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mardi 4 septembre 2018

Moebius - The long tomorrow


















 Les Humanoïdes Associés, 1989.





Giraud/Moébius, 1938-2012, fut l'un des principaux acteurs de la BD française.

En tant que dessinateur hors pair, et à un moindre niveau scénariste, il eut une double empreinte sur le milieu international de la BD.

Moebius est l'autre versant de Jean Giraud.
Ce sont les deux faces d'une même pièce au service des vignettes, des phylactères, des dessins et des couleurs.
L'un, Giraud, porte, à ma connaissance, son nom de naissance. Il a signé le graphisme réaliste et pointu de la célèbre série Blueberry: un western à tomes multiples, de très haut vol et qui a scotché et scotchera encore quelques générations successives de lecteurs passionnés.
L'autre, Moebius, est un pseudo. Ce double se mettra au service de la SF dessinée, souvent absurde, humoristique et parodique. Il fera en compagnie d'autres dessinateurs de qualité les riches heures de la célèbre revue "Metal hurlant": cultissime, novatrice, internationale et inégalée.
Les deux formèrent une sorte de Dr Jekyll et Mister Hyde graphiques où l'on ne sut jamais différencier le bon du méchant. Il m'a fallu longtemps pour admettre qu'ils avaient la même main.
Ce sont le même homme, la même chair, hydre à deux têtes au service de deux talents BD dissemblables, aussi bien de fond que de forme; ils ont les mêmes plumes, pinceaux, gommes, encre de Chine et couleurs et leurs rendus sont si différents. Ils sont deux en un.

La série intitulée sobrement "Moebius" (6 tomes aux Humanoïdes Associés) est la réédition d'histoires courtes issues d'horizons divers. J'ai l'ambition de la chroniquer, peu à peu. Tome après tome, sans souci d'ordre chronologique de parution. Ces bandes firent presque toutes parties d'une période de ma vie durant laquelle je guettais la revue "Metal Hurlant" en Presse. Il y eut aussi "Fiction" au titre de mes attentes périodiques, mais çà c'est une autre histoire. "Metal Hurlant" fut assez longtemps un vivier de génies en ébullition permanente.



Le présent tome regroupe 7 histoires courtes. Je ne me concentrerai que sur les principales (à mon sens).

1 - The  Long Tomorrow:

Dans un lointain futur, au coeur de la verticalité d'une énorme cité souterraine à haute technologie.
Pete Club, détective privé, se voit confié la banale mission de récupérer une mystérieuse mallette dans un casier de consigne, tout en bas, au coeur des bas-fonds malfamés de la cité.La commenditaire est une affriolante vamp aguicheuse.
Dans le même temps la police poursuit un homme dans la mégapole enterrée, c'est un espion de cinquième colonne, dit t'on, au service d'une race E.T. belliqueuse.
Rien ne sera simple.

Ici Moebius convoque Raymond Chandler, auteur iconique du polar noir US des 50's et le clone futuriste de son charismatique héros Philip Marlowe. On se surprend à essayer de surprendre les héros dessinés se métamorphoser en Humphrey Bogart et Laureen Bacall du futur.  Au niveau scénario, à celui des textes inclus dans les phylactères, on retrouvera bien des tics littéraires propres à l'auteur du "Grand Sommeil". Il y a volonté de pasticher, de parodier et surtout de rendre hommage. Mais le rendu est si réaliste que la volonté première s'efface et que naît une œuvre à part entière.

La genèse de "The long Tomorrow" est complexe et passionnante.

En 1975 Dan O'Bannon (scénariste et réalisateur américain de films SF ou d'horreur) rencontre Jean Giraud (en tant que Moebius).
L'objectif de la rencontre entre les deux hommes est une adaptation ciné de Dune (Frank Herbert) sous la houlette de Alexandro Jodorowski. Le premier a été pressenti pour le scénario, le second pour le story board. Le projet ne verra jamais le jour faute de financements.
Mais la rencontre à Paris entre Moebius et O'Bannonapportera d'autres fruits que ceux escomptés: O'Bannon dessine aussi et montre quelques uns de ses projets à Moebius . Entre autres celui d'un pastiche "SF+ polar noir US des 50's". C'est "The Long Tomorrow". Moebius entrevoit derrière la caricature une œuvre vraiment originale. Il reprendra scrupuleusement le scénario initial, les ébauches quasi finalisées, le story board presque terminé et livrera une BD franchement novatrice pour l'époque. Au final, la version de Moebius parait en 1976 dans deux des premiers Metal Hurlant et en 2018, celle de l'américain est visible sur le net.
Mais le mythe ne s'arrête pas là. La cité souterraine futuriste proposée par Moébius influence les décors de Blade Runner de Ridley Scott (1982). Dans le même ordre d'idées: Besson, dans "le 5ème élément", au cours de la longue séquence en taxi jaune du début du film, a semble t'il été lui aussi largement influencé. 















Si "The long Tomorrow" version Moebius, loin de son projet initial parodique, est considérée à juste titre comme une BD réaliste, elle garde néanmoins quelques clins d’œil humoristiques ; ils sont ciblés revues et dessinateurs français de l'époque.
___Une vignette de la cité tentaculaire montre une devanture de commerce marquée "L'echo des (non lisible)" (une autre revue de l'époque ... celle dont le titre finit par Savanes).
___Une carlingue de fusée au décollage porte l'inscription "Vadonke" (perso çà me fait rire, si, si..même que j'ai honte).
___L'héroine nue, au labeur avec Pete Club, crie "Rhââ Lovely" (ceux qui aiment Gotlib comprendront)... etc

Ce principe me fait remonter en mémoire le souvenir de la pochette de "Somewhere in Time" d'Iron Maiden qui, par de menus détails graphiques, fait allusion à la SF ou au groupe lui-même. Si vous voulez vous amuser à les débusquer...(cliquer gauche pour agrandir)



Ce que j'en pense: comment ne pas aimer l'art graphique de Moébius quand il nous livre comme ici le meilleur de son talent à cheval entre le polar et la SF, via l'humour et le sérieux, le tout sur un scénario qui tient la route ? L'histoire est rondement menée, sans temps mort. Le graphisme est soigné, les vignettes sont habilement agencés. Que demander de mieux...? Si un best of du maître était à l'ordre du jour: ces quelques pages y seraient.

