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mardi 19 mars 2024

Fred Chapellier – Climax Club Legend (16 mars 2024)

 

Ce soir, au Climax Club Legend, c’est « sold out », comme souvent. C’est une salle de concerts altiligérienne réputée, dédiée au blues-rock et consorts.  Une acoustique sublime, une convivialité constante, une programmation confiée au bouche à oreille, un public fidèle, invariablement enthousiaste.  

A l’affiche : Fred Chapellier Quintet (et Color Kode en première partie).

Loin du simple hors-d’œuvre, du rôle de faire-valoir, cherchant à arracher le morceau quoi qu’il en coûte, Color Kode dynamite d’un gros funk-rock tonitruant (Mother’s Finest sort de ces corps) une assistance bientôt sur le c**. Viva Marina, Doudou, Pascal Garcia et Arnaud Liatard. Mention spéciale pour le furibard « Nutbush city limits » de Tina Turner, ici en version TNT qui arrache tout du sol au plafond. Des premières parties, au fil du temps écoulé, j’en ai vu : la plupart s’effacent de la mémoire, Color Kode, lui, restera (C’est du tout bon, çà pète tous azimuts du feu de Dieu). Envie de les revoir pour un show complet.

Une première date de tournée 2024 pour Fred Chapelier (lead guitar & lead vocals) venu en quintet (deux guitares rythmiques, 1 basse et une batterie) augmenté en rappels d’une 4ème six-cordiste en guest-star. La scène est minuscule, resserrée, elle ne se prête guère à l’Octet (3 cuivres surajoutés) habituel du Band. Le public est proche, tout proche … Tout est dans l’air, comme en attente d’explosion ; bienvenue aux good vibrations à venir, on les sent s’approcher, monter, mûrir, éclater, embraser … elles seront au rendez-vous et galoperont sur les épidermes. Un des plus beaux concerts de ma vie. Si si.. ! Faut dire que le blues et moi, c’est maintenant une longue et belle histoire.

Fred Chapellier ne fait pas mystère des influences qui le guident sur scène ou en studio. On les sentira, tout le long d’un show brûlant et éthéré, flotter dans les vibrations de l’air, à l’écoute de ce qui sort de sa guitare.

 Chapellier est tombé minot dans le chaudron où mijotent de gros morceaux de blues blanc:

_ à la manière de, bille en tête, Peter Green, le mythique lead guitariste britannique de la première mouture du Fleetwood Mac d’antan. Bien avant que, sans lui mais sous le même nom de groupe, le si différent rock carrossé FM de Stevie Nickx et de Christine McVie n’emporte tout dans les charts internationaux (à se demander pourquoi le groupe n’a pas changé de nom pour lever toute équivoque). Peter Green apporta un son clair, clean, précis, brillant et étincelant offert aux étoiles … qui s’en souviennent encore. Green a laissé traces vinyliques d’un univers sonore magique, profondément blues, éthéré, presque serein, si ce n’est que le bonhomme, étonnamment, ne l’était, hélas, guère. Chapelier lui rend hommage depuis toujours, de disque en disque, de scène en scène, d’un bout de sa carrière à l’autre, fait revivre du bout de ses doigts ce magicien culte de la six-cordes sur le fil de reprises ou de compos perso. L’illusion que Green lui-même soit au Climax s’impose, quel bel hommage rendu au défunt.. !

_Chapellier c’est aussi, Roy Buchanan (un sorcier-guitare du blues blanc US, un E.T. étoile filante capable, entres autres, de dénouer maints défis guitaristiques comme celui de faire miauler ses cordes). Abonné à la Fender Telecaster, il en tire en fin technicien un son précis et net. Chapellier s’en inspire.

_via Albert « L’un des trois » King, reconnaissable entre mille de par sa puissante force d’expression tant au chant qu’à la six-cordes.

