« Densité Ed. », Collection « Discogonie », (2021)
En 2021, la collection « Discogonie » des éditions « Densité » a (déjà) publié une quinzaine de monographies qui, toutes, tournent autour d’un artiste ou d’un groupe rock (Radiohead, Neil Young, The Cure, Nirvana, Nico, Nirvana, Hendrix, The Stranglers, Robert Wyatt …). Plus précisément, pour chacun d’entre eux, est ciblé un album spécifique qu’il s’agit de disséquer d’une chanson à l’autre (respectivement « OK Computer », « Harvest », « Pornography », « In Utero », « The End », « Are you experienced », « Black and White », « Rock Bottom » …).
Sur le rabat de la 4ème de couverture se trouve l’explication du nom de la collection. Elle se situe à mi-chemin entre « discographie » et « cosmogonie » : « Il s’agit de considérer qu’un vinyle, ce trou noir qui opère trente-trois révolutions par minute sur nos platines, est le récit sonore du commencement d’un monde propre au groupe de musiciens qui l’a enregistré, dont le big-bang serait l’impact du tout premier son, et dont les sept jours de la Création seraient ramassés sur quarante-cinq minutes environ. ». Belles métaphores que celles-ci. Cà promet ...!
En compagnie de Philippe Gonin, l’auteur, enseignant chercheur, voici venir, au sein de « Discogonie », le temps de la genèse, de la dissection de forme et de fond d’« Histoire de Melody Nelson » de Serge Gainsbourg. Le tout au cœur du contexte de l’époque et de l’explication de sa postérité tardive au rang d’album-culte.
En 1971, lorsque l’opus sort dans les bacs des disquaires, Serge Gainsbourg s’y montre, à la convergence des parallèles, en complicité avec le rock, la poésie et la « tentation » symphonique d’un orchestre à cordes (entre autres.. !). Les lignes maitresses de l’album, ainsi définies, semblent fondre sur un point focal commun, un optimum recherché.
Deux ans plus tôt, à la croisée des parallèles tout autant, Gainsbourg qui se cherche un nom au-delà de ce qu’il écrit pour les autres, rencontre Jane Birkin, son égérie en devenir, puis Jean-Claude Vannier, un électron libre de l’arrangement musical. Les trois font « la paire » autour d’un concept-album à paraitre sur le modèle anglo-saxon (The Who, Pretty Things) inusité jusqu’alors en France. Sans succès immédiat (10000 albums vendus seulement dans un premier temps), l’album, devenu disque d’Or, s’arrache bien des années plus tard.
Sur les fils magnétiques du 8-pistes (une technologie pour l’heure récente): Gainsbourg murmure, mixé aux avant-postes, en talk-over susurré, distancié et purement descriptif, voire parfois a-sensible ; la masse des cordes (et des chœurs) se place à l’arrière-plan ; la rythmique rock (guitare/basse/batterie) s’incruste en retrait. Le tout se montre atypisme novateur assumé où la basse, bavarde, dialogue plus que la guitare, cause et raconte ; le tout offrira à Gainsbourg une manière de se faire entendre qui ne parlera qu’à sa postérité, loin de l’indifférence du flop de sa sortie.
La monographie dissèque, au détail près, sur le fil des sept chansons embarquées, les mécaniques sonore et poétique à l’œuvre, celles délibérément revendiquées par Gainsbourg, ses intentions première et finale et les moyens mis en œuvre.
Etonnant destin que celui offert à cet opus atypique de la discographie signée Gainsbourg. L’album n’a pas trouvé à sa sortie le succès qu’il méritait, n’entérinant sa pleine notoriété que de nombreuses années plus tard via un ressenti différent, hors du contexte hexagonal d’alors, mais à cœur dans la temporalité anglosaxone. J’ai eu la chance de l’écouter à parution via un prêt en médiathèque ; via l’utilisation psyché d’une rythmique rock il avait un parfum d’outre-manche affirmé qui n’avait rien pour me déplaire.
Prolongeant l’écoute (il existe une version 2CDs originale doublée d’outtakes et d’un inédit «Melody lit Babar»), l’essai de P. Gonin dissèque, pas à pas, les détails de fabrication de ce qui est de nos jours entrevu comme un chef-d’œuvre, en explique les intentions premières et le lent murissement des idées vers la formule finale, en décrit les moyens, explore les souvenirs des hommes à l’œuvre (même si, par exemple on ne se souvient que vaguement de qui tenait la seconde guitare, si même il y en eut bien deux). L’érudition embarquée se met à la portée du profane. L’auteur effleure, sur le plan moral, une autre époque où, sans nostalgie, certaines choses étaient appréhendées différemment. On y parle vie des mots, ceux magiques de Gainsbourg en équilibre sur la partition, de la manière qu’il eut de les agencer, de les optimiser pour que leur arrangement percute à cœur les auditeurs déjà surpris par la forme du son.
Tout commence par un bouchon de radiateur sur le capot d’une Rolls Royce. « Une Rolls, puisque Perrault avait imaginé un carrosse et une citrouille ». Se continue par des « nègres portant des flambeaux », des chatouillis sur canapé ; se poursuit par l’évocation d’une pub Martini et se termine par celles de tribus papoues vouées au culte de l’avion-cargo. L’histoire est connue, moins celle de la création de l’album ; Philippe Gonin est là pour nous en parler … et il le fait bien.
Merci à Babelio, Masse Critique, l’auteur et l’éditeur.
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