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mardi 17 novembre 2020

Les Fiançailles de Mr Hire – Georges Simenon

 

 Le Livre de Poche réédition 2003 (l'original date de 1933)

Réédition Omnibus France Loisirs 2017

Simenon nommait « durs » ses romans, le plus souvent policiers, où Maigret n’apparaissait pas. Il y en eut, excusez du peu, 117 entre 1931 et 1972. « Les Fiançailles de Monsieur Hire » est l’un d’eux et date de 1933. Les services de police n’y ont qu’un rôle de maigre importance. L’enquête, dont le lecteur ne saura presque rien, se limite à l’épilogue dramatique et à quelques planques et filatures. Mr. Hire n’ignore pas l’attention constante dont il est l’objet. Il la subit et quelquefois s’en amuse comme à cache-cache, en déjoue la prévisibilité, résigné mais plein d’espoirs : Alice va-t-elle le suivre en Suisse ? Le propos central, au-delà du roman de procédure policière devenue accessoire, est ailleurs. Il s’efface derrière le portrait d’un être singulier, prisonnier d’une rumeur de voisinage tenace que tous espèrent fondée. Ce roman « dur » est d’une noirceur absolue, dense, insondable, sans la moindre lueur d’espoir ; il restitue la force aveugle du nombre face à la singularité incomprise et rejetée d’un être solitaire et marginal. On y parle de haine de ce qui n’est pas dans la norme, de trahison par amour et d’attrait morbide pour le spectacle de la mort des autres.

D’ordinaire Simenon s’immerge, via un cadavre, dans un microcosme social ou professionnel particulier. Il l’amène au jour et le dissèque peu à peu, taillant dans sa spécificité, ses forces et ses faiblesses. L’auteur y va de l’étude croisée et patiente de celles et ceux qui le compose. Il resserre enfin son propos autour d’une personnalité cible, le plus souvent un assassin qu’il décrit jusqu’à ce qu’il nomme « l’homme nu », celui qui au point de rupture a donné la mort et qui, maintenant, avouera.

Dans « Les fiançailles de Monsieur Hire », si le cadavre est là, comme à l’ordinaire, le background géographique et social est flou ou du moins passe-partout (peu importe le lieu, les hommes y seront toujours les mêmes). Ce sera Villejuif … et Mr Hire, ce pourrait être, hélas, vous ou moi, selon la loi du nombre, celle de la majorité, du mauvais côté ou pas de la gifle et des coups.

Une femme poignardée sur un terrain vague à la nuit tombée. Un sac à main disparu. De l’argent envolé. Des soupçons rapidement portés à la suite du témoignage d’une concierge : elle a tiré le cordon à un de ses locataires pressé qui d’ordinaire ne rentre jamais si tard, elle a entrevu chez lui une serviette de bain ensanglantée derrière une porte entrebâillée, accrochée à une patère d'entrée où elle n'avait rien à faire …

Un quartier du Villejuif des années 20 ou 30. Un banal carrefour entre grande ville et campagne. Une artère principale ; des tramways en terminus qui ferraillent de l’aube au crépuscule ; des autos anonymes, des charrettes pour Paris, simplement de passage, en aller le matin et de retour le soir.

Des petites gens, toujours les mêmes à se croiser et se saluer, employés, ouvriers, commerçants (bistrotiers, crémiers …) ; des concierges revêches régnant sur des immeubles hauts et étroits, des porches obscurs donnant sur la Grande Rue, des cours étriquées et profondes comme des abysses. Une population aux vies chiches, claquemurées, confinées par l’hiver, la pluie et le froid, resserrées autour du poêle dans des petits appartement humides.

