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mercredi 2 janvier 2019

Erich-Maria Remarque - A l'ouest rien de nouveau






Réédition Livre de Poche-1978

Réédition Livre de Poche-1973



Je m'étais promis de conclure l'année 2018, rayons lectures et centenaire de l'Armistice du 11 novembre aidant, par un roman d'importance consacré à la guerre des tranchées. J'ai choisi cet "A l'ouest rien de nouveau" car il se déroule de l'autre côté du front en effet-miroir de notre propre Histoire du conflit, dans des tranchées qui ressemblent tant à celles de nos Poilus, où rats et poux ne font pas de distinctions de langage, où les blessures crachent le même sang rouge, où les étoiles sont fusées éclairantes suspendues à de petits parachutes mais n'apportent pas l'espoir en un avenir meilleur.

Le héros de "A l'ouest rien de nouveau" se nomme Paul Bäumer

Il est allemand, il a 18 ans à peine et est soldat dans les tranchées. 

Il nous dit "je" en narrateur harassé, désabusé et meurtri, "je" en bête solitaire à l'épreuve de la survie, "nous" en humain à l'école de la fraternité.

Sept soldats d'un même village:  
_"nous" les jeunes engagés volontaires,
_"nous" que la force de conviction patriotique d'un instituteur inconscient a convaincus;
_"nous" en terre de métal fracassé, de chairs déchiquetées et de sang mêlés;  
_"nous" au cœur de toutes ces années d'inhumanité;  
_"nous" au Front dans l'enfer du conflit.

Qui reviendra pour raconter et dénoncer..? "Je" peut-être ?

Paul Bäumer nous parle de ses jeunes années insouciantes sous le toit familial, de ce futur dont il rêvait et dont on va l'amputer... de ses 18 ans dans les tranchées de 1914, de ses 19 dans celles de 1915 ...etc, jusqu'à quelques encablures de l'Armistice. 

Bienvenue dans l'enfer de la mort légale à ciel ouvert, à l'étal du boucher.

"Je" nous parle de ceux qui meurent et de la manière dont il partent. Pas de suggestion qui voile et adoucit, tout est dans le détail de l'horreur qui marque. Dans l'indélébile qui gifle et secoue au plus profond de l'âme: n'oublie jamais, lecteur..!

"Je" nous parle de ceux qui survivent, de la manière dont ils flattent la Chance, elle seule faisant toute la différence entre la vie et la mort. "Je" nous dépeint leur instinct de fauve qui traque ou de gibier qui fuit; de l'utilité vitale à décrypter les odeurs de nourriture et d'hommes, les bruits qui rôdent dans la nuit, les convulsions qui secouent la terre, le feu du ciel qui brûle les nuits. "Je" nous montre des bêtes traquées mais encore et toujours assoiffées par la seconde suivante, celle qu'il faut vivre à tout prix, qui en appellent d'autres..."Je" nous parle de ceux qui restent, de l'amitié qui cimente les hommes face à la folie qui guette. 

Et quand la vie colle aux chanceux, elle leur réserve d'autres cauchemars, ceux du permissionnaire de retour chez lui, vers cet arrière espéré mais mystérieusement redoutable.

Une mère ou une épouse attend loin du Front dans la maison familiale, lettres censurées du fils ou du mari sous l'oreiller; elles savent qu'un jour le facteur aura une lettre officielle qui ne laissera plus aucun espoir, ou que viendra un permissionnaire tremblant, avec une plaque militaire en paume de main tendue. Paul Daümer sera de cette corvée. Et quand, par bonheur, à la permission suivante, il revient: il sent qu'il n'a plus sa place à l'arrière puisqu'il il ne peut mettre des mots sur les choses vécues, qu'on ne le comprend pas.. et qu'il est mieux là-bas, sous le feu, sous l'aile de la camaraderie.

Mais "je" aurait pu être Poilu français ou Tommy anglais, soldat américain ou russe. C'était du pareil au même: sur un coup de malchance, sur la trajectoire rectiligne d'une balle ou d'un éclat d'obus, la mort moissonne sans distinction de races ou de religions. Français, anglais, allemands, russes, américains. Catholiques, protestants, anglicans, juifs, musulmans. Noirs, blancs..etc

C'est la grande force du roman: de part et d'autre du Front il n'y a plus d'idéaux patriotiques, rien que des hommes qui meurent sans savoir pourquoi. Il n'y a plus de rêves nationaux; rien qu'un ciel de ferraille et de mort sous lequel crève l'humain d'un côté et de l'autre du no man's land, en copié/collé des mêmes forces et faiblesses, qualités et défauts, croyances et foi.

