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vendredi 7 juin 2019

L'ours en peluche - Georges Simenon



Réédition Presses de la cité - 1967


Omnibus "Georges Simenon 12" - France-Loisirs 2017


Après "Le coup de lune" et "Un nouveau dans la ville", croiser une nouvelle fois un des "romans durs" de Simenon (tels qu'il désignait lui-même ses policiers sans Maigret associé) me fut plaisir renouvelé. Celui-ci, "L'ours en peluche" est paru en 1960 et constitue l'un des plus noirs. Il habille de ténèbres la personnalité d'un loser couché pour le compte, ex-winner d'exception qui, pour se redresser un peu, usera de l'abject ... Le décor du jour: le milieu médical, ceux qui en vivent et ceux qui gravitent autour.

A Paris, dans le XVI arrondissement, à la fin des années 50.

Jean Chabot, 49 ans, gynécologue obstétricien de renom, propriétaire d'une clinique privée et réputée, professeur à la faculté de Paris. Une épouse grand luxe à la tête vide, trois enfants élevés dans la soie, une maîtresse à temps plein (bien d'autres si affinités horizontales ponctuelles rencontrées), une famille et belle famille à l'avenant, des amis bien placés qu'il convient d'aider pour en obtenir la réciproque ...

Un monde autarcique, recroquevillé sur lui-même, à sa propre écoute exclusive. Mais derrière les décors truqués tombent les masques ...
.
Chabot, un nom connu qui pèse sur la ville, sur l'Ordre des médecins, un Grand Patron incontournable, un de ceux qui font et défont ...
Un mandarin à l'ancienne, presque une caricature, une référence médicochirurgicale incontournable, une personnalité qui compte. Un levier social qui construit les carrières des internes en stage, déconstruit d'une pichenette celles qui lui déplaisent.

Un homme fort, pourtant si faible quand surviendra l'inattendu ... l'ours en peluche.

Chabot, un homme pressé, au zénith de sa carrière, à l'emploi du temps de ministre, toujours là où l'attendent des courtisans obséquieux, où son diagnostic infaillible se fait soulagement, où son geste chirurgical précis et salvateur s'impose.
Son destin est à ses pieds, voulu et accompli dans le moindre de ses fantasmes: la richesse, la notabilité, la puissance, l'argent, les femmes ... Toute une vie tendue vers cet objectif, celui de la reconnaissance de sa valeur et de son poids, une course de chaque instant, en chasse d'un avenir soyeux pour lui et les siens.

Si ce n'est que pour ses derniers...

Chabot le sait, pour sa famille, il n'est plus qu'un moyen pratique, utile voire indispensable: pour continuer à vivre sur un grand pied, rester insouciant de l'avenir. L'intérêt remplace l'amour et Chabot devient un outil de sauvegarde des acquis. Sa fille rêve de devenir actrice, peu de talent ni de réelle volonté, il convient de l'épauler, de faire jouer les relations. Son fils veut abandonner ses études, croyant que né Chabot, tout lui viendra sur un claquement de doigts, papa y veillera. Sa femme courre la vie mondaine dieu sait où et dieu sait avec qui. Chabot n'est plus ni père ni époux, rien qu'un levier social. Pour tous, il est devenu le dénominateur commun, l'axe, le pivot autour duquel s'articulent les moyens de bien vivre. Le protéger, le ouater, il convient ... mais l'aimer: une toute autre histoire. Chabot, au fil des ans, est devenu leur seule garantie d'une existence sans souci financier. Les sentiments ne comptent plus, ils ont disparus depuis longtemps. Viviane, sa secrétaire omniprésente, sa maîtresse (Madame est au courant mais qu'elle importance..!) organise sa vie dans les moindres détails, elle est devenue rouage indispensable, il n'est rien sans elle. Viviane donne de son corps et de son temps, mais n'est t'elle pas aux aguets..!

