prestige de Simenon.

Merci Monsieur.


 

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