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mardi 15 mai 2018

Le petit bleu de la côte ouest - Manchette + Tardi





Tardi, 2005, Humanoïdes Associés puis rééditions chez Futuropolis.
















... d'après le roman de
Jean-Pierre Manchette: 1976, ed. Gallimard, collection Série Noire, no 1714






En France. Début juillet. Durant les 70's.

Côté pile:
François Gerfaut est un cadre commercial lambda.  
"de vagues idées de gauche".
Marié, deux enfants. Tout pour être heureux si ce n'est qu'il s'ennuie. Entre le jazz, jadis passion et désormais habitude d'écoute inattentive (d'où le titre de la BD et du roman); l'addiction aux alcools blancs; les somnifères; un job désormais sans attrait et l'ennui corrosif des vacances familiales à venir en bord de mer. C'est, pour lui, le blues du cadre, celui aussi de la quarantaine aisée, sans autre but que de continuer sur l'acquis.

Côté face:  
Gerfaut est en cavale. Mais ce n'est pas un truand. On a voulu le tuer à la baignade, mais il n'en est pas sûr. Il n'a rien fait et pourtant il fuit. Deux tueurs à ses trousses. Et il ne sait pas pourquoi. Depuis qu'une nuit, témoin d'un accident de la route, il transporte un blessé grave à l'hôpital sa vie se déchire, dérape. On en veut à son existence sur Terre ... sans raison apparente.

Côté pile:
En cavale il n'explique rien à sa femme, lui parle au téléphone de dépression temporaire...ou lui écrit par télégramme qu'il reviendra, qu'elle ne s'inquiète pas. Il ne prévient pas la police. Il accepte la menace. Se sentir gibier ne lui déplait pas. Car, confusément, cette poursuite n'est qu'un argument pour fuir, un jeu, une évasion, un piment, une nouveauté, du relief dans sa vie étriquée et balisée. S'amuser à se faire peur ... pour redécouvrir la liberté.

Double fuite en avant, donc.  
Côté pile en crise d'identité, en recherche d'un sens nouveau à son existence.  
Côté face, prosaïquement, pour jouer sa vie sur un coup de dés.  
Gerfaut s'est enfermé dans une dichotomie inextricable, il va longtemps subir les faits, sans oser, sans décider, sans agir.

S'en suivra un Road-movie hystérique et ébouriffé, sanglant et meurtrier, haletant et cinématographique* qui  mènera Gerfaut du bord de mer à Paris, d'une station-service en feu à une vallée perdue dans les Alpes. Jusqu'à l'explication finale et la vengeance.

Tardi ressuscite les violences spectaculaires du néo-polar initié par Manchette. Les tueurs à gages sont de sortie et ne feront pas dans la dentelle, les marginaux et les exclus feront se qu'ils pourront.

Le dessinateur décidé à rester fidèle au genre et à ses codes, sort ses plumes, ses gommes et son encre de Chine (noire) en 2005 pour nous offrir, dix ans après le décès de Jean-Patrick Manchette, son adaptation graphique du roman.

Après une collaboration en binôme en 1978 pour "Griffu", sortiront encore "La position du tireur couché"(2010) et "Ô dingos, Ô châteaux"(2011). Pour les deux derniers, Tardi est seul aux manettes mais en appui sur les textes de Manchette.

Les univers romanesques de Manchette et Tardi se côtoient à merveille, leurs idées politiques et sociales aussi. Ils s'étaient "trouvés" et avaient fait mouche avec "Griffu". Tardi continuera seul et ne perdra jamais le sens de leur collaboration passée.

