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samedi 12 septembre 2020

Mortelle randonnée – Marc Behm (roman) + Film (Claude Miller)

Cette chronique couple le ressenti d’un roman et d’un film éponyme visionné dans la foulée. Au final, le premier se fondant dans le second, les deux se sont unis dans un étrange mariage où les mots se sont fait images et inversement.

« Mortelle randonnée», le roman, est initialement paru en 1981 dans la mythique Série Noire de chez Gallimard. Il fut réédité, entre autres, en 1998 en Folio Policier.  Cette dernière mouture servira de support à une édition collector en 2008 fêtant les 10 ans de la collection et regroupant sous couverture cartonnée le roman et le DVD du long métrage qu’en fit Claude Miller en 1983. Cette dernière présentation étant celle lue et visionnée, la présente chronique, en conséquence, a subi les influences parfois contradictoires du texte puis des images : modifications des situations, des patronymes, géolocalisation de l’action transposée des USA vers l’Europe … etc

 


 

 

 

 Parlons 25 images/seconde avant de nous recentrer sur le roman. De la filmographie d’Isabelle Adjani on peut extraire quatre films d’intentions voisines : « L’Eté Meurtrier », « L’histoire d’Adèle H. », « Camille Claudel » et « Mortelle Randonnée ». Quatre longs-métrages qui, en dénominateur commun, montrent l’actrice interprétant des rôles de folles à lier. « Mortelle randonnée » n’échappe pas à cette caractéristique. Adjani excelle dans ses profils borderline (voir franchement in) qui, peu à peu, basculent dans une démence abyssale d’où nul ne parviendra à les extraire. Son jeu de comédienne, lentement frotté gant de velours puis toile émeri, exacerbe peu à peu des situations psychiatriques marquées, plongeant peu à peu les héroïnes qu’elle incarne dans des trous sans fond. Le spectateur, en un étrange paradoxe, ressent vite une forte empathie pour les personnages incarnés, se met à l’unisson, cherche à comprendre et à accepter, accompagne les héroïnes sans pouvoir, hélas, infléchir leurs destinées. L’abîme attend et se referme sur des épilogues sans retour.

Elle est, en 1983, à l’affiche de « Mortelle randonnée », un film de Claude Miller d’après le roman éponyme de Marc Behm. Elle va former, aux côtés de Michel Serrault, un duo inattendu et complexe, un tandem de choc surprenant et d’une noirceur absolue. Behm et Miller y dissèquent au scalpel des destins parallèles dissemblables, aux points de convergences improbables. Si les comportements chaotiques des deux protagonistes échappent à toute logique et vraisemblance, le lecteur s’en rend vite compte, il n’en reste pas moins que le tout débouche sur un polar choc qui s’acoquine avec le thriller frénétique versant road trip. Les événements multiplient les coups de théâtre, les assassinats crapuleux, les morts diverses et variées. La police est cent lieux en deçà, toujours, Gros Jean comme devant, toujours à contre-temps, confrontée à l’irrationnel; mais le propre du polar noir étant souvent de la montrer absente elle ne pointera son nez qu’à l’épilogue (et encore pour se faire gruger).

Bienvenue en territoire de folie ou le pire rôde et mord les corps et les esprits.

Joanna (dans le roman), Catherine (dans le film), si t’en est que le lecteur (et le spectateur) ne se perde pas dans la jungle des patronymes empruntés, y incarne une jeune (et belle) inconnue, à l’état civil sans cesse changeant (tu m’étonnes, au regard des activités criminelles qu’elle commet … !), qui, aux Etats Unis (roman) en Europe (film) et de nos jours, d’hôtels de luxe en palaces haut de gamme (qu’elle quitte précipitamment et discrètement forfaits accomplis), cible la clientèle mâle solitaire en se faisant une juste et juteuse idée de son compte en banque, tue sans remord après l’étreinte amoureuse, disparait. Qui a le malheur de s’éprendre d’elle, qui se perd dans ses yeux verts (bleus dans le film) et sa plastique irréprochable (là je dois dire que je peux comprendre), qui succombe à son charme vénéneux comprend trop tard avoir eu à faire à une mante religieuse folle furieuse. Elle se refait une vie ailleurs, luxe oblige, change d’identité, joue de la perruque (blonde, brune, rousse, cheveux longs, cheveux courts) et retente sa chance quand les fonds viennent à manquer. Tout l’art de l’écrivain va être de conduire peu à peu son lecteur vers les raisons des actes de son héroïne. Il y a en elle quelque chose de la plante vénéneuse qui attire et tue. Reste à savoir pourquoi, tel est l’enjeu … la suite appartient au récit.

Adjani était fait pour ce rôle-là. Qui d’autre pour ce portrait aux confins de l’horreur et du charme ?