Et voici Mr Hire que Simenon ne décriera que par ses actes, créant volontairement un flou autour de sa personnalité, une distance difficile à combler, un jugement que chaque lecteur portera seul en son âme et conscience, comme une fin ouverte sur un drame bel et bien clos. Mr Hire est une ombre portée sur la grisaille d’une vie, la sienne. Un pauvre type, cadenassé par son passé, replié sur lui-même, rendu aigri et solitaire, désabusé et craintif, peu ouvert à l’amour si ce n’est à celui rémunéré. Les gens ne l’aiment pas, sans trop savoir pourquoi, et il le leur rend bien. Il vit seul, n’a de contact avec personne si ce n’est au bowling où il est un as et se prétend policier, vit d’expédients qui cousinent avec l’escroquerie. Fenètre sur cour, le soir, caché dans l’ombre de son petit appartement, il observe sa jeune voisine Alice, chez elle, derrière sa fenêtre sans rideau, qui ne semble rien ignorer de son manège et en rajoute. Il la suit chaque dimanche après-midi alors, qu’accompagnée par son petit ami, ils se rendent au cinéma ou à Colombes pour un match de foot. Et derrière lui, toujours, depuis quelques temps un policier en filature … Le piège se referme. Mr Hire doit faire vite.

La suite appartient au roman … jusqu’à la force dramatique suffocante d’un final grandiose.

Le roman pose clairement le problème de la différence, de la perception qu’en fait la majorité et du traitement qu’elle y applique, hélas, quelques fois. Simenon ne s’embarrasse pas de détails, en un peu plus de 100 pages il nous livre le diagnostic et, pour traitement, nous renvoie l’image du miroir. Son style comme à l’habitude est limpide, concis, taillé au scalpel fin dans tout excès de gras ; rien d’inutile ne sort du rang, aucune tête ne dépasse. L'essentiel seul est nécessaire.

En 1989, Patrice Leconte adapte le roman (Michel Blanc et Sandrine Bonnaire), supprime « Les fiançailles » du titre et donne de Mr Hire, me semble t’il, une vision encore plus dure que celle du roman, celle d’un être persécuté, méfiant, calculateur et froid, cruellement compliqué et énigmatique, mais toujours en quête d’un amour simple et éternel … Le jeu au faciès figé, presque de cire, de Michel Blanc touche cœur de cible et effraie ; celui de Bonnaire, plus ouvert oscille brillamment entre sincérité et calcul. Le final n’a pas la force du roman, de l’homme seul face aux autres, trop compliqué à mettre brièvement en scène sans doute

Trailer du long métrage de P. Leconte (1989)

 


 


 

6 commentaires:

  1. "Paniques", 1946, de Duvivier, avec Michel Simon (Hire) et V.Romance (Alice) est une autre adaptation ciné de "Mr Hire. Et c'est le grand cirque: même époque certes, Villejuif toujours OK, on y colle une fête foraine qui fait beaucoup de bruit et grand vent pour rien; un Hire à l'hôtel (manquait plus que çà), tout en gouaille féroce alors qu'il n'est que tout en retenue prudente dans le roman, une intrigue rapidement éventée qui délivre tous ses ressorts bien trop tôt. Cà ressemble à "La Belle et la tête" (ce que n'aurait pas souhaité l'auteur)avec une belle très rapidement mise sous le bon éclairage qui spoile tout.

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  2. «"Panique", 1946, de Duvivier, avec Michel Simon (Hire) et V.Romance (Alice) est une autre adaptation ciné de "Mr Hire.»

    Ah tiens ! Je lisais ça et me disais : "Chouette! J'ai vu ce titre à la médiathèque de quartier (du temps où la chose était ouverte...)"
    Puis vint la suite de ton avis qui ne me donne guère envie de l'emprunter...

    Si j'ai l'occasion, je me laisserai tenter par la version de Patrice Leconte
    (Michel Blanc sait être un bon acteur dramatique).

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=nXpddF9qBFA Le problème est que Michel Simon, tout excellent acteur qu'il soit, ne se voit pas demandé d'interpréter le Mr Hire du roman mais un fantôme du personnage principal qui n'est plus taiseux mais offensif dans son propre rejet des autres. Michel Blanc est plus dans le moule du personnage,ce qu'il ne dit pas se perçoit dans ses mimiques.

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  3. A relire pou moi. Le roman a été choisi pour être dans le premier tome de La Pléiade. Michel Blanc est excellent dans le film.

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  4. Très très très tenté par celui-là. Je m'en vais le surligner dans ma wish.

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