Vrai, les trois se ressemblent et à leur convergence de jeux se trouve Fred Chapellier…

Chapellier, en main droite, nous offre une gestuelle magique d’illusionniste ; il joue, dans le même morceau, simultanément ou alternativement du pouce, des doigts, du médiator (qui s’efface Dieu sait où et revient on ne sait comment). Les doigts claquent sur les cordes. Peu d’effets au pied, le rack est minimaliste ; tout se fait aux micros manche et chevalet sans cesse sollicités, au petit doigt tendu en crochet qui tourne autour du bouton de volume. Des titres explosifs, plein de fougue où paradoxalement sur le fil d’un jeu de guitare délicatement dirty rien ne se perd, tout se transforme sans cesse de notes tenues en bends saignants. Une voix rauque et attachante. Tout pour plaire.

Chapellier n’est pas que blues, ses compos brassent d’autres genres, simultanément ou séparément : le rock, la soul et le funk. A la convergence des parallèles nait une pâte sonore enthousiasmante, honnête, sincère et vraie, communicative qui enchante et plait, à laquelle on ne peut qu’adhérer, écouter, danser et savourer. Cette multiplicité fait la singularité et de l’homme et du musicien, de son jeu à la guitare et de son univers bordé par l’hommage et le respect offert à 3 icones du genre.

Le guitariste, chaud comme la braise, avait envie de jouer, le public de l’écouter, de s’échauffer et d’en redemander. On l’a senti, peu à peu, parti pour déborder, offrir plus que prévu, s’amuser … jusqu’à ce final où, en guest-star, Joe Barret rejoint le groupe en tant que lead guitariste-chanteur. Désormais, comme pour nous achever, quatre guitares en cavalcades, en duels croisés, en doux parfums sudistes de soli entrecroisés d’une guitare à l’autre. Magnifique.

Et la dernière note de tomber… Se dire qu’on a passé du vraiment bon temps … que même, peut-être, ces mecs, mine de rien, m’ont simplement offert l’un des plus beaux concerts de ma vie. Pas d’esbrouffe, la musique et rien d’autre que la simplicité, l’honnêteté, l’envie de donner … tout est dit.

Merci Monsieur.. !

… et longue vie au Climax Club Legend.

Merci à Jean-Paul pour l'authorisation
 

lundi 4 mars 2024

Ours – Laurent Cappe

 

Ed. Vendeurs de mots (2023)

La une de couverture nous parle d’un ours et nous montre deux tourterelles. Etonnante cohabitation de symboles apparemment divergents, entre pesanteur et légèreté … et pourtant, quoi de plus logique quand deux opposés, Ours et Birdie, s’attirent.

Laurent Cappe, à la convergence des parallèles, nous propose un roman attachant, simplement humain, empreint de réalisme et de poésie onirique. C’est une réflexion pertinente sur ce qui fait de la Vie un drame et un bonheur. Le lecteur suit, en itinéraires croisés, quelques destins emmêlés ... non loin des vertigineuses falaises crayeuses du cap Blanc-Nez (Côte d’Opale, département du Pas-de-Calais), sous le regard des mouettes et des goélands filant vers l’Angleterre, apparemment indifférents aux destins des hommes …

… encore que !

Où classer le récit, dans quelle case, dans quelle prison ? Littérature générale, roman de terroir, d’Amour, Fantastique, de mystère et de suspens, « conte à rebours » (jeu de mots) quand la numérotation des chapitres s’inverse tout le long du décompte d’une longue nuit d’attente qui ne livrera sa clef qu’au petit jour d’une aube nouvelle … ? Quelle importance les étiquettes, quand de fond, « Ours » est un roman d’interrogations sur l’essentiel : la vie, la mort ... et où chacun y trouvera des échos à sa propre existence, liés à ce qu’il est et montre, à ce que les autres sont pour lui et inversement …

