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dimanche 5 août 2018

Contes du lundi - Alphonse Daudet






Mon premier Daudet lu. Il n'est jamais trop tard. La découverte n'empêchant néanmoins pas le reproche d'avoir si longtemps attendu.
Quelle fierté de l'avoir choisi, entamé et terminé..!
Quelle joie tirée du plaisir pris à l'avoir lu..!

Mes choix de lecture prennent de temps en temps des trajectoires inhabituelles. L'été et la soif de le vivre intensément me sont propices à ces trajets inattendus. L'intention première était de lire des récits brefs, d'y consacrer de courts laps de temps pour profiter pleinement du soleil. La seconde était, histoire de changer, de filer loin de mes territoires habituels: la SF, le fantastique et le polar. Il n'y avait ainsi qu'une frêle préméditation à me fixer sur ce recueil daté de 1873. Ce ne fut qu'un fruit chanceux tombé par erreur d'une PAL secouée d'hésitations à choisir et de maladresses à la maintenir en équilibre incertain. S'y ajouta l'attrait d'une jolie couverture habillant un bouquin pas plus épais en tranche qu'un petit doigt, donc à priori aussi vite lu qu'une canette de bière fraîche bue. Il ne payait pas de mine face à l'importance supposée de certains pavés. J'avais tord. Il allait se montrer tout d'un grand, tout petit mais costaud.

J'avais par le passé déjà rencontré l'auteur. Des souvenirs d'instants précieux, du son et des films remontent du lointain jadis qu'est maintenant mon enfance. Il ne me manquait, livre en mains, que les mots et les phrases, le texte, l'odeur du papier... L'ombre fraîche de l'olivier, le thym et les stridences des cigales en options, la canicule de ce début août en alternative, j'attendais des phrases gorgées du soleil de Provence. J'avais tord. Daudet, c'était çà; mais aussi bien plus encore..!

Daudet, ce me fut d'abord, tout jeunot, Fernandel lisant "Les trois messes basses" à mots gourmands posés de la pointe du saphir sur le vinyle craquant d'un vieux 33 tours:

Daudet, ensuite, via Pagnol adaptant avec amour ce même conte de Noël dans "Les lettres de mon moulin"
Les trois messes basses (video) 
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Daudet via "La chèvre de Maître Séguin" que me racontait mon père le soir, avec ses mots poétiques à lui, avec son propre ressenti. 

J'y suis allé du bout des doigts au coeur de ces "Contes du lundi", tournant les premières pages avec prudence et circonspection. Crainte de pénétrer dans des textes que je ne pourrai pas finir, écriture supposée à priori vieillotte et surannée et qui me rebuterait. Celle de plonger dans des récits de terroir d'un autre siècle, contes bon enfant, gentillets et gorgés de stéréotypes méridionaux, sauce provençale, thym et romarin, tomates et aubergines incluses...

Et puis j'ai lu, avant de commencer le recueil, que Daudetn'avait jamais habité le moulin qui porte son nom. Qu'il n'était, à Fontvieille(Bouches du Rhône), qu'un faux épicentre mythique, qu'un pieux mensonge et dans l'élan une réalité gentiment admise. Daudet avait vécu bien plus longtemps ailleurs qu'en Provence, nourrissant ainsi ses récits d'autres horizons. Et j'ai compris qu'au creux de ces "contes du lundi" on allait bien entendu me parler de soleil, de cigales et de mistral; mais aussi de bien d'autres choses dans bien d'autres lieux:

Daudet va nous parler de cette guerre perdue de 1870; de la débâcle sans gloire; de l'armistice trop tôt signé et vécu comme une offense et une injure faites aux premiers de front, aux premiers sangs, à tous ces morts pour rien. Daudet suivra ici le ressentiment commun à tant de français vaincus: il conspuera une erreur politique majeure biffant la France d'une honte ineffaçable; il subira en attente de revanche (qu'il ne vivra pas) les profondes désillusions qui allaient suinter encore longtemps de la défaite jusqu'au sortir des tranchées de 14-18. Il ressentira la haine de cet allemand lointain reparti avec tout et ne laissant rien; cette rancœur amère face à un monde politique de soies et de ripailles; ce ressentiment féroce à l'encontre d'une armée française sous le poids de son incurie, de sa lâcheté et de ses erreurs de débutant. Il mâchouillera sans fin et sans plaisir aucun cette si peu cicatrisable perte de l'Alsace et de la Lorraine, comme deux trésors patriotiques arrachés à la carte de France. Il verra ce long Siège de Paris durant lequel la misère côtoiera l'opulence; cette rêveuse Commune qui s'en suivit, ses espoirs pleins d'étoiles; cette Semaine Sanglante implacable qui tua dans l’œuf tant d'illusions utopiques insensées. Daudet, en parallèle, presque en fil rouge, n'oubliera pas cette Algérie colonialiste, si loin si proche, si française encore et si indépendante déjà.

Ces instants d'Histoire française occupent la première partie du recueil, soit environ deux tiers du volume total, 26 brèves nouvelles. On y côtoie par exemple un instituteur de petit village alsacien lors de son dernier cours de français, un État-major en refus d'abandon d'une banale partie de billard alors que les troupes laissées sans ordres sont hachées menu par la mitraille prussienne; les derniers instants émouvants de communards à l'amorce de la Semaine Sanglante..etc. Et, en cohorte, toute une ribambelle de fils de vie distinctes tissant peu à peu un patchwork serré de ces quelques années là.

Tout cela suinte d'un patriotisme forcené, en écho à une époque mordue par une adversité sanglante. Ces nouvelles ne sont pas des contes à proprement parler mais des tranches d'existences au seuil de l'Histoire avec un grand H. Daudet, grâce à un talent de conteur né, suit les destins d'individus lambda pris, emportés, broyés par le flux et le reflux des marées de 1870 et de la Commune. Et le tout est servi par une prose poétique inspirée, classique dans sa forme et si émouvante et prenante dans sa finalité. Le style foisonne et on s'y perdrait si Daudet n'avait pas pris soin, paradoxalement de filer droit vers l'essentiel.

A cette première partie guerrière succède une seconde, intitulée "caprices et souvenirs", 15 nouvelles plus légères pour la plupart s'inspirant de la vie parisienne de l'écrivain, taillant des portraits citadins inoubliables: le fonctionnaire, le metteur en scène de théâtre, l'écrivain à l'aube de son dernier livre, le vieux monsieur et sa maison à vendre... On y trouve aussi cette gourmandise de mots qu'est le conte de Noël des "Trois messes basses". A mon sens la nouvelle à lire en dernier, comme un pêché capital de lecteur.

Ce que j'en pense: Je suis venu au cœur des pages de ces "contes du lundi" avec des idées de soleil et de Provence, de rocailles blanches, brûlantes et sèches et j'en repars avec des images et un fond sonore emplis de bruit et de fureur, de sang, de cris et de douleurs. Il n'y avait pas tromperie sur la marchandise, juste une insuffisance de renseignements pris. Et puis, cette prose, comment ne pas la louer et se dire, qu'ailleurs, au sein d'autres recueils et romans signés par l'auteur attendent d'autres promesses de bons moments.

2 commentaires:

  1. Je pense qu'il ne faut pas laisser de côté les classiques, car ils nous apportent beaucoup..
    De temps en temps je me dis " tiens, si je lisais un classique? " Rester dans le courant des auteurs modernes tout en se nourrissant des anciens.
    Belle chronique pour un auteur dont je n'ai encore rien lu! ( j'ai honte..)

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