Réédition Livre de Poche 1965.
Souvenirs d'enfance, souvenirs d'en France.
De « La guerre des boutons » on connait surtout le jubilatoire long-métrage en noir et banc que tourna Yves Robert en 1961. Un grand classique comique en 25 images/s, à chaque rediffusion le même plaisir renait. Les trognes hilares de jeunes et joyeux garnements, les mots doux qu’ils s’échangent à l’épreuve d’une rivalité entre deux villages, certaines répliques cultes reviennent en tête avant de renaitre à l'écran, tout reste en mémoire. Lebrac, Grandgibus, Petitgibus, La Crique, Camus, Tintin, Marie … etc. Des noms, prénoms et sobriquets qui perdurent dans les souvenirs de qui a vu et revu le film pour le faire connaitre à son tour à ses enfants et petits-enfants. Des bribes de dialogues subsistent dans la culture collective au-delà des décennies écoulées. On y trouve comme un passage de témoin d’une génération à l’autre, la transmission de certaines valeurs (l’amitié, par exemple), ce que nous redoutons tous : le temps qui passe et ne revient pas, comme une pierre plate à la surface de l’eau en rebonds successifs finit toujours par couler.
Le film est l’écho assez fidèle d’un roman éponyme de Louis Pergaud paru en 1912. Les pages tournées sont le support d’un regard adulte, amusé et nostalgique porté sur l’enfance. Plus d’un siècle plus tard c’est aussi une plongée à rebrousse-temps dans le quotidien campagnard d’un village franc-comtois. Pergaud témoigne de la cohabitation de deux mondes, celui des adultes face à celui des enfants, les premiers à l’épreuve de la vie et un tantinet oublieux de ce qu’ils furent, les seconds transformant ce qui les entoure en un terrain de jeu immense et éternel, conscients que dans un proche futur jeunesse s’en ira, que plus rien ne sera comme avant, et que vite vite il faut en profiter.
"Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu'eux"
Le lecteur baigne dans une prose un temps académique, aisée d’abord, comme coulant de source, poétique, immersive, rieuse et amusée quand il s’agit de décrire les choses et les êtres. Puis, au cœur de dialogues vigoureux émergent des ilots savoureux où règnent le patois franc-comtois et les néologismes enfantins qui jonglent avec les mots compliqués et les restituent d’une manière inattendue.
« La guerre des boutons » a le goût de ces bonbons acidulés qui électrocutaient nos glandes salivaires d’antan, celui du « Mistral gagnant » de Renaud qui chatouille de nostalgie nos jeunes jours enfuis. C’est un bout de réglisse qui, dans la bouche, roule en boule et somme, quelques fois en vain, les papilles gustatives de se souvenir du goût d’un autre temps. Alors, bien sûr, 1912 nous est inaccessible mais qu’importe, les marmots y furent les mêmes et leurs bêtises, quelque part, aussi les nôtres. « La guerre des boutons » est un roman éternel ; de ceux qui perdurent, intouchables, d’une génération à l’autre ; il séduit tous ceux qui passent entre ses pages, ravive cette petite lumière de l’enfance qui croit que tout est possible en suffisant d’y rêver. Le temps d’un parenthèse de 386 pages j’ai retrouvé une âme que j’avais cru perdue dans le pays si triste des illusions perdues.
Je suis venu à Longeverne et Velrans, à ce Pergaud qui traînait en PAL, à ces garnements impossibles et rêveurs, quand j’ai appris, récemment, que l’auteur était mort en 1915 dans les tranchées de la Grande Guerre à 33 ans. Lui qui c’était voulu le témoin rigolard d’une guéguerre imaginaire (à moins d’une part autobiographique, le sous-titre précisant « Le roman de ma douzième année » ?), d’une rivalité inutile*, perdit la vie au cours d’un autre conflit, bien réel et tout aussi injustifié.
* : le roman explique l’origine du conflit entre les deux villages, ce qu’omet le long-métrage. C’est la faute de la Murie. Ce pourrait être le sujet d’un autre film. Chiche. Je suis preneur. Ô combien. En attendant, le curieux tournera les pages du roman. En voici un avant-goût:
« C’était au temps où qu’on parlait de la Murie. La Murie, voilà, on ne sait plus bien ce que c’est ; peut-être une sale maladie, quelque chose comme un fantôme qui sortait tout vivant du ventre des bêtes crevées qu’on laissait pourrir dans les coins et qui voyageait, qui se baladait dans les champs, dans les bois, dans les rues des villages, la nuit. On ne la voyait pas : on la sentait… »
Le Trailer du film d'Yves Robert (1961)
Sympa la couverture, on dirait un livre d'école :-D
RépondreSupprimermoi je n'ai vu que le film moderne..ça me fait penser au p'tit Nicolas :-D
J'ai du me faire acheter le bouquin par mes parents à parution (1969). Je n'avais pas vu le film au ciné et on l'attendait toujours à la TV. C'était une époque où il ne passait pas encore en prime time, mais dont on pouvait voir des tranches de 10 minutes dans des émissions devenues cultes comme "Le séquence du téléspectateur". Une autre époque.
SupprimerLe gosse hilare en couv, l'épée, les boutons typent bien le roman. Vrai c'est sympa. L'affiche reste compagnon indissociable du film de Robert
Je n'ai pas mentionné les deux suites récentes en chro, sorties presque simultanément, car elles sont, AMHA, ratées en ciblant les consommateurs ciné du Petit Nicolas, tu as raison. On est très très loin de l'âme du roman qui vise quand même beaucoup plus haut. Je n'ai, non plus, pas parler d'un long métrage antérieur intitulé "La guerre des gosses" qui en est semble t'il la première adaptation ciné, mais que je n'ai jamais vu.
Le roman de Pergaud est aussi (et peut-être surtout,un livre pour ados. Tu peux le faire lire à tes enfants.Il cible le même lectorat adulte/ados que certains bouquins de Pierre Very. Celui de Pergaud est quand même encore un ton au-dessus.
PS: la grande différence entre Very et Pergaud est que le second n'hésite pas aux gros mots de l'époque, qu'ils y sont monnaie courante.
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