Tardi, comme à son habitude, nous offre du noir et blanc pour cette chasse à l'homme. Pas de couleurs, le néo-polar est noir, obscur et minimaliste. Pas de nuances de gris, ou très peu. Le contraste ainsi très élevé du dessin renforce la noirceur et la brutalité crue des évènements. Les vignettes sont bourrées de détails graphiques réalistes (alcools en bouteille, publicités murales, unes de journaux, enseignes de boutiques...) qui appuient la crédibilité du background et par contrecoup de la situation. La documentation amassée par Tardi a du être conséquente. Les textes semblent directement issus du roman: brefs, caustiques, chirurgicaux dans leur précision, brutaux. Les onomatopées, soigneusement choisies, soulignent efficacement les scènes sous tension.

Chapeau bas, messieurs.


* Jacques Deray en 1980 en sort un film en 1980 sous le titre "Trois hommes à abattre" avec Alain Delon dans le rôle de Georges Gerfaut.

19 commentaires:

  1. Ce qui est fascinant chez Gerfaut c’est cette capacité à reprendre sa vie banale, monotone, etc. après avoir vécu ce qu’il a vécu. Ce que résument parfaitement les premier et dernier paragraphes du Petit bleu. Il vit dans l’instant, comme Martin Terrier dans La position du tireur couché.
    Tardi est un immense dessinateur (je crois posséder pratiquement tous ses albums, éditions spéciales et tirages de tête compris) et il colle parfaitement à l’univers de Manchette. Mais il se contente d’illustrer l’histoire, sans prendre de risques avec le découpage. Son talent graphique est immense mais ce n’est pas un très grand scénariste. Il est donc à son meilleur quand il travaille directement avec Manchette (Griffu) ou Daeninckx (Le der des ders). Mais ne boudons pas notre plaisir, c’est du grand art !

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  2. Gerfaut: Il se contente de plaider l'amnésie. Belle solution de facilité. Je ne sais même pas s'il a trouvé plaisir à son "escapade choisie". Tardi laisse entendre néanmoins que sa présence sur le périphérique est due à une entorse à l'encontre du droit commercial. Comme si Gerfaut avait une nouvelle tenté de se mettre en marge, mais cette fois-ci, délibérément et illégalement.On pourrait voir çà comme de la nostalgie.

    J'apprécie aussi beaucoup Manchette. Sa concision, ses prises de position, son efficacité de forme et de fond. Il méritait mieux que d'être assimilé au tout-venant de la Série Noire.

    Je suis Tardi addict itou et très fier de posséder "Mines de plomb et chiures de mouches", un art-book admirable. Le dessinateur, oui, est au mieux quand épaulé par un scénariste ou l'existant d'un roman déja publié. Il s'essaie à la fidélité et çà lui réussit très bien. Enorme faible pour "Ici même" (Forest y apporte l'onirisme que Tardi n'a pas) et la brutalité crue, la dénonciation sans maquillage de "C'était la guerre des tranchées". Si un jour je lis le Céline du "Voyage au bout de la nuit" se sera en compagnie des illustrations de Tardi.
    Oui, Tardi est un grand
    Merci d'être passé.

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    1. L'attitude énigmatique de Gerfaut me fait penser à celle(à un niveau fort moindre quand même, faut pas exagérer tout de même)tout aussi incompréhensible de Meursault dans "l'étranger" de Camus. Cà ne boxe pas dans la même catégorie, et comment, mais il y a de çà. Deux héros en point d'interrogation. Et puis phonétiquement, entre Gerfaut et Meursault, il n'y a pas grande épaisseur. Manchette n'y aurait t'il pas trouvé source d'inspiration..?

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  3. « d'une station-service en feu à une vallée perdue dans les Alpes. »

    Visiblement, il y a des motifs récurrents chez Manchette, car dans Ô dingos, ô châteaux, on passe d’un supermarché en feu à un coin perdu des Alpes (de Haute-Provence).

    « Les tueurs à gages sont de sortie et ne feront pas dans la dentelle, les marginaux et les exclus feront ce qu'ils pourront. »

    Il y a ça aussi, et comment !

    « Pas de nuances de gris, ou très peu. Le contraste ainsi très élevé du dessin renforce la noirceur et la brutalité crue des évènements. »

    Tout à fait !

