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dimanche 9 septembre 2018

Georges Simenon - Maigret


Réédition Presses Pocket



 Copyright: 1934



Dans ce tome daté de 1934 (19ème de la série), Maigret est déjà jeune retraité. Ce roman semble avoir été le dernier d'une première série (que l'on me corrige si je me trompe). Simenon n'est pas à une approximation chronologique près dans le cursus de son héros. Le défilé des tomes s'arrange souvent avec l'age supposé du commissaire. L'auteur agit en fonction de ce qui l'arrange. Maigret était policier avant, il le sera encore après la retraite.



Or donc, l'homme à la pipe coule de vieux jours heureux sur les bords de la Loire: nature, grand air et pêche à la ligne. Avant son départ de la P.J. il y a casé comme inspecteur son jeune et insignifiant neveu. Or ce "benêt" fait des siennes un soir dans une boite de Pigalle. On l'accuse d'avoir assassiné un membre de la pègre. Il vient chercher l'aide de son oncle en jurant qu'il n'est pas coupable. Maigret, en sauveur de l'honneur familial, est ainsi de retour au Quai des Orfèvres. Mais il n'y a plus ses entrées. Pour lui, un sacré casse-tête pointe son nez... la suite appartient au roman.



Le fait est qu'ici, dans ce tome précis, Maigret, pour atteindre son but d'innocenter son neveu, démarre en position de handicap. Il est seul (ou presque). Il n'est plus qu'ex-fonctionnaire en rupture d'assermentation; il ne peut ajouter le poids de la machine judiciaire à son propre poids. Il y a, en outre, via le poids du passé, tant de rancœur dans l'air, tant du côté maffieux que de celui de quelques uns de ses anciens collègues.



Maigret n'est plus commissaire. Il n'a plus le droit d'enquêter. Il le fera pour son propre compte, en léger dépassement constant de la légalité. S'il franchit lourdement la frontière, il ne pourra aller plus loin: la police s'est arrangée du coupable débusqué, les truands activeront leurs faux alibis et avocats dévoués. Maigret marchera sur des oeufs, tout lui sera sable mouvant même s'il connait sur le bout des doigts le terrain où il évolue. L'expérience qu'il a de Pigalle et de sa pègre; l'habitude des règles du Milieu, de ses rites et coutumes; le réveil de ses anciens repères au milieu des truands et malfrats, seront ses instruments vers le succès.


Ses méthodes habituelles seront improductives, et il le sait et le Milieu ne l'ignore pas. Pour atteindre le coupable il devra se réinventer, emprunter d'autres chemins non pas tant de déductions logiques (il croit savoir rapidement qui est le coupable) et d'immersion dans le milieu dans lequel il plonge (tout le monde le connait, lui et ses méthodes) que de persuasion et de manipulations poussant le criminel à la faute. La retraite, comme un boulet à ses chevilles, une entrave à sa "manière policière habituelle"; sa réaction sera d'obliger ses adversaires à se démasquer. 

Le présent tome sobrement intitulé "Maigret" aurait pu être "Maigret met la pression".

Simenon, à mon humble avis, se lance ici un défi: celui de réinventer son héros, de nous le montrer sous un autre angle, celui combatif et mordant de la teigne qui ne lâche pas sa proie, qui va la pousser à l'erreur. Cet objectif fera que ce Maigret nouveau, plus persuasif qu'immersif, plus pressé que patient, prendra toute la place au détriment d'un background humain qui apparaîtra en contraste bien palot, pas à la hauteur du héros. Le tome est consacré à la pègre de Pigalle, celle des années 30, celle qui gravite autour du sexe, de la drogue et du hold-up. Si l'auteur nous montre "Messieurs les Hommes", à côté de son Maigret déterminé et fort dans sa tête, c'est pour les cantonner, cul sur une chaise, au bistrot et à la belote, à la recherche de faux alibis, au respect de la loi du silence. Les mafiosi sont falots, Maigret n'en parait que plus grand, prenant tout l'espace. C'est le seul défaut du roman.

