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jeudi 9 août 2018

L'écluse n°1 - Maigret - Georges Simenon



Le Livre de Poche - Réédition de 1973


Il me sera difficile de ne pas spoiler. Je suis désolé. Je révélerai à minima.

Charenton. Printemps 1934. Bords de Seine. Près de l'écluse n°1. C'est la plaque tournante d'une économie fluviale locale d'importance, le lieu de rassemblement d'une cinquantaine de péniches. Y règne Emile Ducrau, un natif devenu riche armateur fluvial, un homme influent, issu de sa base, fier notable mais insatisfait de son sort.

Il sera le personnage principal de l'épisode. Celui par lequel les choses avanceront.

Un soir, à la nuit tombée, Gassin, poivrot notoire, vieil employé et ami de toujours de Ducrau, quitte passablement éméché un bar proche du quai. Il cherche, hésitant et démarche ébrieuse, à regagner sa péniche où il vit avec sa fille Aline. C'est une attardée mentale de 18 ans qui s'occupe d'un bébé, fruit incertain d'une union indéfinie. Gassin chute de la passerelle qui enjambe l'eau. Il y est aussitôt agrippé par un autre homme en train de se noyer. C'est Ducrau, son patron, blessé d'un coup de couteau dans le dos. Les deux hommes sont repêchés, sains et saufs.

Ducrau demande l'intervention de la police.
Maigret entre en scène.

Gassin semble alors mener sa propre enquête sous les yeux étonnés du commissaire, achète une arme de poing et piste son patron. Ducrauprend Maigret en mains et semble le mener à sa guise, au sein de sa famille et de son entreprise.

Le drame approche, Maigret le sent mais ne comprend pas encore.

Le commissaire s'immerge comme à son habitude, attentif et patient, au cœur de la puissante famille Ducrau: un fils Jean, maladif et psychologiquement fragile; une fille Berthe et son mari opportuniste, très attentifs à la fortune paternelle; une épouse Jeanne, aimante et effacée, effrayée par le fort caractère de son mari; une maîtresse de rigueur, sans autre utilité que celle d'affirmer la puissance de l'armateur fluvial. 

Les "cadavres" sortent peu à peu des placards. Presque rien, des broutilles. Maigret pourrait gommer le passé si ce n'est que l'on découvre bientôt le cadavre d'un éclusier cloué sur la porte de son écluse.

Le policier, en réaction, se dilue encore plus dans le milieu sur lequel il enquête. Il semble échapper à Simenon qui préfère exposer pleine lumière deux forces de caractères: celles de Gassin et de Ducrau. L'auteur affaiblit encore son héros en nous le présentant à six jours de la retraite. (Simenons'étant toujours moqué de la chronologie, de nombreux tomes suivront dans lesquels il sera toujours en fonction).  Notre commissaire n'a ainsi presque qu'un rôle secondaire, les événements agissant presque d'eux-mêmes vers la résolution de l'énigme. S'il pressent en enquêteur avéré les rôles de chacun dans la genèse du drame qui s'est joué, c'est Ducrau qui révèle la poussière sous le paillasson du seuil de son logis, c'est Gassin qui se cache et semble attendre son heure.

Mais les choses sont t'elles toujours ce qu'elles paraissent être...?

Simenon nous propose une enquête étrange, prenante, mouvante et longtemps incertaine; une finalité émouvante et attachante. Les fils qui semblent remonter vers la solution sont nombreux, tous intellectuellement intéressants. Simenon nous les présente savamment emmêlés. Ils déboucheront sur une explication noire, désabusée, desillusionnée, désespérée.
Mais cependant un brin d'espoir attaché offrira une petite lumière au bout du tunnel.

"L'écluse n°1" est le portrait à la serpe d'un homme entier, malheureux, attentif à ce qu'il fut, à ce qu'il désirait devenir et à ce qu'il n'a pas atteint. C'est la description d'existences gâchées par l'argent. Ducrau est un personnage irascible, colérique, écrasant, dictatorial, gratuitement méchant; proche de celui de Jean Yanne dans "Que la bête meure". Sans ainsi nous étonner l'acteur apparaît dans le rôle de Ducrauaux côtés de Bruno Crémer dans l'adaptation TV.


Une nouvelle fois je me vois scotché par ce style fluide, allusif et paradoxalement direct. Tout est presque dans ce qui n'est pas écrit. Les silences de la prose de Simenon me semblent si parlants, si efficaces et si travaillés qu'à chaque fois je me pose la question de savoir comment il pratiquait pour sabrer et élaguer et ne nous livrer que l'essentiel. Il ne décrit pas seulement des faits, des gestes et des attitudes mais aussi à travers eux des sentiments profonds et complexes qui chez d'autres auteurs auraient usé tant et tant de mots. J'adore. Une nouvelle fois.


2 commentaires:

  1. Simenon a un style magnifique comme tu le soulignes! J'en ai lu pas mal mais aucun Maigret pour l'instant et j'ai peu d'avoir Bruno Cremer en tête (vieillot) Simenon alors que son style est tellement moderne et intemporel…

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  2. Merci d'être passé.

    Cramer façon Maigret ne me gène pas vraiment. A mon sens, on trouve dans cette série d'adaptations un véritable effort de reconstitution d'époque.
    Je suis d'accord avec l'aspect intemporel de la façon d'écrire de l'auteur. Le temps semble ne pas avoir de prise sur sa manière..!
    J'ai lu quelques Simenon hors Maigret, la prose y est toujours aussi concise et efficace. Les situations sont toujours moulées autour des personnalités décrites..!

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