    « Les vignettes sont bourrées de détails graphiques réalistes (alcools en bouteille, publicités murales, unes de journaux, enseignes de boutiques...) qui appuient la crédibilité du background et par contrecoup de la situation. »

    Ça m’a fait sourire de voir, sur un présentoir du supermarché, des livres de poche dont les seules couvertures visibles sont celles du Petit bleu de la côte ouest et de La position du tireur couché... ! ^^

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    1. Manchette est très cinématographique dans sa manière, Tardi itou. Les deux font la paire. Je ne sais pas comment le dessinateur conçoit ses pages mais il y a du plan ciné (si çà se nomme comme çà ?)et connaissant ton amour pour le 7ème art, vous trois, çà ne pouvait que coller.

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    2. « Manchette est très cinématographique dans sa manière, Tardi itou (...) Je ne sais pas comment le dessinateur conçoit ses pages mais il y a du plan ciné (si ça se nomme comme çà ?) »

      Manchette revendique l’influence du cinéma américain ; Tardi, je ne sais pas...

      En tout cas, je suis d’accord avec toi. Je n’ai pas pu m’empêcher de voir une qualité cinématographique dans ces planches. Son sens du cadrage et du montage saute aux yeux.

      Je parlerais plutôt de cadre que de plan, car ce dernier n’est pas nécessairement fixe (sauf dans des œuvres façon roman-photo, comme La jetée). Je dis ça en profane, hein, simple « regardeur de film » - pour reprendre une expression qu’employa Manchette ^^ - et si on me parle de focales en chiffres, je ne comprendrai pas grand-chose, (contrairement à toi, j’imagine, qui fait de la photographie).

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    3. La focale photo quand elle est grande (pupille grande ouverte) génère sur la mise au point au premier plan un flou recherché sur l'arrière-plan (ou inversement). En BD je ne sais pas si c'est techniquement réalisable.

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    4. https://1.bp.blogspot.com/--ukwLz30K7s/XCogYWumHjI/AAAAAAAAAs4/Y-A-y77CE7A2OI9bFYWqRXFZr3klIVUiACLcBGAs/s1600/B%25C3%25BChl%2B%2528RFA-1978%2529.jpg

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  4. Je viens d'acheter "Ô Dingos Ô Chateaux" version Manchette.

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  5. De mon côté, j'ai pris La position du tireur couché par Tardi à la médiathèque de quartier
    (Le petit bleu de la côte ouest suivra, quand il sera de retour d'emprunt).

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    1. C'est la fête à Tardi.
      Ps: j'avais acheté, il y a longtemps,"Romans noirs" de Jean-Patrick Manchette chez Quarto Gallimard. C'est un omnibus qui contient, post mortem, tous les romans de l'auteur... et une foule de goodies dont le Griffu de Tardi/Manchette. Cà m'a fait de la peine de le voir en version riquiqui alors qu'il parut à l'origine dans "BD Hebdo" en grand format journal quotidien. Sinon, bien que cher au regard de la facilité à trouver les Manchette en occasion, c'est un achat que je ne regrette pas. Le tout m'est précieux.

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  6. _ Jean-Paul Martin : « Tardi (...) est donc à son meilleur quand il travaille directement avec Manchette (Griffu) ou Daeninckx (Le der des ders). »

    Lu après Ô dingos, ô châteaux et La position du tireur couché, j’ai vraiment beaucoup aimé ce Griffu.

    Plus court, plus direct, moins fantaisiste, j’ai eu l’impression de goûter à quelque chose de quintessentiel au travers de cette unique collaboration.

    Avec une différence graphique : l’usage du gris (en fond, notamment) au lieu du seul noir et blanc.

    _ Avin : « (...) Manchette. Sa concision, ses prises de position, son efficacité de forme et de fond (...) »

    À la lecture de ces BD, je me suis régalé des pensées des personnages, caustiques, désabusées, traduisant une humanité blessée mais lucide.