Simenon pouvait t'il nous raconter cette histoire sans faire de Maigret un retraité ? Non, c'était impossible. La mécanique de l'enquête aurait du être tout autre et l'histoire aurait perdu son charme. Cet état en retrait imposé à un Maigret entravé est, à mon sens, le fait d'importance de l'épisode, son axe principal, son attrait indéniable. Il fait toute la particularité et l'intérêt du récit, l'essentiel du propos. L'idée maîtresse de Simenon fut celle, me semble t'il, de cadenasser Maigret dans une logique d'enquête officieuse et de voir comment son héros allait s'en sortir. L'auteur semble se poser au-dessus des débats, imposer un défi à son héros en ayant l'air de lui dire: "Allez vas-y, montres nous que tu es capable d'agir autrement..!". Simenon doit ainsi, loin des ficelles habituellement en action, presque réinventer un autre héros, celui-ci fonceur et agressif, peu immersif et observateur. Tout est dans l'action, la persuasion forcée, la manipulation rusée. Il y a un contre argument de poids à ma thèse: la longue, lente et magique scène dans laquelle Maigret à son habitude observe en silence ses cibles 12 heures durant, assis silencieux au fond d'un bar. Autre bémol: je ne connais pas suffisamment Maigret pour être catégorique et conforter mon propos quand d'autres épisodes ont bien du montrer le commissaire entravé dans son action, ceux par exemple dans lesquels il est à l'étranger.

"Maigret" n'est pas le meilleur épisode de la série. Mais j'y ai trouvé néanmoins plaisir à le lire via son côté "autre" et l'impression d' y avoir débusqué un héros différent, un profil d'homme déterminé à défendre ses proches. La famille de Maigret, lui comme chef de meute et justicier solitaire, face à celle du Milieu et celle du Quai des Orfèvres.

NB: Il en existe une adaptation: "Maigret", téléfilm français de Claude Barma, avec Jean Richard, diffusé en 1970




















erreur c. Bords de Loire et pêche au brochet. A la PJ, Quai des Orfèvres, il a casé son neveu
 


12 commentaires:

  1. Bonne analyse d’un roman intéressant mais que je ne place pas parmi les meilleurs. Pour la chronologie, Simenon n’y attache pas d’importance. C’est parfois irritant (nous avons pris l’habitude avec Mankell, Rankin, Harvey et bien d’autres de suivre un personnage dans l’évolution de sa vie professionnelle et personnelle) mais c’est bien pratique pour Simenon qui peut faire ce que bon lui semble selon l’inspiration !

    Il est vrai que Maigret agit en « justicier solitaire » dans ce roman mais n’est-ce pas le plus souvent le cas ? Cela lui est d’ailleurs souvent reproché par sa hiérarchie qui considère qu’un commissaire (et encore plus un principal ou un divisionnaire) doit coordonner une enquête puis son bureau du quai et que sa place n’est pas dans les bistrots et les loges de concierges !

    C’est pour cela que l’absence de soutien officiel n’empêche pas vraiment Maigret de mener à bien ses investigations. Et il lui arrive souvent de mener des enquêtes hors de da juridiction, soit à la demande d’un ami (Au rendez-vous des Terre-neuvas), de connaissances (Chez les Flamands) ou d’un collègue (L’inspecteur cadavre). Sans compter les aventures en terre étrangère (Maigret à New York) ou quand il est à la retraite (Maigret se fâche)…

    Merci d’avoir mentionné le téléfilm tiré du Roman. Jean Richard a parfois été un Maigret acceptable mais Claude Barma était un grand réalisateur !

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  2. Merci d'être passé, ainsi que de toutes ces précisions érudites et précises. Je n'ai pas ton encyclopédisme policier et tes commentaires me sont précieux. J'ai moins de Maigret(s) derrière moi que devant, sans compter ceux lus jadis et qui n'ont laissé d'autre trace que le titre. Je poursuis mon exploration d'un héros attachant et d'un auteur habile et si prolixe (ce qui n'est pas forcément une qualité chez d'autres mais chez Simenon si car jusqu'à présent la qualité me semble constante).

    Concernant la chronologie fantaisiste il me faut bien t'avouer que, sans toi, je n'aurais rien vu. Je lis les tomes-papier au fur et à mesure qu'ils me tombent sous la main, donc dans le désordre absolu. Mais c'est une anecdote significative de la part d'un auteur qui ne semble pas avoir perdu son lectorat à cause de ses petites libertés avec la chronologie.

    Il m'a semblé que dans ce tome, Maigret se montrait plus bagarreur, pugnace, hargneux qu'ailleurs. Je l'ai trouvé plus dans l'action, dans l'impact psychologique dévastateur et la haine de ce qu'il affronte, presque pressé et sans pitié (à part pour Fernande qu'il manipule mais protège, artéfact féminin perdu dans un milieu où elle se noie plus qu'elle ne nage). Maigret monte sur le ring en cogneur et cherche le K.O. rapide, comme s'il voulait que ses adversaires (pègre et P.J.) ne puissent pas s'organiser et prendre l'avantage sur son étét de faiblesse passager.

