6/ Journal d’un monstre – Richard Matheson (« Histoires de mutants ») :
« Journal d’un monstre » oscille entre Fantastique et Science-Fiction. C’est classique chez Matheson ; la frontière entre les 2 genres s’y montre poreuse et élastique. La nouvelle date de 1950, sa VF de 1955 ; elle est due à Alain Dorémieux (et ce n’est pas rien.. !) qui a dû avoir du mal à trouver les bons mots aux bons moments. L’essentiel est d’y avoir réussi. Sa traduction participe au plaisir de lire ce bijou qui de peu de mots, à mon sens, a fait un chef-d’œuvre.
« Journal d’un monstre » : c’est une brève et célèbre nouvelle aussi connue comme « Né de l’homme et de la femme » en copié/traduit/collé de son titre US original (1950). Ce fut le premier texte de nouvelliste SF signé Richard Matheson. L’écrivain y fit, à cette occasion, d’un coup de dés un coup de gloire justifié et mérité. Suivirent dans la foulée, d’une part des nouvelles et des romans SF, Fantastiques et policiers (souvent entremêlés); et d’autre part des scénarios de cinéma.
Matheson, à son nom, possède rang thématique au sein du Livre d’Or de la Science-Fiction chez Presses Pocket, ce qui n’est pas rien, même s’il est moins connu que d’autres pointures du genre. J’aime bien le personnage, sa polyvalence, son côté touche-à-tout, son air de ne pas être mais d’être quand même ; il m’a valu de merveilleux frissons, des mises en abime du feu de Dieu ; son polymorphisme de prose est surprenant et attachant ; quel grand écart stylistique entre la présente nouvelle et le classicisme de « Le jeune homme, la mort et le temps »… !
« Journal d’un monstre » : six pages seulement, mais multi publiées ; Noosfere recense une trentaine d’occurrences françaises pour la plupart prestigieuses : « Fiction », « Autres Temps autres Mondes », « J’ai Lu », « Presses Pocket SF », « Marabout SF », « Livre de Poche » … etc.
« Journal d’un monstre » : plus un travail sur la forme que sur le fond.
La forme : une expérimentation stylistique où se multiplient l’absence relative de ponctuation, les tournures de langage hors-règles, chaotiques et étonnantes ; les phrases délibérément bancales et mal foutues, les métaphores enfantines ; une musique des mots sur la partition des phrases. Tout laisse le lecteur en suspens, en attente instable. L’effet est détonnant.
Le fond : qui est cet enfant/ce monstre de 8 ans, cet être « Né de l’homme et de la femme » enfermé/enchainé/attaché dans une cave, cette chose battue par père et mère ? Son sang est vert, il possède des facilités corporelles acrobatiques. Qui est t’il ? « Journal d’un monstre », en ce sens, a été commenté, disséqué, questionné sans rendre de réponse unanime. Mutant post-apo et par là-même héros de pure SF ? Monstre gothique classique caché à ses contemporains ? Enfant-humain déclassifié, rejeté sur le thème de la différence ? … etc.
Matheson semble avoir osé le coup de poker d’écriture qui le fit remarquer. Au final, « Journal d’un monstre » n’est-t’elle pas née sur un coup du hasard ?
"Journal d'un monstre" vaut le détour. Tout peut prêter à discussions interminables : son fond, sa forme. Chaque coin de phrase, chaque bout de mot, recèlent un truc d'auteur peut-être déjà au sommet de son génie. Le texte est si court, si rapidement lu, si brillamment construit que j'avoue y revenir très souvent et y trouver encore et encore des recoins obscurs..!
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