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jeudi 24 novembre 2022

Adèle et la bête - Adèle Blanc-Sec 01 - Tardi (BD)

 

"Adèle et la bête" inaugure une série BD (10 épisodes) consacrée aux "Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec". Ce titre d’ouverture, signé Tardi, est paru chez Casterman Ed. en 1976, dans la foulée d'une prépublication dans le quotidien "Sud-Ouest". Ce cycle, dans l’ambiance caractéristique du roman-feuilleton de la fin du XIXème siècle (ici, plutôt une parodie du genre), s’achèvera en 2022 par un ultime épisode ("c'est promis, il n'y en aura pas d'autres" promet la pub). Son titre : "Le bébé des Buttes Chaumont". Préciser 1976, au mitan des 70’s fécondes dans bien des domaines, n’est pas détail anodin : l’époque voit la BD française expérimenter et se chercher une voie vers l’âge adulte (« Métal Hurlant, la machine à rêver » pour ne citer que ce magazine) ; Adèle, à sa manière (prudente), participera à cette mouvance émancipatrice, loin (mais pas tant que çà) des publications destinées à la jeunesse et encadrées par la censure. La série est doucement subversive (mine de rien), par exemple dans sa critique moqueuse des institutions d’état et de ses représentants.

1911. Le Paris de la Belle Époque. Novembre de cette année-là. La pluie, le froid, la nuit, le silence d'une ville qui dort. Un lieu emblématique de la capitale vient à l'avant-scène : le Muséum d'Histoire naturelle du Jardin des Plantes. Dans la galerie de paléontologie un ptérodactyle s'échappe d'un œuf préhistorique en exposition, brise la verrière, s'envole et sème la pagaille dans Paris. Armand Fallières, à l’Élysée, président en exercice, offre 5000 francs à qui photographiera ou capturera la bestiole ailée ; Edith Rabat-joie entre en scène, l’œil derrière l’objectif ; tandis qu'à Lyon un savant fou semble en contact télépathique avec la bête ; Adèle Blanc-Sec, ma foi, ne va tarder à montrer le bout de son nez et, plus loin, une première fois dans la saga, la naissance de sa poitrine dans sa baignoire remplie d'eau savonneuse (la scène culte est reprise dans le film de Besson*** en 2010) .

            La suite appartient au récit … Vous pouvez vous attendre à tout …   

Bienvenue dans le monde foutraque, dans l'univers steampunk-soft* un rien disjoncté d'une "fille de papier" pas comme les autres. Elle marqua son temps loin des critères habituels de la féminité d'alors, elle avait sous une silhouette classique un p***** de sale caractère et une volonté émancipatrice affirmée, du répondant musclé, du neurone dans une mignonne caboche (si, si.. !), elle s'imposait dans la conversation, le débat d'idées et la bagarre, et ne s'en laissait pas compter, fichtre non ... Tardi la dessine en trentenaire passe-partout, ni belle ni laide, simplement elle-même dans le respect qu’elle impose (gare aux machos). On est loin des héroïnes BD pulpeuses à la Barbarella et de la femme au foyer ; Adéle s’insère dans un créneau que la société nouvelle n’aura de cesse d’élargir.

En background de ce volume inaugural, le Paris de 1911 prend ses aises, montre quelques-uns de ses bâtiments-phare dans le moindre menu détail dessiné (ce qui signe un énorme travail documentaire en amont). Une trouvaille graphique est à l’œuvre : Tardi œuvre en fourmi méticuleuse et tatillonne sur les bâtiments et les rues, simplifie presque à l’extrême les visages de ses personnages (un point pour les yeux, un court tiret pour la bouche, basta, c'est tout ; les émotions n’en transparaissent pas moins). L’inverse en somme, ou presque, de ce qui se pratiquait d’ordinaire en BD, la Ligne Claire prend l’avant-scène et Gustave Doré le background ; ce particularisme deviendra marque de fabrique et coup de génie dans toute l’œuvre de Tardi.