On lui prend désormais, sans reconnaissance aucune, comme allant de soi. Par exemple, le fruit de ses gardes incessantes qui lui volent ses nuits. Qui pour lui donner désormais ? Peut-être, cette fille de salle dont il ne connaitra le prénom que plus tard, avec qui il couche quelques nuits durant dans la chambre de garde du petit personnel, qui ne lui demande rien, semble se donner sans arrière pensée ... et disparaît.

Fleurissent les menaces de mort sous l'essuie-glaces de sa voiture de sport.
Il trouvait dans le corps de sa nouvelle amante, un succédané de l'ours en peluche qui jadis, dans son lit d'enfant, apaisait ses nuits.

Depuis, en fond de poche de son imper, attend la détente d'un révolver armé. Le blues le ronge. Un jour durant, jour et nuit, il parcourt seul la ville, sur les traces de son passé, de bar en bar, de fine cognac en fine cognac...

Adoré de ses patientes, on lui confiait des vies ... alors qu'au-delà de la brillance de façade qu'il montre de lui va se désagréger une existence, la sienne. Que va t'il en faire ? Suicide ou meurtre ... ?

Simenon, en peu de pages, le minimum syndical auquel nous a habitué l'auteur, le long de phrases simples agencées dans l'efficacité maximum, affûtées en pointe, conçues en flèches décochées vers le coeur de cible, dresse le portrait en pied d'un homme qui tombe au ralenti, l'assise sapée par l'inutilité qu'il ressent de lui-même et des autres, en déséquilibre subit sous une simple pichenette du destin , sur le fil d'un équilibre incertain. "L'ours en peluche" est le récit d'une descente aux enfers inexorable. La Grande Faucheuse va passer, mais quelle est la victime ?

Le "Je" n'est pas narrateur. Et pourtant...! Simenon ne quitte jamais sa cible, son héros est toujours le sujet de l'instant. Chabot en "il" distant et démarqué est toujours omniprésent. Ses yeux, ses actes, ses pensés secrètes, ses interrogations sont les nôtres. Le lecteur est Chabot, mais perçu sans empathie, comme un cas banalement clinique. J'ai froid dans le dos. Cette distance, si grande entre lui et nous. Mais au final n'était t'il pas simplement et profondément antipathique qu'il vaut mieux s'en détacher.

"L'ours en peluche" serait de la littérature générale au service d'une étude psychologique fouillée si ce n'est que le bref final est polar noir, rouge et sanglant, percutant et affreusement déstabilisant.

Merci Monsieur Simenon ... et à bientôt, je le sens, cela sera toujours un plaisir.

PS: Jacques Deray a adapté le roman en 1994. Delon tient le rôle principal.



16 commentaires:

  1. Belle chronique qui me donne bien envie de lire ce roman ( sans Maigret en plus)

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    1. Des trois 'durs" jusqu'à présent lus, c'est incontestablement le meilleur. J'ai adoré haïr et aimé le héros. Curieuse expérience qui fait passer le lecteur de la colère à la peine.

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    2. Je pense, qu’effectivement, celui-là pourrait te plaire. L'absence de Maigret (déjà remarquée), la météo (d'ordinaire pluvieuse) n'a ici aucun impact sur la situation, un portrait psychologique très fouillé. Reste quand même une description du milieu médical et para-médical qui commence à dater. Ah, l'infirmière dévouée, presque bénévole..! MDR.

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  2. Pas encore lu celui-ci mais effectivement, tu donnes envie. Il doit forcement être sur ma wish.
    Perso, j'ai récupéré 6 Maigret, j'en retenterai un un peu plus tard.

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    1. Autour de Simenon (que tu apprécies beaucoup, çà se sent), et plus particulièrement de Maigret, un membre de Babelio, Polars-Urbains, sur le site et sur son blog (de même nom que son pseudo)constitue peu à peu un travail d'exception autour du commissaire (et sur bien d'autres polars). Ses chroniques sont invariablement marquées du sceau de la passion, de la pédagogie et de la logique.

