Réédition Hachette Collections Inc. (2013)
D’avril à octobre 1964, « Tonnerre à l’Ouest », le second épisode de la saga BD « Lieutenant Mike S. Blueberry », est prépublié dans l’hebdomadaire Pilote (n° 236 à 258). Sa sortie en album cartonné se fera en 1966 chez Dargaud Ed.. L’évènement est anecdotique, certes, au regard des années écoulées, si ce n’est que le mythe « Blueberry » est désormais en marche et que, s’il n’en est encore qu’à ses prémisses, des signes de son succès pointent et se confirmeront.
« Tonnerre à l’Ouest », est la suite directe de « Fort Navajo » ; c’est aussi le second tome du sous-cycle des « Premières guerres indiennes » (5 albums). Les mêmes ingrédients, thématiques et personnages sont au menu : désert, mesas et forts esseulés, soleil ardant, apaches et visages-pales les uns face aux autres. La base scénaristique prend racine dans l’histoire authentique du major Bascom qui, par lâche opportunisme de carrière et haine raciale, déclencha une guerre injustifiée avec les apaches sur la base de mensonges (qui arrangent) et de promesses non tenues faites aux Peaux-rouges. Bascom semble préfigurer le Général Tête-Jaune qui, puissance mille, viendra bientôt plonger la série dans la barbarie militaire légale. Apparait, itou, en symétrie inversée de Bascom, un autre personnage de poids dans l’épisode : le sergent Crowe, métis d’indien, qui va trahir et déserter les Tuniques-Bleues pour tenter, en compagnie de Blueberry, de prouver l’innocence des apaches de Cochise accusés, entre autres, de rapt d’enfant et de massacres. Crowe semble parfois voler la vedette au héros principal, au point même qu’au cœur de scènes communes on aura de la peine à les différencier graphiquement.
L’album possède une particularité étonnante. Giraud, le dessinateur, se devait de livrer, chaque semaine et dans les temps, sa quote-part graphique (2 pages) à Pilote pour assurer la continuité de prépublication au sein du magazine et ne pas perdre de lecteurs déboussolés par son absence inattendue. Il n’a pas rempli le contrat pour les pages 28 à 36 incluses (soit pendant 5 semaines) et ce, pour raison de vacances au Mexique (???). Charlier, dans l’urgence, fit appel à Jije (créateur de Jerry Spring) dont Giraud s’était largement et ouvertement inspiré pour le premier tome (la une de couv de « Fort Navajo » est signée, autre bizarrerie, du paraphe de Jije). Franchement, si je n’avais pas été prévenu, je serais passé à côté de ce remplacement haut-le-pied ; la ligne de démarcation graphique entre les deux styles est ténue, m’a été imperceptible et correspond au parti-pris de Giraud d’imiter un style qu’il vénérait. De plus, la mise en couleurs, identique d’une patte à l’autre, n’aide pas à la différenciation, le flot d’images parait continu et sans accroc. Il y faut sans doute un regard de spécialiste averti, que je ne suis pas.
Quel beau cinéma, sous nos yeux ébahis, que ces 48 pages qui semblent défiler en 25 images/seconde ..! Chaque vignette s’articule parfaitement avec celles adjacentes dans la logique du cinémascope des salles obscures (larges panoramiques, plans américains, plongées et contreplongées, gros plans ...). Le désert, en background principal, s’y prête parfaitement ; l’album lui est tout entier consacré à l’exception de la mise à sac de la ville de Tucson. L’allant scénaristique est à l’énergie dédiée, aux péripéties bousculées et haletantes, aux mises en abime en fin de chaque double-page. La série prend ses marques, frappe fort, l’avenir est devant elle et les promesses d’un grand œuvre mythique seront bientôt dépassées d’une publication ultérieure à l’autre.
Giraud atteint la plénitude graphique empruntée à Jije qu’il donnera à la première partie de la série ; certaines tournures laissent, déjà et peu à peu, subrepticement, apparaitre le Moebius qu’il va devenir. Charlier insère un scénario en béton emprunté au classicisme du western entre logique militaire tissée d’honneur et d’obéissance et raison humaniste qui oblige Blueberry à chercher à innocenter des apaches non-coupables.
Suite au prochain épisode.