L’éternelle fugitive n’est pas seule dans son périple. Mais le sait t’elle ? Il y a l’Oeil (sans plus de précisions), un détective privé sur le retour, solitaire et misanthrope, miteux et désabusé, accroché comme un pendu à un fragment délicat de son passé, roublard et moqueur, poétique et cynique, pince sans rire. Le portrait type, comme il se doit, de l’anti-héros du polar noir made in US. De filature discrète en planque anonyme, il va lui aussi succomber, béat et consentant, fataliste et protecteur, au charme mortel de celle qu’il a pour mission de suivre. Mais il plongera d’une manière toute différente, malheureux comme une pierre dans l’ombre de la belle meurtrière, flairant sa trace sans que jamais elle ne le remarque pendant des années, allant jusqu’à la protéger dans des situations délicates, au plus près des crimes qu’il ne peut ignorer.  Là aussi, Marc Behm, l’auteur, va chercher au coin de l’Oeil des raisons, des motivations … la suite appartient là aussi au récit.

La prose est sèche dans la manière du polar US, rapide, cynique, brutale et souvent poétique, voire onirique. Le lecteur est emporté dans un road-trip qui a tout du blitzkrieg, même s’il s’étale sur des années (on ne s’en rend que peu compte tant l’urgence semble bousculer les évènements): valse des hôtels interlopes et ceux haut de gamme où trouver refuge et relancer la mécanique meurtrière, des grandes villes US où se perdre dans l’anonymat puis renaitre sur les registres des palaces, des grands sites touristiques en manière de promenades …

« Mortelle randonnée » accroche et mord. Gaffe.. !

Les deux héros interagissent dans un grand bal meurtrier dans lequel Behm puis Miller vous invitent à danser en victime potentielle et consentante, libre à vous d’y échapper ; mais comment résister à un page turner de cet acabit et aux regards d’Adjani qui trouent l’âme de qui s’y perd.

Ce roman est, à mon sens, une totale réussite de par la fascination double et trouble qu’il charrie sous les yeux du lecteur, celle ressentie pour deux personnages hors-normes et attachants ; pour l’une, comme aspirée vers la face sombre de l’humanité et pour l’autre recherchant une rédemption, une vengeance ou un sauvetage ? (barrer la mention inutile)

NB 1 : L’Oeil est amateur de mots croisés. Marc Behm parsème son récit de définitions (et de solutions). L’une d’elles, redoutable, peut vous occuper longtemps, bien au-delà de la simple lecture du roman, alors n’hésitez pas, lisez le si la solution, pourtant sous vos yeux, agace vos nerfs, elle se trouve au bout du bout, il vous faudra tout lire et j'aurai l'Oeil pour que vous ne trichiez pas. Vous gagnerez du temps et lirez un excellent roman.

En quatre lettres : capitale en Tchécoslovaquie.

Bonne chance.

NB 2 : Carla Bley, pianiste et organiste de jazz américaine, compositrice et chouchou de mon cœur musical à l’écoute des LPs qu’elle a laissé, est venue posé ses doigts et sa pharaonique coiffure sur la BOF du film. Elle y a laissé son style inclassable, unique et reconnaissable, son côté atypique et sa volonté de se montrer différente. J’ai un faible pour le côté presque bastringue du titre phare qui emprunte à la grandiloquence du cirque et aux atmosphères sombres et définitives des films noirs.

 Soundtrack You Tube



 

8 commentaires:

  1. Tu as vu le film avant.. et est-ce que tu trouves qu'il est fidèle au roman? As-tu une préférence pour l'un ou pour l'autre?

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    1. Non, j'ai lu avant de voir pour la première fois. Le film me semble plus un exercice photographique formel, le roman est plus viscéral, brutal et sans fard (ce qui ne l'ampute pas d'une certaine poésie). En ce sens, le texte se montre plus comme un uppercut venu de nulle part. Rayon fidélité, il y a quelques arrangements mais bon ..! Par contre sans Adjani (je suis addict depuis que dans "L'été meurtrier", en haut de l'escalier, elle hurle en pleurant à Galabru sur son fauteuil roulant derrière la porte fermée: "Mais c'est toi mon père"), et sans Serrault, hein, sans eux ...

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  2. Cette collection spéciale made in Folio Policier, comme montré sur une des photos de l'article, semblait promettre de sacrés bons titres couplés à leurs adaptations ciné. Une que je n'ai jamais ni lu ni vu, "La nuit du chasseur", une autre qui m'a laissé froid et interrogatif: "Le Grand Sommeil" et une autre dont je n'ai jamais entendu parler: "La sentinelle". L'idée était excellente.