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    2. Pour les Maigret:
      05 La tête d’un homme
      49 Maigret et le corps sans tête
      52 Maigret s’amuse
      64 Maigret et le fantôme
      67 Maigret et l’affaire Nahour
      76 Maigret et l’indicateur

      Pour Simenon, je vais tacher d'aller plus régulièrement sur Polars-urbains et voir ce que j'y trouve. De ce que tu en dit, on dirait un spécialiste.

      Ps, je risque d'être discret ses prochains jours, vacances obligent

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    3. Je n'ai lu aucun des Maigret que tu as récupéré. Concernant Polars U il est plus Maigret que Romans "Durs"...et puis, surtout, bonnes vacances.:-)

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  3. Merci pour les vacances. Rentré plus fatigué qu'en partant mais ça fait du bien.
    Je suis surpris que tu n'es pas lu le numéro 5, La tête d'un homme, n'as-tu pas une édition Omnibus qui regroupe les premiers?

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    1. Non, le n°5 n'est pas en ma possession, ni à l'unité ni en Omnibus. Je me soucie pas vraiment de la chronologie. J'ai commencè "La Neige était sale": pas simple ce "dur" là, je le sens atypique. A suivre.

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  4. Très bonne critique, précise et juste. Jean-Baptiste Baronian mentionne L’ours en peluche à la fin du chapitre 10 – L’affaire Jacoud, un roman que Simenon n’a pas écrit – de son Simenon, romancier absolu, paru en 2019 chez Pierre-Guillaume de Roux. A propos de l’affaire Jacoud, qui défraya la chronique suisse en 1958 et que suivit Georges Simenon avec l’intérêt du jeune journaliste qu’il avait été, il précise le rapport de l’écrivain avec les faits réels. Friand de faits-divers souvent d’une grande banalité mais sources d’inspiration pour de nombreux Maigret, Simenon se garda pourtant bien d’utiliser cet épisode ; en le faisant, il n’aurait été qu’un « simple rapporteur », au mieux « un excellent échotier ». Comme le souligne Baronian : « Tout le génie romanesque de Simenon réside là : dans sa faculté de métamorphoser le réel, et, sans doute, de le rendre encore plus vrai que nature. ». En effet, il est indéniable que l’intrigue de L’ours en peluche, qu’il écrira un mois après l’affaire Jacoud, offre plusieurs réminiscences avec les événements dramatiques qui passionnèrent l’opinion publique d’alors.

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    1. Merci. Voilà qui place les faits divers dans l'oeuvre de Simenon comme sources métamorphosées d'inspiration. N'était t'il pas journaliste en la matière à ses débuts..?
      Ps: cet essai est très certainement très instructif.

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  5. Voila un commentaire très instructif Polars Urbains. Je me demande s'il est possible de faire un lien avec les actualités de l'époque ou des faits-divers avec beaucoup de romans de Simenon, ou L'ours en peluche est une exception?

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  6. Je n’ai pas d’informations précises sur ce point mais on sait que Simenon, ancien journaliste et fait-diversier, s’inspirait d’événements glanés dans les pages des journaux populaires, alors spécialistes de ce genre d’affaires dont le public raffolait. Je n’ai pas connaissance d’ouvrages traitant de cette question mais suis bien évidemment preneur. Par contre, Simenon voyageait beaucoup et s’inspirait des lieux qu’il connaissait pour les « décors » des Maigret et des romans durs. Le cahier central des dix tomes de « Tout Maigret » chez Omnibus est sur ce sujet très précieux. Hélas, trois fois hélas, il ne figure plus dans la nouvelle édition de 2019.

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    1. Je plussoie: possédant "Tout Maigret 3" en version détentrice du fameux livret de 16 pages, ce bonus m'a paru un repère iconographique précieux et de qualité qui fixe tour à tour chacun des romans inclus, de part les lieux et les gens de l'époque au gré de photos et de dessins légendés.

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    2. Simenon s'inspirant de faits divers: cela serait en effet un plus éditorial certain, mais sans nul doute difficile à concrétiser au regard de tout ce temps écoulé. Peut-être peut t'on trouver des traces dans tout ce que Simenon a laissé derrière lui au titre de notes diverses..?

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