Bienvenue, 48 pages durant, dans un déboulé d'évènements inattendus, improbables et imprévisibles, dans un pot-pourri de péripéties loufoques jetées en vrac de vignettes en phylactères. Des personnages aux patronymes improbables (Professeurs Boutardieu et Esperendieu, Inspecteur Caponi, Lucien Ripol) poussent chacun leurs pièces sur un échiquier scénaristique complexe (légèrement confus ?). Hors champ, de loin en loin, une voix off précise **: "Pendant ce temps", "Au même instant", "Le soir même", "Cette nuit-là" ... etc. Géographiquement parlant, le lecteur rebondit de Paris à Lyon, de Dijon à Nantes ... etc. On croise tour à tour quelques profils étonnants :  le savant fou acnéique, crâne chauve et regard exophtalmique derrière les culs de bouteilles de ses verres grossissants ; le chasseur de fauves binoclard, chapeau à la Dr. Schweitzer ; le jeune étudiant maigrelet et timide qui en pince pour notre Adèle; le policier rondouillard et bonhomme ; le paléontologue en blouse blanche, cheveux indisciplinés et lunettes pince-nez ... Tout bouge, s’enchaine, s’embrouille, s’agglutine dans un foutoir logique (ou presque). Le rocambolesque s’impose, mais on s’y fait ; on en remande même. Tardi propose un itinéraire ludique où se perdre devient plaisir. Seul maitre à bord, sans scénariste pour canaliser et temporiser, semblant avancer au radar, à l'intuition et l'impulsion subite, Tardi offre une fin ouverte prévisible. « Suite au prochain numéro, toutes les réponses aux questions que vous vous posez sont dans "Le démon de la Tour Eiffel" à venir, à découvrir prochainement dans les meilleurs kiosques à journaux ».

Le maitre-mot est "A suivre" :  dans la mise en abime systématique en bas de chaque page, dans cette vignette finale qui lève plus de points d’interrogations qu’elle ne fournit de réponses. Le tout, contre toute attente, baigne dans un humour pince sans rire qui émerge d'un drame ne se prenant, tout simplement, pas au sérieux.

            Tardi met de la couleur dans son noir et blanc habituel, ce qui plonge "Les Aventures d'Adèle Blanc-Sec" dans la mouvance Ligne Claire. Le phénomène est inversé dans ses ouvrages sur 14-18 où le noir et blanc surligne le réalisme nécessaire. En posant son récit au cœur d'une fantaisie Fantastique et policière, en agglutinant tant bien que mal des éléments disparates et hétéroclites en un tout cohérent, Tardi fait œuvre plaisante et attachante, vers laquelle retourner par nostalgie. J'adore. Même si je suis moins friand de ces rocambolesques aventures que de ce qu’il a pu dessiner ailleurs avec d’autres intentions scénaristiques plus brutales.

* si tant est que l’on puisse lui appliquer ce terme néoformé ultérieurement dans la littérature de l’Imaginaire.

** "Cette nuit-là, rue Ferdinand Bardamu" apparait au détour d’une vignette: c’est un clin d’œil en référence à un personnage imaginé par Louis-Ferdinand Céline, héros du "Voyage au bout de la nuit". Tardi en fera la 1 de couv chez Folio. On note une similarité entre la vignette et l’illustration du "voyage"

***  Le long métrage est l’un des rares de Besson à me satisfaire. L’explication est simple. Les univers de Besson et de Tardi (version Adèle) sont cousins dans la manière d’être présentés, on y trouve un esprit de décalage voisin. L’Adèle Blanc-Sec en bulles et vignettes et celle en 25 images/seconde semblent se donner la main pour offrir d’elles-mêmes un copié/collé, de l’une à l’autre, très satisfaisant.

 



1 commentaire:

  1. Je n'ai pas encore lu le dernier tome de la série.Cà viendra ..!
    Tardi se refuse à continuer au-delà du 10ème. C'est le dernier épisode, assène t'il; il n'y aura pas de repreneur.
    Qu'a t'il fait de toi, Adèle ? Quel sort ? Quel destin ? Que t'a t'il réservé, Adèle ? Je m'inquiète pour toi, Adèle. Tout est possible, Adèle. On n'est que peu de chose en ce monde. J'ai peur pour toi, Adèle. Car si tu es morte, ...

    (>>> [je sors, poussez-pas])

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