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  3. oui, c'est vrai que c'est une bonne idée idée de coupler le film et le roman..
    ça devrait se faire avec tous les genres, pas que les policiers! ça éviterait d'aller chercher à droite et à gauche :-D
    mais bon, les adaptations ciné ne sont pas tjs bonnes alors, ça gâche un peu le truc :-\

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    1. Ce qui m'intéresse dans les adaptations ciné vues dans la foulée immédiate de la lecture, au-delà du pur savoir faire photographique, c'est plus surement le travail scénaristique effectué sur la matière brute du roman. Par exemple: ramener l'écrit à 1h30, 2h, impose des raccourcis, des ellipses dans l'action qui concentrent en peu d'images ce que beaucoup de mots impose, des oublis volontaires sur des faits moindres ou banalement satellitaires. Tout plein de petits détails qu'il m'amuse de déterrer et de comprendre. Alors, parfois, c'est du pur charcutage qui envoie à la trappe des pans entiers de l'oeuvre (Dune, par exemple et ce n'est pas l'à venir Villeneuve qui corrigera çà) et à d'autres instants, c'est bien bricolé, pensé, agencé, articulé sur maints niveaux: les décors par exemple.
      Alors, oui, Folio Policier Collectors était une bonne idée et j'aurais même été convaincu si les adaptations avaient été mauvaises, comme leçon de ce qu'il ne fallait pas montré. Alors, maintenant, vendre un package film+roman en présentant un mauvais film à l'appui d'un bon texte, çà ne pouvait pas le faire.Et c'est bien dommage.

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  4. J'ai trouvé une possibilité technique intéressante indexée à Blogger: celle d'associer à une image une URL You Tube. Elle est, ici, sur les //s; utilisée, sur les vignettes "lecture en cours", "Dernière chronique" (etc) qui, en clics gauches renvoient vers les bandes-annonces ciné (si elles existent).

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  5. Merci pour cette jolie double chronique, Avin !

    _ « (...) De la filmographie d’Isabelle Adjani on peut extraire quatre films d’intentions voisines : « L’Eté Meurtrier », « L’histoire d’Adèle H. », « Camille Claudel » et « Mortelle Randonnée ». Quatre longs-métrages qui, en dénominateur commun, montrent l’actrice interprétant des rôles de folles à lier (...) »

    On pourrait y ajouter « Possession ».

    (d’après les extraits que j’ai vu et ce que j’en ai lu ; car je ne me suis toujours pas décidé à regarder ce film de Zulawski, qui m’a l’air assez sinistre.)

    _ « Le film me semble plus un exercice photographique formel (...)»
    Sans avoir lu le roman, je trouve en effet que le film a un côté exercice de style, où l’intrigue n’est que prétexte aux images, aux personnages, aux décors...

    _ « Par contre sans Adjani (...) et sans Serrault, hein, sans eux ... »

    Sans eux, ce n’est pas la même chose, c’est sûr.

    (et sans les seconds rôles non plus : je me souviens que Stéphane Audran s’était faite une tête pas possible pour ce film...)

    Il existe un remake américain, sorti en France sous le titre de Voyeur.
    Je le déconseille : sans doute cela se veut-il vénéneux, avec son rythme langoureux et sa photographie vaporeuse, c’est seulement insipide et ennuyeux.

    _ «(...) Une que je n'ai jamais ni lu ni vu, "La nuit du chasseur", une autre qui m'a laissé froid et interrogatif: "Le Grand Sommeil" et une autre dont je n'ai jamais entendu parler: "La sentinelle". »

    Dans cette collection, il y a aussi «Quand la ville dort ». J’ai bien aimé le film de Huston (alors que je ne suis pas fan de film noir) ; on y trouve une actrice débutante nommée Marylin Monroe.

    « La nuit du chasseur » est un chef-d’œuvre justement vanté, à mon avis.
    Mais j’en connais qui y sont insensibles. Ce qui pas si étonnant, tant le ton du film (sorte de fable utilisant des motifs du film noir et western) est particulier.

    « La sentinelle », avec Michael Douglas, est un film tout à fait quelconque.

    Quant à «Le grand sommeil », je ne l’ai pas vu, mais j’ai bien eu vent de sa réputation de mystère insondable. ^^

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    1. Citation: "On pourrait y ajouter « Possession ».
      >>> Je n'en connaissais pas l'existence. Bande-annonce vue. Cela semble extrémiste. A l'occasion peut-être je visionnerai.
      Citation: "je me souviens que Stéphane Audran s’était faite une tête pas possible pour ce film..." >>> A sa première apparition dans le film, cette bouille, fait hésiter le spectateur entre caricature et déguisement.
      Citation: "« La nuit du chasseur » est un chef-d’œuvre justement vanté, à mon avis." >>>> Mitchum, les gamins, les poings fermés, "love" and "hate" sur les jointures. J'aimerai lire et voir.
      Citation: "Le grand sommeil". Vian à la traduction. La raison peut-être de sa réputation. Il me faudrait retenté l'expérience et aller jusqu'au bout.

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