Roman terminé, Erich Maria Remarque laisse son lecteur à la réflexion. Elle se peuple d'une longue cohorte de soldats qu'il n'est pas près d'oublier et qui pointent un doigt accusateur ... "

Ceux...tués dans la ligne de mire d'un fusil, éviscérés sous la mitraille, passés au fil de la baïonnette, évaporés fracassés désossés écharpés fragmentés volatilisés éparpillés déchiquetés disparus envolés, ensevelis et enterrés vivants, abandonnés pour morts entre les lignes et réclamant leur maman, gazés asphyxiés étouffés dans l'horreur absolue de l'ypérite, disloqués mutilés estropiés amputés gangrenés défigurés gueules cassées, éventrés, énucléés et aveuglés, décapités ou trépanés (pour une tête de trop au-dessus de la tranchée), fusillés (pour l'exemple), affamés vérolés infestés (de poux), lapidés (par les mottes de terre gelées soulevées et retombant du ciel).... etc

Bernés dupés trompés grugés sacrifiés délestés.
Toute une génération sacrifiée d'hommes à qui on a menti, à qui on n'a pas tout dit, à qui on a pas parlé des fortunes accumulées dans l'industrie de l'armement, à qui on a parlé d'honneur et de patrie, et qui n'ont pas pensé que "Got mit Uns" barrait les mêmes photos d'un "Dieu est avec nous" de l'autre côté du Front..

Toute une génération d'hommes cueillis dans la force de l'age:  certains sans avoir connu le goût sucré/salé du premier baiser à l'ombre d'un pommier; sans la fièvre, l'excitation et la fierté du premier amour sur la paille de la grange en été, sans la moindre promesse de progéniture à venir, des lignées entières d'hommes anéanties, rendues à la terre. 

Des hommes pour rien, des hommes pour mourir..! Des hommes terreau..!
Mon Dieu, quelle vision que celle de ces hommes à usage unique que l'on prend que l'on jette et remplace quand il sont cassés.

La boue le froid la neige la pluie le vent le brouillard l'humidité la canicule. La vermine les rats les poux. La saleté la crasse. La sanie le pus le sang noir rouge purulent. Les yeux vides des morts. Les cercueils de bois blanc, creux, sonnant tambours, qui attendent, empilés, comme à la parade.

Le Front était un fil incandescent tendu sur l'horizon, tant d'innocents de part et d'autre, sur ordre, sont venus y carboniser leurs jeunes vies. Fichu monde que celui qui permet çà. Ce devait être la der des der. Que reste t'il de cette belle idée ?

J'ai honte de nous.

J'ai lu ce chef d’œuvre pacifiste et furibard en 1987, l'ai relu en 2018, ne serait pas là en 2118 pour écrire à nouveau qu'il ne nous faut rien oublier. Puisse le ciel sauvegarder ce livre au fil des ans et apporter encore et toujours son message à celles et ceux qui suivront.

"A l'ouest rien de nouveau" est paru initialement en 1928 sous forme de feuilleton. Outre-Rhin le roman eut un succès immédiat, devint un best-seller mondial. Il fut adapté en 1930 au cinéma, autodafé à Berlin en 1933. Erich Maria Remarque, allemand de naissance, s'exila en 1938.

PS:

Aujourd'hui, le 26/04/2019, je viens de retrouver une autre chronique dans les tréfonds de mon unité centrale. Elle date de 1999, soit 20 ans pile en arrière. Je ne me souviens pas de l'avoir un jour écrit. Mais ma manière y est, bel et bien.

Qu'en faire ?
L'abandonner à son fichier word d'origine..?
L'insérer dans les commentaires de celle que vous venez de lire...où elle serait bien trop lourde à lire ?
Ouvrir un autre article en expliquant le problème ?

J'ai choisi la dernière voie car mon ressenti venu d'une autre époque, j'avais alors 44 ans, ouvre d'autres fenêtres sur le roman, d'autres trajectoires de réflexion que celles ici abordées.



Voir la version 2 sur le même blog


11 commentaires:

  1. Des hommes terreau... oui, c'est exactement ça.
    Quel gâchis!
    Comme tu dis, on ne devrait jamais oublier, mais l'histoire se répète tjs! et encore aujourd'hui.. l'homme est amnésique :-(
    entre la première et la deuxième guerre il ne s'est pas écoulé bq de temps, et pourtant..
    comme d'habitude, tu nous offres là une chronique magistralement présentée, tes mots reflètent bien tes émotions.. à tel point que je n'ai pas envie de lire ce livre.. trop les pieds dans le plat, je ne pourrais pas le lire, c'est une certitude..
    cette lecture a dû te laisser dans un tel état de dégoût envers l'humanité!

