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samedi 28 décembre 2019

La Position du tireur couché - Jean-Patrick Manchette




En 1981, Jean-Patrick Manchette fait paraître "La Position du tireur couché" chez Gallimard dans la mythique collection policière "Série Noire" (n°1856).

Synopsis:

... A 20 ans, Martin Terrier, bête à manger du foin mais beau gosse, sans un sou vaillant en poche ni formation professionnelle, s'est tracé un avenir en or: dix ans pour faire fortune coûte que coûte, ailleurs qu'au pays ... Partir, revenir ... en quelque sorte se venger d'une petite bourgade qui n'a jamais fait bon accueil à une famille pauvre, la sienne.
Une promesse est arrachée à sa petite amie de l'époque: "Attends moi..!" lui dit t'il. Anne, une gosse de riches, dont il rêve comme d'un bon parti, mais socialement inaccessible,.
Les mythomanes, quelquefois, ne se trompent qu'à moitié.

... Le même homme, 10 ans plus tard, la trentaine débutante.
Son job: tueur à gages. Depuis tant d'années. L'argent coule désormais à flots.

... Aujourd'hui, il prend sa retraite. C'est ainsi, il l'a décidé, nul ne fera obstacle. Son commanditaire n'accepte pas ce congé unilatéral, prétend qu'une dernière mission, au moins, l'attend encore et qu'il ne peut s'y résorber.
Martin s'entête: il rentre au pays ... Anne Freux s'est mariée avec Felix Schrader.

Rien, ici, n'est fondamentalement original. Et pourtant. La suite appartenant au roman, elle débouchera sur un long épilogue surprenant, digne des meilleurs romans d'espionnage. Une autre constante de l'auteur apparait alors: ses prises de position politiques très tranchées.

Ce que j'en pense:

L'intérêt du roman n'est pas tant dans son pitch et son déroulé que dans la manière de conter l'histoire. Le héros n'est pas Martin Terrier mais Manchette lui-même. L'auteur prend le premier plan, ses mots s'imposent, son style hypnotise, sa façon intrigue. Le héros de papier s'efface peu à peu, prend l'arrière plan; encore n'a t'il pas fini d'en baver et de surprendre le lecteur ?

Manchette, comme d'habitude, impose un drôle de jeu littéraire. Son lecteur, c'est dit, ne saura presque rien des personnages qu'il va croiser. Seul le strict nécessaire s'imposera. Il ne sera question que d'actes à l'épreuve des faits. Black-out total, délibéré et définitif sur les espaces intérieurs des participants. Peu à peu, pourtant, des portraits psychologiquement fouillés se forment. L'auteur n'a rien fait pour çà (ou si peu), seul le lecteur est responsable de ce qu'il imagine.
Le béhaviorisme est l'étude psychologique de l'humain basée exclusivement sur son comportement extérieur. Manchette pratique l'hyper behaviorisme littéraire, il n'impose que ce que montrent ses protagonistes et pas ce qu'ils ressentent. Il se veut banal narrateur de faits divers. Manchette bat et distribue les cartes, le lecteur en reçoit sa part; libre à lui d'interpréter en fonction de ce qu'il a en mains.
A ce jeu là, l'auteur économise ses mots à ne rien intérioriser. La nature ayant horreur du vide, l'action pure bouche les trous, se fait omniprésente, dense et se pare pour faire bonne mesure d'une violence palpable, crue, non suggérée, délibérément visible et décrite sans fard (ce n'est néanmoins pas du Gore, loin de là). Elle apparait comme dans les thrillers, au sommet d'une montée crescendo du suspense, comme une cerise sur le gâteau. Du grand art.

Autre particularité: Manchette épure souvent son style, enlève le gras, s'attaque au maigre. Les phrases sont réduites au minimum syndical. On se rapproche ici du polar noir US des années 30's et 40's. On entrevoit la sécheresse de style d'Horace MacCoy par exemple.
Paradoxalement le background objets est détaillé à l'extrême (armes de poing, électrophones, 33 tours de jazz, bouteilles de whisky, marques de voitures et de cigarettes, magazines, romans...) ce qui renforce le réalisme de situation.

Et, ainsi, Manchette, béhaviorisme aidant, hyper violence à l'étal, économie de mots en démonstration, hyper réalisme de rigueur fit naitre une école littéraire: le néo-polar. Il en sera le pape.

"La position du tireur couché" m'est, pour l'instant, le chef d'oeuvre de Manchette. Il a dynamité le ghetto du roman policier, s'est posé à la périphérie de la littérature générale par sa maîtrise inattendue de l'art de bien écrire.