A ce jour, trois romans sont sortis sous la plume de Laurent Cappe. A chaque parution un mot solitaire en usage de titre, une constante, un rite, une marque de fabrique, un porte-bonheur ?  Il y eut « Bleu » en 2020, « May » en 2021 (Prix de littérature du Lions Club pour la région Nord et prix spécial du jury du salon de Bapaume). L’auteur, fin 2023, nous revient avec « Ours » aux « Ed. Vendeurs de mots ». Sur le fil de ses deux premiers romans, Laurent Cappe m’avait scotché et essoré le cœur d’un trop-plein d’humanisme, sur le fil agréable et aisé d’une prose élégante, délicate et sensible qui s’en va crocheter, enfoui et retenu, le meilleur de nous-mêmes … à savoir les larmes et l’empathie. « Ours » n’échappe pas à la règle. Retour, via une fiche de lecture, sur un ressenti chahuté par la gravité des thèmes abordés ; par la manière pertinente, naturelle et sensible de présenter et de disséquer des personnages attachants et vrais ; par ce lot d’épreuves douloureuses que sont certaines « choses de la vie » mais aussi ces moments de bonheur que l’existence nous offre par de si chiches touches hésitantes.

Virgile, dit l’« Ours » : sa carrure imposante et pataude, son caractère bourru. Un homme tendre à cœur, au final une bonne pâte. Un octogénaire reclus qui, un lourd secret le verrouillant, âge et alcool en cachette aidant, dérive désormais d’absences en absences, de trous de mémoire en brèves étincelles de souvenirs, passé et présent mêlés. Ours, un naufragé laissé pantois et angoissé entre zones d’ombre et flashbacks épuisants, au cœur d’une alternance éprouvante de présences ébahies et de non-être où il s’englue. A ne pas comprendre ce qu’il fait là, pris de vertiges, au bord du précipice d’une falaise crayeuse ; sur un chemin de campagne qu’il a, jadis, emprunté si souvent ; dans une auberge où il a mangé tant et de fois. Qui est Adam, cet énigmatique jeune homme qui l’accompagne, qui lui ressemble tant, 60 ans plus tôt… et à qui il raconte tout, son passé, ses bonheurs, à qui il parle de « Birdie » ?

 « Birdie », le contraire d’Ours: petite, frêle, bavarde, ouverte aux autres, son épouse défunte … Ours, un veuf à la dérive, une vie désormais fracassée dont chaque fragment n’est plus que remontée d’un passé heureux. Entre eux, le grand Amour, celui sur le long cours, depuis le premier regard. Dans l’ordre des choses, l’un part, l’autre reste et vit reclus, dans le souvenir éteint d’une flamme qu’Ours a peut-être lui-même soufflée .. va savoir quand tout se complique et reste tu. Une histoire comme une autre, un peu hors normes mais plausible, un brin fleur bleue mais on s’en cogne quand le cœur du lecteur fait boum-boum et que les larmes ...

« Ours » et « Birdie » : un de ces couples autour d’un manque, celui d’un enfant qui n’est jamais venu ; deux vies qui se cherchent un avenir au-delà de la mort. Elle, sculpteur de renom ; lui auteur de Fantasy. De l’argent plus que nécessaire, une belle demeure dans le Nord Pas-de-Calais … des voisins à qui s’attacher, un couple, deux petites filles, une manière de compenser, d’entrevoir l’avenir .

Cappe gratte du côté de l’Amour qu’emporte la mort de l’un, de l’euthanasie, de la fin de vie, des transmissions trans générationnelles des savoirs, des passions et des acquis. Thèmes éternels que ceux-ci …

« Bleu », « May » et « Ours », trois flèches décochées cœur de cible ; un auteur, Laurent Cappe, qui n’est plus une révélation mais une constante de qualité. Lisez-le, écoutez-le, il a tant de choses à dire. On en sort le cœur gros mais rempli de bonheur.

mercredi 28 février 2024

Auto-Uchronia (Fugue en ZUT mineur) – Francis Berthelot

 

Dystopia Ed. (2023)

 

 

Francis Berthelot (né en 1946), en sus d’une brillante carrière scientifique, s’inscrit dans le paysage SFFF hexagonal à titre de romancier, d’essayiste ... etc. L’implication de l’auteur dans la vie du genre lui confère en outre une place à part. Il semble reconnu par le milieu littéraire professionnel qui est le sien et le lectorat qui le suit entre SFFF et « transfictions ». Il est l’auteur de « Bibliothèque de l’Entre-Mondes », un essai recensant et disséquant quelques-unes de ces dernières ; sous ce nom se trouve une frange d’œuvres romanesques oscillant entre SF et Littérature Générale.