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    1. NE PAS OUBLIER.
      L'Armistice à mon sens n'est pas symbole de victoire, elle signe une fin, celle de l'horreur d'une guerre sans rime ni raison, un soulagement pour les deux camps.

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  2. Le 5 décembre 1930, à Berlin, lors de la première du long métrage, trois ans avant qu'Hitler ne soit au pouvoir, des boules puantes et des animaux sont lâchés dans la salle, le nazisme se cherche un coup de propagande. Le film est retiré de l'affiche une semaine plus tard. La censure frappe, le conflit à venir se prépare.

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=dMIO_3qUM5Y

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    2. sale époque...:-(
      mais même de nos jours, j'ai l'impression qu'un rien pourrait faire basculer un équilibre serein en apparence..

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  3. c'est le genre de livre qui devrait être imposé au lycée... peut-être que c'est le cas?

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  4. Avin, je trouve cette chronique formidable. Vraiment.

    C'est un sujet qui te tient à cœur et ça se voit.


    > Cheyenne : "Des hommes terreau... oui, c'est exactement ça."

    Expression terrible (et belle à sa façon...)

    Ça me fait penser à un épilogue qui m'a beaucoup marqué, celui du roman Dragon rouge de Thomas Harris. Extraits :

    « C'était au printemps, peu après la mort de Garett Jacobs Hoobs, qu'il avait visité le site de Shiloh.
    Par un beau matin d'avril, il avait traversé la route bitumé qui mène à Bloody Pond – l'Étang Sanglant.
    Les jeunes pousses d'herbe d'un beau vert clair formait un tapis qui descendait jusqu'à la pièce d'eau. Il y avait eu une crue et la pelouse était encore visible sous l'eau, elle semblait tapisser le fond de l'étang.
    Graham savait ce qui s'était passé ici en avril 1862 (1).
    (...)
    Il avait cru Shiloh hanté, avec sa beauté sinistre comme un étendard.
    Et maintenant, à mi-chemin entre le rêve et le sommeil dû aux narcotiques, il découvrit que Shiloh n'avait rien de sinistre ; il était indifférent, c'est tout. Shiloh l'admirable pouvait tout voir. son inoubliable beauté soulignait tout simplement l'indifférence de la nature, ce Vert Engrenage. Le charme de Shiloh se moque bien de notre désarroi.
    (...)
    Le Vert Engrenage ne connaît pas la pitié ; c'est nous qui créons la pitié et l'élaborons dans les excroissances de notre cerveau reptilien.
    Le meurtre n'existe pas. C'est nous qui l'inventons, et c'est à nous qu'il importe.
    (...)
    Oui, il s'était trompé à propos de Shiloh. Shiloh n'est pas un lieu hanté – ce sont les hommes qui sont hantés.
    Shiloh s'en moque bien. »

    (1) La bataille de Shiloh fut l'une des plus meurtrières de la guerre de Sécession. La soudaineté de l'attaque sudiste faillit submerger les troupes nordistes acculées au fleuve en crue. L'armée de l'Union perdit treize mille hommes sur soixante-trois mille. (N.d.T.)

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    1. Avin, je trouve cette chronique formidable. Vraiment.
      >>> Merci.

      C'est un sujet qui te tient à cœur et ça se voit.
      >>> Oui, car 14-18 est une guerre pour RIEN née seulement de jeux d'alliances offensées demandant réparations. Qu'est l'offense quand pour la laver on efface la vie.

      France: 1,45 million de morts et de disparus, 1,9 million de blessés, soit 30 % de la population active masculine (18-65 ans), la plupart des hommes jeunes de 17 à 45 ans, qui n'auront jamais d'enfants.
      2 400 « poilus » condamnés à mort dont 600 fusillés pour l'exemple, les autres voyant leur peine commuée en travaux forcés.

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  5. Superbe chronique Avin,
    Je l'ai lu il y a déjà pas mal de temps, une époque où j'étais moins concentré. Il ne me reste pas grand chose de cette lecture dans le contenu sinon le souvenir d'avoir été profondément touché.

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    1. Merci pour l'appréciation.
      Le bouquin est un électro-choc qui chahute son lecteur dans le seul but d'une prise de conscience profitable à l'avenir.

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