A noter une constante chez Manchette: la fuite. Terrier s'échappe de son passé de tueur à gages, Gerfaut dans "Le petit bleu de la côte ouest" fuit la monotonie de son quotidien,  Julie Ballanger se résorbe à son passé dans "Ô dingos, Ô châteaux"

Manchette, à l'égal de Simenon, m'intéresse. Ils maîtrisent un art qui rend la chose littéraire simple et efficace. Ce que perd Simenon en classicisme policier daté, Manchette le gagne en modernité. Ce que perd Manchette en déshumanisation, Simenon le gagne en universalité. Les deux semblent se compléter. Pas étonnant qu'ils s'inscrivent aussi souvent dans mon listing "lectures en cours".

 

En 1981 sort au cinéma "Pour la peau d'un flic", l'adaptation du manchétien "Que d'os !". Réalisé interprété par Alain Delon. C'est un succès commercial. L'acteur fait acheter les droits de "La position du tireur couché" alors que le roman est encore en cours d'écriture. L'adaptation sortira en 1982 sous le titre "Le choc". Deneuve tient compagnie à Delon en haut de l'affiche. Le film est un loupé retentissant et commercialement un désastre. Le scénario, peu fidèle au roman, fait apparaitre un Delon conforme à l'image qui est la sienne à l'époque...et ce n'est pas celle du Terrier de Manchette.



En 2015, sort "Gunman" d'après le roman qui nous occupe. Avec Sean Penn. J'en ai entrevu le trailer. Je suis dubitatif.

Manchette est t'il seulement adaptable en 25 images/seconde ?
 


20 commentaires:

  1. j'aime beaucoup cette chronique, tiens! je la trouve claire et concise!
    elle me donne envie de lire ce roman ;-) ( et pas du tout envie de regarder les adaptations ciné)

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    1. Tu devrais essayer une des adaptations BD de Manchette signées Tardi. Il y en a trois: "Le petit bleu...", "La position..." et "Ô dingos, Ô châteaux". Ils sont très très très proches des romans, totalement indépendants les uns des autres. Le plus violent est le dernier cité, dernier en date aussi. A toi de voir. A mon avis ils doivent être très aisément accessibles en médiathèque (j'en prend le pari). Le meilleur est à mon avis le second, le troisième suivant l'avis de Jim.
      Cette fois ci j'ai lu roman et BD en parallèle, c'est une expérience étonnante, l'un renforce la perception de l'autre et réciproquement. Et par-dessus tout, jaillit le travail énorme de Tardi au titre de l'hommage rendu à un ami.

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    2. J'ai vu "le choc". C'est un navet. Un beau, un de race. D'habitude je suis plus nuancé, mais là je me lâche. Furieux de voir mon Manchette défiguré de la sorte. Mais Jim, s'il l'a vu en parlera sans doute mieux que moi. Le 7ème art ne m'inspire guère, du moins pas autant que notre ami qui sait bien disséquer la pellicule dans ses bonnes et mauvaises prestations.

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    3. je veux bien te croire.. en ce qui me concerne, je ne peux déjà pas m'encadrer Delon, alors..

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    4. Delon a fait de son visage de cire figée un jeu d'acteur singulier mais copié-collé jusqu'à l'usure et la transparence. Cà pouvait coller quelque fois. Par exemple ici avec les théories behavioristes de Manchette. Mais çà ne fonctionne pas. Faute au scénar devenu insipide et à deux stars qui écrasent inutilement les seconds rôles.
      Terrier, si Delon il y a, c'est dans "Le samourai" de Melville en 67 qu'on le trouve, il n'est jamais aussi bon que quand il se tait (pas tapé).

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    5. Alain Delon a dit: "Tout a été écrit sur Alain Delon, dans deux ouvrages majeurs. La Bible et le Kamasutra" (in "les Guignols de l'Info" Canal +)

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    6. _ Avin :« Delon a fait de son visage de cire figée un jeu d'acteur singulier mais copié-collé jusqu'à l'usure et la transparence. Cà pouvait coller quelque fois.»

      Tout à fait d’accord.

      Sa beauté froide créait une certaine distance, appropriée à certains rôles mais déplacée dans d’autres, qui ne la requéraient pas forcément. Et l’on avait l’impression qu’il s’y complaisait dans cette image d’inatteignable, au cours d’un tas de film plus ou moins réussis dont il était la tête d’affiche et parfois le producteur.

      Au final, ça l’aura desservi ; ça lui vaut d’être aujourd’hui considéré comme une immense star mais pas forcément un grand acteur (alors que quand il veut, il peut, du Samouraï à M. Klein).

      Quant au fait qu’il ne soit jamais aussi bon que quand il se tait, c’est encore très vrai de nos jours... hors plateaux. Mais c’est une autre histoire.