Je ne connais que peu (voire pas) l’œuvre de Francis Berthelot malgré mon goût marqué pour le genre dans lequel elle s’inscrit majoritairement, la Science-Fiction. L’écho positif que nombre de forums et blogs spécialisés renvoient d’elle et de lui m’intrigue. J’en suis curieux et cherche à m’en faire une opinion. Il me fallait y venir pour enrichir ma culture SF.

Fin 2023, Berthelot a 75 ans. « Auto-Uchronia » sort chez « Dystopia Ed.». L’ouvrage permet à Berthelot de revenir dans l’actualité des parutions récentes après quelques années de silence. Son titre a de quoi étonner. Comment le décrypter ? Tout s’explique par l’association de deux termes, l’un renvoyant à la littérature blanche (une autobiographie) et le second à la SF (une uchronie). Tout s’explique à la convergence des parallèles entre deux genres. Tentant postulat de départ pour le moins transfictif .. ! L’antagonisme apparent des termes éveille la curiosité, appelle la lecture.

Le versant autobiographique ouvre le bal. Il couvre les 20 premières années d’une vie (1946-1965). L’exercice est classique. Une petite enfance modèle ; un cercle familial qui impose un formatage social ; un milieu scolaire et universitaire élitiste à marche forcée ; un carcan sentimental bienveillant mais rigide ; une homosexualité qui n’avance que masquée…

A mi-volume, l’auteur change de cap brutalement, ouvre le chemin à l’uchronie. Berthelot l’applique à sa propre personne. Nous voici, le temps du printemps, de l’été et de l’automne 1965 en pays de fiction. L’auteur fantasme, dissèque un passé hypothétique qui n’est pas le sien. Le « Et si.. ! » s’impose, brouille les pistes et courre jusqu’à l’épilogue.

Le point de divergence : Francis a 19 ans, est mineur au regard des lois de l’époque ; un inconnu, rencontré dans la rue, lui propose de fuguer durablement. L’envie est là. Francis ne donne pas suite dans la vraie vie mais accepte dans la virtualité uchronique. Ses intentions : fuir alors qu’on le prive de sa vraie ambition, écrire, devenir romancier. Plutôt affronter une société particulièrement homophobe au mitan des 60’s ou du moins vivre sa différence sans trop se cacher.

Le « que ce serait-t-il passé si .. ? » est habilement conduit, le postulat de départ est original. Le pari était difficile à tenir. La réussite est au bout. Cette double-vie est tour à tour prenante et attachante, éclairante. N'empêche, le lecteur a, par instants, l’intuition de trouver dans la partie uchronique de gros bouts de réalité, ceux-ci semblent avancer masqués, négociés à l’ombre de la fiction.

« Auto-uchronia » est le double regard d’un homme sur son passé : une vision en différé née de la réalité, une autre décalée issue de la virtualité de son imagination ; à l’égal de ces rétroviseurs en deux parties qui détectent en périphérie ce qui se niche dans les angles ; on n’est pas loin des « univers parallèles ».

Berthelot possède une belle plume, vive, facile, franche, directe et précise. Il conduit un propos critique, malgré tout apaisé et sans trop d’amertume, en écho à la virulence homophobe d’une époque somme toute récente qui, violente ou hypocrite, aurait pu le détruire. 

« Auto-Uchronia », ouvrage de « Non-Fictions » (dixit la 1 de couv) ou roman pleinement SF ? Quelle importance ? Seule certitude : ce n’est qu’un premier pas, un marchepied, une passerelle vers le gros d’une œuvre romanesque qui, elle, est SF. Il me faudra aller, en ce sens et pour l’essentiel, vers la réédition en 3 intégrales des 9 tomes de son cycle SF majeur : « Le rêve du démiurge ».

Merci Babelio, Masse Critique, l'auteur, l'éditeur..!



 

 

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