2 - Rock City:

Peut-être est-ce la même cité que celle de "The long Tomorrow" ? Tentaculaire, technologique et démographiquement dense.
Moebius nous montre des citoyens apathiques sous la surveillance constante de caméras judicieusement disposées dans les lieux publics et dans l'intimité de chacun. 1984 et Big Brother ne sont pas loin. Elles surveillent, guettent, épient, traquent et recadrent celui qui prend les voies de traverse. Une caméra déniche une cible déviante et ne la lâche plus. Nous sommes dans la civilisation du chemin tracé, il ne faut pas s'en écarter. L'individu lambda joue un rôle inamovible et en sortir est un défi...réglé d'avance.
"Rock City" fut une commande de Metal Hurlant pour un hors-série "Special Rock".
La "rock n' roll attitude" est une manière de vivre que notre déviant possède. Il est rockstar mais veut en fuir le statut pesant. Le système pèsera sur lui et, paradoxalement, notre il restera ce qu'il est: "long live rock n' roll". Tout est dans le piège dans lequel on empêtre sa rébellion, si rébellion il y a. La mise en abime est assez inattendue, kafkaïenne et propre à la réflexion. Elle s'inscrit dans une boucle sans fin, dans un anneau de Moebius vertigineux..

Ces sept pages sans phylactère, au déroulé de vignettes réglé au millimètre, aisément compréhensible malgré sa manière de BD muette est un plaisir des yeux et un régal pour l'esprit.
Moebius semble nous dire que la SF et le rock sont des ghettos culturels, qu'y entrer c'est en accepter les règles et en sortir une autre histoire.
J'aime l'un et l'autre et je me sens libre.
N'empêche, "Rock City" est un bon petit bout de BD intelligente car elle s'ouvre sur la réflexion. L'esprit y est typique des 70's SF dystopiques.

3 - Le monde est bien petit.

Tout est dans le titre.
Un vaisseau terrien est en orbite basse autour d'une planète jusqu'alors inexplorée, de type Terre "compatible et colonisable", A son bord un unique couple. Il débarque et rencontre un "Robinson Crusoé" qui...
Ce que j'en pense: mouaiiis..! Si ce n'est que le graphisme, une nouvelle fois, vaut le détour.

4 - Barbe-Rouge et le Cerveau - Pirate.

Si vous avez déjà vu "2001 Odyssée de l'espace" de Stanley Kubrik vous connaissez Hal l'ordinateur dément du vaisseau Discovery One. Moebius en réalise un pastiche en imaginant Hal prenant son capitaine pour Barbe-rouge et jurant comme le capitaine Haddock. Dispensable. Très dispensable.

5 - Artefact:

6 -Approche sur Centauri

Un vaisseau spatial sous l'impulsion de son commandant bascule en hyper-espace. Mais c'est une plongée dans "autre chose" qui se déroule avant le retour à la normale. Il y a un avant, un après et un pendant. La première et la dernière phase montrent les dessins types de Moebius; celle centrale étale des monstres de cauchemar à la manière de Druillet (qui signe d'ailleurs le scénario) agressant le capitaine du navire . Les dessins afférents à l'approche et à la sortie de l'hyperespace sont sages et colorés, ceux du passage dans "l'entre deux" montrent des vignettes effrayantes, sombres, inquiétantes et menaçantes. On se croirait dans une des nouvelles de H.P. Lovecraft: le héros bascule dans l'horreur d'une civilisation autre via "une des portes vers l’innommable"; il en revient hébété, traumatisé, à peine enclin à faire partager son expérience. J'adore. Ces quelques pages sont un tour de force graphique, un défi réussi qu'à relevé Moebius. Chapeau, l'artiste.
Et hop, dans le best of..!











 










7 - Variation n°4070 sur "le" thème.

Commande de "Metal Hurlant" pour un HS "Special Guerre nucléaire".

Quelques jours après l'embrasement. Sur une Terre dévastée. Une troupe militaire armée et protégée des radiations chemine parmi les ruines. On dresse un poteau d'exécution...la suite appartient à Moebius.
Il y a dans le thème abordé (l'énormité du poids des bombes accumulées face au conservatisme des militaires) un aspect politique vraiment typique des 70's françaises: dénonciateur, irrévérencieux, iconoclaste et militant jusqu'auboutiste. Sans dessins à l'appui, le tout aurait pu paraitre en nouvelle dans un des recueils de la collection "Ici et maintenant" (Kesselring Ed.) qui fut le chantre du militantisme SF de gauche durant les 70's. Je ne prend pas ici position mais ne fait que constater.
Il y a du Jean-Pierre Andrevon dans ces quelques pages sombres qui reprennent deux des chevaux de bataille du grenoblois: rien ne changera au cœur de nos institutions même si le pire nous tombe sur la tête.

Appréciation générale: Allant de l'excellent au dispensable, ces histoires courtes donnent à revisiter le parcours fécond d'un des plus grands dessinateurs de la BD française. En outre elle replonge le nostalgique dans le passé d'une revue de qualité qui longtemps tint le haut de la rampe, sous les feux d'une critique internationale élogieuse à son égard: "Metal Hurlant".

Merci Giraud, merci Moebius.

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