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    7. Eh bé..! :-)

      Je viens de visionner "trois hommes à abattre" qui est l'adaptation ciné de "Le petit bleu..". Le film date de 1980, il est signé Jacques Deray. On trouve Delon dans la peau de Gerfaut, le personnage principal. Fait d'importance, l'acteur est le producteur. Le long métrage est un succès commercial Le film est, en qualité, supérieur à "Le choc" qui revisite "La position du tireur couché". Delon est l'axe autour de quoi tout doit tourner en écho de ce qu'est la star aux yeux de son public. La personnalité fade de Gerfaut, le héros transparent de Manchette, disparait; le personnage de papier devient déterminé à sa survie, décidé et pragmatique. Dans la foulée Manchette perd au cinéma ce qui fait sa singularité.
      Quelques exemples: Gerfaut écoute du jazz sur l'autoradio de sa voiture, Delon ne peut s'en contenter, ce sera de la musique classique en stéréo; Gerfaut est mal marié, deux enfants, Delon est libre comme l'air, tout juste accepte t'il un célibat peu contraignant aux bras d'un ex-mannequin grande comme un jour sans pain. Belle et pour le moins photogénique elle devient un rouage essentiel du scénario alors que l'épouse de Gerfaut n'avait guère de poids. Delon, en un mot, devient l'homme de la situation devant qui tout danger s'écarte, le traqué devient traqueur alors que Gerfaut n'était que proie et gibier, faiblesse et repli sur soi même. Delon est décisionnel quand Gerfaut se montre fataliste.
      En définitive, ne reste qu'un film d'action, très rythmé, destiné à un large public... rien de plus.
      Conclusion, comme le dit "Lesyeuxdelamomie" sur Babelio: " Manchette au ciné lui dont c'était la passion a souvent fini en sacré nanars...". Rien de plus juste..!

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    8. De ma vie, je ne suis pas certain d'avoir vu (en entier au moins) un film de Delon.

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  2. pi j'ai appris un mot : le béhaviorisme !

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    1. C'est en fouillant sur le net sur les traces de Manchette que je l'ai trouvé. Avant il m'était inconnu au bataillon. Son synonyme: comportementalisme est quand même plus courant et parlant

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  3. Pareil pour moi, j'ai quelques fois entendu ce mot "behaviorisme" mais j'ai jamais pris le temps de chercher sa signification. Merci
    En plus, ça colle avec le peu que je sais de l'école minimaliste (avec Palahniuk) qui est exactement cela, la description des faits, et le lecteurs traduits et comprend ce qu'il veut/peut. Ça me plaît énormément.
    C'est décidé, cette année, je me trouve au moins un Manchette. Et ce serait bien que ce soit "Le petit bleu de la côte ouest" rapport à ce que tu dis des ressemblances avec mon roman.

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  4. Le Palahniuk de "fight club" (et autres) me tente depuis des années, si tu me dis que c'est du Manchette SF, je prends et consomme..!

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    1. Je ne peux comparer les 2 auteurs, je n'en connais qu'un. Palahniuk me semble établir des univers plus riches. Pas seulement SF. Bien sûr, je conseille, c'est un de mes auteurs favoris.

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    2. J'adopte. J'ai le "Fight Club" en PAL.
      Ps: ne sois pas surpris, Manchette est quand même bien axé années 70's: politiquement, esthétiquement, dans les objets qu'il nomme, dans la société qu'il décrit...etc. Gaffe aussi de ne pas commencer par un Eugène Tarpon, c'est un autre cadre, plus hommage au polar noir US, un brin humoristique et plus bavard.

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    3. J'essayerais de me souvenir de ta recommandation.

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    4. Tarpon c'est "Morgue pleine" et "Que d'os !". Plutôt du genre détective privé solitaire et désabusé, en "je" narratif, qui n'a plus d'illusion sur rien, plus proche de l'humour noir nihiliste, de la bibine alcoolisée, de la corde pour se pendre que de la jolie pépée à épouser, confiant en un avenir copulatoire et reproductif.

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    5. Fight club, le livre, ne m'a guère marqué.
      J'ai sans eu le tort de le lire peu de temps après avoir vu le film et le roman, bref, ne m'a pas semblé apporter grand chose de plus.

      Depuis, c'est bête, mais je n'ai pas relu Palahniuk. Je m'y remettrai certainement : Peste, en particulier, me tente bien.

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    6. Jim, Fight club est un roman excellent mais après avoir vu le film, forcement, il perd un peu d'intérêt. D'autant que Fincher a adapté le style et l'histoire de Palahniuk assez fidèlement.
      Peste, je conseille de le lire concentré et plutôt rapidement pour garder le contact avec cette histoire à 54 narrateurs. Du très bon Palahniuk, comme beaucoup de ses romans.

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