    Bref, ça me donne envie de caser un roman de Manchette dans ma PAL... ^^

    _ Avin : « L'attitude énigmatique de Gerfaut me fait penser à celle (à un niveau fort moindre quand même, faut pas exagérer tout de même) tout aussi incompréhensible de Meursault dans "l'étranger" de Camus. (...) Deux héros en point d'interrogation. Et puis phonétiquement, entre Gerfaut et Meursault, il n'y a pas grande épaisseur. Manchette n'y aurait-il pas trouvé source d'inspiration..? »

    Peut-être bien.

    On pourrait dire que, dans les deux cas, ce sont des actes de violence à la plage qui ne se concluent pas comme prévus (meurtre involontaire et ...non-meurtre involontaire ^^) qui font prendre un tour radical et public à des crises personnelles.

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    1. @Jim. Citation: "Bref, ça me donne envie de caser un roman de Manchette dans ma PAL... ^^"
      >>> Et accessoirement de continuer à parcourir l'oeuvre de Tardi qui, à mon avis, est l'un des plus grands dessinateurs qui soit, ne pêchant que par la faiblesse de ses scénarios sous son nom seul. Il lui faut être canalisé par quelqu'un qui le cadre, si possible vivant, ce qui explique la force de ce "Griffu". On peut ainsi rêver de ce qu'aurait pu donner "Ô Dingos, Ô Châteaux", "La position..." et "Le petit bleu..." sans le décès de l'écrivain.
      Quant aux romans de Manchette: de ce que j'ai lu, j'ai trois enthousiasmes et deux réticences: les premiers sont les trois romans cités plus haut, les secondes sont "Laissez bronzer les cadavres" et "L'affaire N'Gustro". On les trouve très facilement en occasion.

      @Jim. Citation: " On pourrait dire que, dans les deux cas, ce sont des actes... [ ]...qui font prendre un tour radical et public à des crises personnelles."
      >>> Ces dernières ne se traduisent pas par un profil psychologique décrit par le menu mais par les actes qui adviennent en conséquence. C'est la grande force de Manchette (et par contre-coup celle de Tardi) qui, selon ses propres dires, use d'une écriture comportementaliste.
      Dans quelques jours je mettrai en ligne une chro accouplant le roman et la BD de "Ô Dingos, Ô Châteaux"

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    2. _Avin : « Quant aux romans de Manchette (...) On les trouve très facilement en occasion.»

      Heureusement ; car à l'"espace culturel" de l'hypermarché du coin, point de Manchette...

      Je vise surtout les enquêtes d'Eugène Tarpion : "Morgue pleine" et "Que d'os !"

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    3. Il existe une solution élégante pour avoir toutes les œuvres de Manchette sous la main. Quarto Gallimard les a toutes fait paraitre dans un épais omnibus de près de 1400 pages. "Griffu" inclus mais malheureusement en format riquiqui.Le pavé n'est hélas pas donné.

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    4. https://static.fnac-static.com/multimedia/Images/FR/NR/e8/4f/19/1658856/1507-1/tsp20171027094605/Romans-noirs.jpg

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  7. Maintenant, au fil des discussions qui animent les articles consacrés à Simenon et Manchette, je me demande si ma passion portée aux deux auteurs na pas la même source (même s'ils sont vraiment dissemblables): celle de dire des choses fondamentales s'en vraiment les écrire, les laissant deviner en simple filigrane.

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  8. J'aime Manchette grâce à quelqu'un là-bas sur CSF qui a su mettre les mots sur une manière d'écrire qui ne m'inspirait pas plus que çà, disséquer une forme que je jugeait pauvre et bâclée; mais qui en réalité était beaucoup plus construite qu'il n'y paraissait. Manchette est un peu comme un tour de magie qui masque l'essentiel, que le lecteur ne lit pas mais qu'il retrouve en lui longtemps après le roman terminé.

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  9. https://www.bedetheque.com/media/Revues/Revue_16700.jpg

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