Mine de plomb - Tardi

Jacques Tardi, Tardi pour ses aficionados, a sorti en 1985, via Futuropolis, une paire d' artbooks siamois sous les titres respectifs de "Mine de plomb" et "Chiures de gomme".

La présente chronique ne s'attachera qu'au premier tome. Je n'ai jamais eu le plaisir du second entre les mains.

L'argument de parution était le même pour les deux tomes. A savoir celui de réaliser un bel objet montrant, références et commentaires de l'auteur à l'appui, tout ce qui, sous ses encres, ses pinceaux et ses plumes, avait été utilisé (ou pas) d'une manière ou d'une autre hors circuit BD classique. Ce qui n'empêchait pas d'y trouver aussi des éléments connus en BD, mais retravaillés pour les présenter sous un autre angle

Ici s'ouvre une liste (presque) à la Prévert. Elle n'est pas exhaustive. Les éléments à découvrir sont si nombreux, se bousculent sur 134 pages, près de 600 sur la somme des deux tomes.

Le lecteur trouvera à la régalade:

_Couvertures de revues ((à suivre), BD...) et de romans (Philip K. Dick),

_Marque-pages,

_Cartons d'invitations à dédicaces,

_Essais non concluants,

_Ratés et laissés pour compte,

_Pochettes de 45 tours (Léo Malet chante),

_Dessin pour tampon encreur,

_Parodies et pastiches (Tintin),

_Portfolios,

_Calendriers, dont l'un où chaque mois est représenté par une scène de crime,

_Dessins inédits,

_Pages d'annonce pour BDs récemment parues,

_Dessins refusés,

_Affichettes de librairie,

_Projets d'adaptations inabouties: quelques planches de "Fatale" en compagnie de Jean-Patrick Manchette. On y voit une vingtaine de vignettes et phylactères, orphelins d'un début et d'une fin, comme abandonnés en chemin,

_Histoire complète, courte et muette ("Le phylactère n'envahit pas l'image... le dessin peut ainsi proliférer à souhait,  comme une mauvaise herbe malsaine et vénéneuse"

_Dessins d'illustrations internes ("Fantasia chez les ploucs" par exemple),

_Cartes postales,

_Dessins de dédicaces,

_Dessins d'hommages à Hergé,

_Projet pour papier d'emballage (fromage de chèvre)(si si..!),

_Cartes commerciales, Cartes de visite...etc

Tout un attirail attendu ou improbable. Du "déja-vu" et de l'inédit... De l'hétéroclite, un bazar de tout et de rien, un pot-pourri dans lequel piocher au hasard.

"Mine de plomb" fige toutes ces réalisations connues, retravaillées ou pas, ces oeuvres inattendues, ces éléments inédits en deçà de 1985.

Au delà de l'omniprésence du noir & blanc, classique récurrence chez Tardi, on note celle

du rendu précis des lieux:

_Ceux imprégnant les romans de Leo Malet ( "Brouillard au pont de Tolbiac"), de Jean-Patrick Manchette ("Griffu"), de Jean Ray (fog, policeman et ombre portée sur un mur de briques).

Ses éternels paysages urbains (Paris le plus souvent) sont noyés de pluie, plongés dans le crépuscule ou la profonde nuit. On y trouve de larges pans d'ombre, tapissés d'encre de Chine noire. On y remarque des traits architecturaux appuyés, précis et hyperréalistes. Les nuances de gris sont rares. La couleur est d'utilisation ponctuelle, localisée en teinte unique sur un détail choisi (l'impact visuel n'en est que plus fort).

_Ces paysages fantastiques où apparaissent Adèle Blanc-Secet autres héros de la Belle époque: souterrains obscurs, passages secrets, divinités de pierre et de chair.... laboratoires dans lesquels s'agitent des savants fous

Les hommes:

_ Ceux du milieu: rondeurs des traits, absence de sourire, gueules de macadam; haine, froideur et détermination sur des visages implacables; armes à feux omniprésentes, borsalinos de la pègre, costards, cravates, pardessus d'un autre temps...etc

_Ceux d'Adèle: chapeau melons, vestes étriquées, lunettes rondes à montures fines, moustaches, cols amidonnés, gilets.

Il existe un autre moyen d'appréhender le pavé. Celle de parcourir la liste des remerciements en page 4. Elle est copieuse et mentionne de grands noms et maisons d'édition venus d'horizons différents. Le 9ème art de Tardi est si recherché. Pour ma part j'y ai reconnu entre autres (excusez du peu): les disques Barclay, Jean-Claude Denis, Bill Deraime, Raymond Devos*, Claude Ecken, Jean-Claude Forest, Gallimard Ed., Glénat Ed., Dominique Grange, Grasset Ed., R. Laffont Ed., Bruno Lecigne, Jacques Lob, Léo Malet, Jean-Claude Mezieres, Nicollet, Pétillon, Jean Vautrin, Yves Fremion..etc

Et en conclusion, juste un petit mot sur l'avant propos sous le clavier de Tardi lui-même: un hommage sensible à son père, dessinateur amateur, qui lui apprit à être rigoureux et pointilleux. Tardi et ses rapports particuliers avec son lieu de travail et sa table de travail ("Et je reviens toujours m'asseoir à cette table, homme tronc courbé sur mon papier")... etc

  

*: Raymond Devos, je ne sais pas pourquoi. Si vous avez une idée..?