Christa Päffgen, dite Nico,
est née à Cologne en 1938. Elle a quatre ans en 1942 quand les bombes
alliées tombent sur Berlin où elle trouve refuge chez ses grands-parents
maternels. Elle en a 15 quand s'offre à elle une éphémère carrière de
mannequin, puis d'actrice avec un petit rôle dans "La Dolce Vita". En
1967, à NYC, elle devient, son destin suivant l'air du temps comme une
évidence, une égérie warholienne. Sous la poussée du maitre elle
incorpore en guest-star le premier opus du Velvet Underground. Ainsi
débarque t'elle en rock n' rollie; elle y trouvera sa voie, suivra un
chemin à nul autre pareil, tout en noirceurs et clairs-obscurs, teinté d'un fantastique classique d'elle seule visible,
rendant à la surface des choses des mondes entre les mondes ...
Suivront 6 albums studio, quelques dates clés ("June 1, 1974"* et, la
même année, un concert en la cathédrale de Reims). Décès en 1988 (chute à
vélo). Son destin, marqué par la drogue, lui a ouvert les portes d'une
perception d'outre-temps/espace/tombe qu'elle a su retranscrire en
paroles et en musique.
"... The end"
est l'ultime titre du premier album des Doors (1967). C'est aussi, en
hommage à Jim Morrison, le quatrième album (1974) de la chanteuse**. Itou
pour le présent essai (2020) qui, signé Pierre Lemarchand, cerne
la vie et l’œuvre de la belle allemande. Bienvenue en pays
"d'atypismes"; ce néologisme marque les singularités étonnantes de la
musicienne et, au-delà de son art, de la femme elle-même (tant à la
ville, sur scène q'au creux des sillons de cire noire). On aime, ou
s'indiffère à ce qu'elle a composé et chanté; on s'interroge (pour enfin
comprendre ou renoncer ..!). Perso, elle et sa musique si particulière,
il m'a fallu du temps, deux paliers de compréhensions successives
.... Le second, la présente biographie, m'a aidé à déchiffrer une
personnalité à nulle autre pareille, m'a offert les clefs d'une œuvre
difficile d'abord mais logique dans sa finalité..
Et
pourtant: en juin de cette année, cette bio en promesse babelienne,
j'ai hésité à sa lecture et à la chronique satellitaire imposée. Cela
aurait été dommage de me soustraire au deal. Le bouquin est une
réussite, vraiment. Lire une bio sur Nico quand, en son temps
musical, j'étais passé à côté de son œuvre ? J'avais juste chopper
qu'elle était belle, belle, belle ("Rock et Folk" en offrait de temps à
autre des échos photographiques merveilleux) et écouter vite fait, sans
vraiment apprécier, "Velvet underground & Nico" et "The end". Début des seventies, ma tasse de thé était ailleurs, dans le hard rock type, celui naturellement trempé de blues. Le rock de Nico, aux antipodes, couvait
dans je ne savais trop quoi, mitonnait dans un ailleurs sombre et
mystérieux au goût d'artéfact énigmatique; le tout en dehors de tous
codes sinon les siens. Cela semblait une musique à décoder qui demandait
de prendre son temps. Fallait laisser mûrir. J'y suis revenu plus tard,
via le krautrock (Ash Ra Temple, Can, Amon Düül ...). D'ailleurs Nico n'était t'elle pas allemande, elle aussi, et contemporaine du mouvement choucroute ? Je
n'ai pas accroché tout de suite, hermétique aux raisons, à cette
noirceur absolue, circulante, obsédante et omniprésente. Tout au plus
ai-je, au moins, cherché à comprendre. Et puis, le déclic s'est fait; ce
livre, comme un guide, pour disséquer le pourquoi et le comment,
pousser à aller plus avant dans une discographie.
En 67 sort l'éponyme LP du "Velvet Underground & Nico". Elle
y chante trois titres, s'absente des autres. Semble t'il, peu vendu aux
states, le disque ne touchera que fort peu l’hexagone, comme en échos
lointains, retardés. Le mythe, le culte: c'est pour plus tard ... Je
prendrai le train en marche. Comme d'autres. Basta, j'étais alors trop
jeune pour l'album (12 ans à peine), têtard encore accroché à la TV
d'état en noir et blanc, débitant de la variétoche au mètre linéaire de
pellicule. Je viens de réécouter le disque, c'est un chef d’œuvre.
Après un long prélude consacré à sa vie et à ses autres albums, Pierre Lemarchand dissèque, presque note à note et dans un langage intelligible, le quatrième album de Nico, "The end".
Le propos est celui d'un passionné et d'un érudit. L'intention,
ambitieuse et imposante, a nécessité un travail méticuleux; son rendu,
lyrique de forme, est passionnant.
Pierre Lemarchand dissèque peu à peu la personnalité de Nico; il décrit un psychisme glissé dans des interstices de vie (ou de mort) entrevus d'elle seule, comme issus d'un autre monde, fantomatique, empreint d'un fantastique classique en clair obscur, entre lumière et ombres. Ses paysages sonores semblent osciller entre deux pôles/oppositions dichotomiques. Pile ou face la blondeur artificielle lumineuse de ses premiers pas médiatiques et la noirceur naturelle aile de corbeau qui suivra bientôt sur scène. Ange blond du mannequinat/Ange noir sur vinyle ou derrière son harmonium indien. Ying/Yang. Jour/nuit. Soleil/Lune. Et, tout naturellement, face A/face B, les deux côtés obscurs d'une galette de vinyle noir.
Beauté glaciale et distante, fascinante, visage de cire, sourires en berne. Un voile d'ombre dans son regard, presque une absence. Nico se perd dans la drogue.
La musique de Nico est une énigme, un artéfact satellitaire mystérieux entre minimalisme et bruitisme. L'avant-plan vocal est relativement mélodique tandis qu'au-delà des nappes d'harmonium éthérées ou ténébreuses se glissent au mixage la modernité traditionnelle d'interventions aux synthés (Eno), au violon (John Cale) ou à la guitare électrique (Phil Manzarena).
En compagnie de l'auteur, le chemin des notes mis en mots, en parallèle des intentions de la musicienne, s'est révélé un bien beau voyage m'imprégnant d'un tout qui jadis m'avait échappé.
Nico m'est revenue, me poussant à la découverte de ses autres albums. Enfin ..!
*
**
En illustration sonore: "You forget to answer"
Merci beaucoup.
RépondreSupprimerMerci de quoi ? Ce bouquin m'a simplement permis d'enfin comprendre (et apprécier) la musique de Nico et, de manière satellitaire celle du Velvet.
Supprimer... et accessoirement de gratter dans ma vinylothèque à la recherche de ces LPS par moi laissés pour compte sur le seul argument que je n'y suis jamais revenu après la première écoute; et ce malgré le statut d'oeuvre culte que beaucoup leur attribuent. Ce fut le cas, il y a quelques jours, du premier opus des New York Dolls qui est, au final, rien moins qu'un chef d’œuvre protopunk (davantage que Glamrock au regard de sa pochette).
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