    Concernant ses rapports avec sa hiérarchie, tu as raison, il n'y a rien de changé: il n'en fait qu'à sa tête, loin de la distance hiérarchique que ses supérieurs s'imposent. Mais ici, les anciens rapports se sont volatilisés et Maigret se pose avec efficacité comme celui qui gène, qui acte un job qui n'est pas le sien, et qui va déterrer un os qui ne peut être le sien mais celui de la P.J..

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    1. La collection Omnibu propose les romans dans l'ordre chronologique d’écriture.

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    2. Donc, le prochain sur la liste est "Les caves du Majestic": écrit en 39, pré-publié en 40 et paru en 42 (dixit le dit Omnibus). Il n'y a rien eu entre-temps, de 34 à 39 ? Mais çà semble logique quand même: dans "Maigret" le commissaire est à la retraite, comme menacé d'abandon; le roman semble clore une première époque (Wikipedia dixit) et Simenon y revient 5 ans plus tard. Pourquoi cette disparition ? Le désir de privilégier le Simenon généraliste..? Maigret l'a t'il lassé, a t'il pensé qu'il en avait fait le tour..? Pourquoi cette renaissance ? Je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec Conan Doyle et Sherlock Holmes via les chutes du Reichenbach.

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  3. Je pense être venu à Maigret via "L'affaire Saint-Fiacre", le film (Gabin) puis dans la foulée le roman. Les deux sont d'un tel poids psychologique que j'ai voulu en savoir plus sur cet auteur qui disséquait si bien les hommes, fouillait leurs part d'ombre. J'ai su plus tard que Saint-Fiacre décrivait un lieu d'enfance de l'auteur. Simenon est t'il habitué à faire rejaillir les lieux de son passé dans ses oeuvres de fiction..? Et plus généralement y a t'il une certaine part de biographie personnelle dans Maigret..?

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  4. C'est étonnant cette liberté prise avec la logique d'une suite. À la retraite au 19e épisode alors qu'il y en a plus de 75! En tout cas, il a l'air un peu particulier dans la saga celui-là, une enquête hors des clous. Je me demande si je dois faire l'effort de les lire dans l'ordre du coup.

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    1. Merci d'être passé.
      Il semble y avoir deux explications. La première étant que ce 19ème tome clos une première série avant une reprise ultérieure du personnage par Simenon. La seconde étant que l'auteur use de la chronologie de carrière de Maigret d'une manière fantaisiste qui ne fait que répondre à ses envies et/ou au profil de l'enquète à mener. Mais tu sais, ici, je suis un peu comme toi, je redécouvre peu à peu Maigret d'une autre manière que celle d'antan, me contentant jadis d'aligner les tomes lus sans chercher à comprendre plus avant. Jean-Paul Martin m'a appris qu'ici il y avait ainsi un autre monde à découvrir: celui de l'auteur lui-même.

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    2. ... et en conséquence il ne semble pas y avoir d'ordre de lecture obligatoire. Je prends comme çà vient et çà fonctionne sans problème.

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    3. Dans la mesure du possible, je les lirais dans l'ordre puisque je vais devoir les acquérir mais si un volume se glisse entre, je ne me formaliserais pas alors.

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    4. J'évite les ebooks. Je ne m'y fais pas (ou difficilement). Aussi est-ce en version papier que je m'attache à les lire. J'en avais quelques uns épars au gré d'éditions poche diverses. Mais depuis peu, à tout hasard, j'ai fait l'acquisition en neuf (pas chère, 5 euros) de "L'Omnibus 3" de "Tout Maigret" (avec de belles illustrations et photos des lieux traversés: et là c'est un vrai plaisir de lecture au fil d'un bel objet. J'ai déniché en outre 4 autres Omnibus en France Loisirs (5 romans par tome: "Maigrets" et "romans durs", 1euro99 la bête, çà ne se refuse pas mais ce n'est pas pareil)

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  5. ici ça va être le club des fans de Maigret :-D ( ou de Simenon, de manière générale)

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    1. Oui..! A ma connaissance (mais il doit y en avoir beaucoup d'autres), nous sommes trois blogs à tourner (entre autres auteurs et genres)autour de Simenon et de Maigret:
      http://livrepoche.fr/
      https://le-long-des-paralleles.blogspot.com/
      et ma bible rayon "romans policiers"
      http://www.polarsurbains.com/

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