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jeudi 23 août 2018

André Caroff - N'arrête pas la musique



































Fleuve Noir Special Police n°943

1972

Le propos de cette chronique ne m'est pas tant de parler du roman (il ne vaut à mon sens plus grand chose) que de faire écho à une époque où polar rimait avec caïds, malfrats, petites frappes, coureuses de bitume, bavards, porte-flingues et second couteaux, surnoms exotiques, argot de titi parisien et tournures de phrases à la Michel Audiard.

1972 au Vénézuela. Tony Cossu, truand parisien condamné à mort par contumace en France est en exil forcé à Caracas. Ses deux frères et sa soeur, à Paris, lui cachent la mort du "Dab" et de "la Vieille", lui extorquent millions sur millions sous prétexte que les parents sont malades, doivent être soignés... et que, tout çà, c'est cher, que les Cossu de Paris n'ont rien pour voir venir. Mais que lui, là-bas, avec les millions de son hold-up sanglant, peut y subvenir. Cette duperie aurait pu durer longtemps si ce n'était que Tony apprend la tromperie via les confidences du Lyonnais, en cavale lui aussi au Venezuela. Cossu ne peut laisser passer çà. Les Cossu parisiens, grâce à son argent, roulent désormais sur l'or et s'abreuvent au grand banditisme. Tony doit rentrer au bercail pour régler ses comptes en famille. S'en suivra un long roadmovie, jonché de cadavres, du bout du monde jusqu'à Paris.

Le héros n'est pas atypique, il est celui que les lecteurs de ce type de roman aimaient à l'époque: antipathique car meurtrier mais homme au grand cœur, violent et amant prodigieux, voyou attachant. Il finira néanmoins sous les balles de la police.

Peu m'importe de spolier, nous sommes deux sur Babelio à avoir lu ce roman et il est peu probable qu'un troisième suive.

Ainsi, deux phases scindent le déroulé de l'histoire: un parcours sud-américain et un autre parisien. 

Le premier semble s'imprégner du long métrage d'Henri Verneuil (1964): "100 000 dollars au soleil" avec Belmondo, Ventura et Bernard Blier. Il y a le soleil, la chaleur écrasante, la rocaille des pistes désertes, le désert infini sous l'horizon, la petite pépée de circonstance, les autochtones diplomates et obséquieux.

Le second parcours, centré sur Paris se fait le reflet littéraire de tous ces films de caïds des années 50's et 60's, qui furent les terrains de prédilection en noir et blanc des Gabin ("Le rouge est mis", 1957, de Gilles Grangier), Ventura ("Razzia sur la chnouf", 1955, d'Henri Decoin), Blier et autres acteurs habiles à se glisser dans la peau des Hommes du milieu... La faune criminelle typique de l'époque y abonde, avec son parler fleuri et ses codes d'honneur. C'est interlope, poisseux, violent, nocturne et truffé de caves et de flics de la PJ, de balances et de gagneuses. On y parle hold-up, transports de fonds, casses et flingues, clandés et Quai des Orfèvres, stripteaseuses et entraîneuses.

André Caroff, 1924-2009, auteur populaire polymorphe, s'est essayé via le Fleuve Noir et ses collections à la science-fiction (Fleuve Noir Anticipation), à l'angoisse (la célèbre série consacrée à Mme Atomos: Fleuve Noir Angoisse), au polar (Special-Police), au roman d'espionnage (Fleuve Noir Espionnage). Ce fut un auteur maison, comme tant et tant d'autres, prolifique et fidèle, à qui l'éditeur demandait quantité et régularité au détriment de la qualité.

Il y avait (et il y a encore) une clientèle pour le Fleuve Noir Special Police, pour ces livres quais de gare, lâchés en un flot ininterrompu par l'éditeur pendant quelques décennies, verrouillés en longueur le plus souvent aux 234 pages standards, vite lus, vite jetés et oubliés...et vite récupérés par d'autres, collectionnés par des hurluberlus dont je fus. On les savait jamais réédités à quelques rares exceptions près, ces romans de rien, ces récits d'une demi-journée de lecture rapide. Presque des titres à usage unique. Ce qui malgré leurs tirages importants les rendaient presque rares. Certains d'entre eux furent utilisés en adaptations TV ou ciné qui frappèrent les esprits sans pour autant qu'un spectateur ne les rattache vraiment à un roman.

Bref, on en rencontre encore beaucoup à prix dérisoires chez les bouquinistes ou autres, sur "Le bon coin" en lots impressionnants ou à l'unité. Ils vieillissent physiquement assez bien quand ils ne passent pas de mains en mains, mais ce n'est pas souvent le cas.

Et puis, à l'époque il y avait Michel Courdon au pilotage iconographique, un dessinateur qui allait donner ses couleurs à la collection Special-Police, sa patte graphique aux 1 de couverture. NB: celle du présent roman n'est pas merveilleuse et ne rend pas hommage à l'homme et son métier. Il a réalisé de bien meilleures illustrations pour le FN. Bien sûr, le style date, mais peu importe quand le souvenir reste.

Ce que j'en pense: cette chronique ne se veut pas vraiment celle d'un roman (ne le lisez pas) mais une rapide évocation nostalgique de certains éléments historiques d'une collection littéraire populaire durant l'age d'Or d'un éditeur majeur dans le domaine des "mauvais genres": le Fleuve Noir.

3 commentaires:

  1. Merci pour cette chronique qui a le double avantage d'être un rappel pour ceux qui ont connu cette époque, et une documentation pour les ignorants dont je fais partie!

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    1. Merci d'être passée.
      Je fais ici référence à une collection à l'affiche entre 19849 et 1987, 255 auteurs au catalogue pour 2076 titres.A mon sens, c'est presque maintenant de l'antiquité littéraire au regard de ce qu'elle contient
      http://www.inspecteurmatis.com/sp/

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  2. Le Fleuve Noir (et l'ensemble de ses collections populaires) constitue un pan non négligeable de l'Histoire des "mauvais genres". Ce n'est pas de la littérature recherchée (encore que les dernières années du FNAnticipation ont vu des auteurs embauchés dans le cocon de l'éditeur sur la foi de leur belle prose et leur capacité à la réitérer souvent: Pelot, Dunyach, Jeury, Brussolo... Je ne fais ici qu'effleurer le sujet, je l'espère sans erreur, tant son Histoire est fertile en anecdotes. Par exemple, autour du FNA, un auteur français de SF du sérail FN, se vantait (et cela a semble t'il été vérifié par des témoins oculaires) d'être capable de donner le titre et l'auteur en regard d'un n° de parution de la collection, et il y en plus de 2000. Autre exemple, Brantonne, l'illustrateur longtemps attitré du FNA composait ses illustrations sur ce que l'on lui disait du roman ou ne lisait seulement qu'une dizaine de pages pour tenir un sujet de dessin.

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