La convergence des parallèles: Pierre Joubert

Plein Vent ed. (2024)

A gauche, "Un parfum d'Ylang-Ylang" (Bob Morane) et, à droite: "Mystère au Kremlin" (Kim Carnot)

« Aussi modeste que talentueux, en 75 années de travail ininterrompu, Pierre Joubert a accompli une œuvre immense : 15 000 illustrations réparties dans 1000 romans et albums illustrés, 600 revues, 300 magazines et de nombreuses publications diverses. » in https://www.illustrateur-pierre-joubert.fr/

Un régal pour les yeux ..!

Curieusement, l’intérêt pour ce magnifique et copieux art-book m’est venu comme d’un coup de billard initié par la bande. Il aura fallu, pour me pencher sur « Pierre Joubert, Rétrospective 1960-2000 », un concours de circonstances à la croisée des parallèles. Mon intérêt pour l’illustrateur français se portait, jusqu’alors, non pas tant sur ce pour quoi il est désormais principalement reconnu (le scoutisme en images), que vers son activité d’illustrateur de romans d’aventures et historiques au bénéfice, entre autres, de Marabout Junior et de Pocket Marabout (plus de 200 unes de couv quand même). J’ai découvert qu’il possédait bien d’autres cordes à son arc.

Il y a peu, il m’a pris fantaisie, nostalgie aidant, de monter au grenier à la recherche de quelques romans poussiéreux. Je ciblais deux collections belges, Marabout Junior (1953-1967) et Pocket Marabout (1967-1977) des éditions Gérard & Cie. J’en fus friand toute mon adolescence durant. Leurs lignes éditoriales (guère divergentes, dans la prolongation logique l’une de l’autre) flirtaient, au bénéfice d’un jeune lectorat, au plus près raisonnable des collections adultes d’espionnage, d’aventures, de SF, policières, historiques ou de Western. Leurs héros récurrents furent Bob Morane, Dylan Stark, Nick Jordan, Kim Carnot, Gil Terrail, Jo Gaillard … Ils allaient, couplés au Fleuve Noir Anticipation, m’ouvrir les chemins des « Mauvais genres » et notamment de la SF et du Fantastique.

Le fait est qu’au pied de l’escalier menant au grenier, je redécouvris, ce faisant, et tant d’années plus tard, des illustrations signées Pierre Joubert. Dans le même temps, paraissait, initialement en crowfunding, « Retrospective 1960-2000 ». J’allais y retrouver la même patte graphique implacable et inspirée, à peine datée, en phase avec les contenus romanesques ; un style brillant et spectaculaire en accord avec une époque où les illustrations avaient autant d’importance que la prose. Joubert : un nom retrouvé pleine page de couverture d’un art-book qui allait me réserver, en outre, bien d’autres surprises que je ne n’imaginais pas, en particulier son allant porté vers l’univers scout et les valeurs traditionnelles du mouvement.

J’eus, ainsi, ces jours-ci, des envies d’Ylang-Ylang, d’Ombre jaune, de Morne-Noir… « Pierre Joubert – Retrospective 1960-2000 » est venu à point. J’y ai retrouvé, dans la foulée enthousiaste, une couvrante pour « Metal Hurlant », Tarzan de Burroughs dans la mythique collection d’héroïc-fantasy « Temps Futurs ».

« Rétrospective 1960-2000 » nous offre une double plongée dans le temps.

Celle chronologique, tout d’abord, sur le long et prolifique fil d’Ariane de la carrière d’un illustrateur qui, semble t’il, ne vivait que par et pour le dessin, Cela se sent dans la moindre de ses réalisations, du message publicitaire stylisé à la fresque historique en pleine double-page. Une vie au service d’une passion et d’un art. J’aime ce genre d’homme allant jusqu’au bout de leur raison de vivre.

Celle, ensuite, de l’Histoire humaine tout court ; de la Préhistoire au futur spatial en passant par le Moyen-âge, les guerres en dentelles, la piraterie de « l’ile au trésor », les élégants voiliers au long- cours, les 3 mats de la flotte royale … etc.

Explorations géographiques tout autant : haut-sommets enneigés et pics escarpés promis à l’alpinisme, déserts arides saupoudrés d’or, jungles épaisses telle celle du « Livre de la jungle » ; pôles fouettés de froid et de blancs aveuglants…etc.

Joubert s’est offert le monde et ses hommes : tribus africaines ou mongoles ; Aztèques et Incas, Celtes et Esquimaux ; Grandes Plaines US et KKK; cowboys au galop; abysses océaniques enténébrés et bathyscaphes à l’œil lumineux de cyclope, soldats napoléoniens fièrement à la parade ou courageusement au combat ; chevaliers en armure, aux Croisades ou au pied de châteaux-forts assiégés.

Il ne manque qu’une seule chose à cet énorme hommage graphique. Lefrancq réédita en omnibus certaines aventures de Bob Morane, y insérant des portfolios en hommage au héros et à Pierre Joubert. Côte à côte, on trouve des couvrantes de la même aventure, l’illustration de première parution retouchée dans la réédition pour rester en accord avec l’époque et l’air du temps ; de la chemise élégante des sixties à celle écossaise plus roots, des cheveux « à la brosse » des 50’s et 60’s à ceux mi-longs des années pop. Un détail, me direz-vous, si ce n’est que s’y dessine l’immortalité réservée, d'une génération de lecteurs à l'autre, au héros et à son papa-dessin.

Allez, j’y retourne, de pages en pages à nouveau tournées. Retrouver, jusqu’à plus soif, mon âme d’enfant. Quoi de mieux ? Venez m’y rejoindre. Vous n’en croirez pas vos yeux.