Accueil

Accueil
Retour à l'Accueil

vendredi 14 mai 2021

Les Brouillards de la Butte – Patrick Pécherot

 

Folio policier n°405 (réédition de 2011)(Première édition : 2006)

 

Paris 1926. Montmartre. L’hiver. Le brouillard. Les becs de gaz. Les pavés. Les gens de la Butte …

… les hommes : anars post Bande à Bonnot ; ces Messieurs du Milieu, argot titi parisien en bouche et surins faciles en poche, aigrefins et second-couteaux de la pègre ; agents de police à pèlerine, drelin-drelin la sonnette au guidon, sifflet à roulette aux lèvres, vélos préhistoriques à garde-boue lourds comme des tanks à l'arrache sur les raides montées en pavés ; la cloche dans les dortoirs de l’Armée du Salut. Toute une époque : celle de l’entre deux guerres où subsistent encore les séquelles de la Grande Boucherie (veuves de guerre, Gueules Cassées, poilus recyclés, fantômes de soldats morts pour rien …).

… Les personnages principaux : Pipette en « je » narratif (Nestor Burma en devenir, clin d’œil hommage et préquel à la série signée Léo Malet, mais chut, ne pas trop en dire, juste quelques allusions), pigiste de journal à scandales ou libertaires, rimailleur-poète d’occasion du crépuscule à l’aube dans les bouis-bouis, les cabarets branchés et les boites de nuit, laveur de bouteilles (si, si) ; Raymond la Science, as de la cambriole et spécialiste du coffre-fort à démantibuler chez soi ; Leboeuf athlète de foire et chiffonnier-clochard, Collet l’anar.

… les gens du spectacle : Mistinguett, Fréhel, la Goulue (si si..!) et Maurice Chevalier; les chanteurs de quartier, à l'orgue et à la gueulante, au fond des cours d’immeubles, partitions à un sou et piécettes jetées des fenêtres ouvertes) ; les hommes de lettres : André Breton et ses surréalistes … toute la faune d’un Paris qui se cherche dans la joie insouciante de la Paix enfin revenue.  

…. Les profiteurs de guerres : hommes politiques marrons et véreux ; pontes de l’industrie à l’épreuve de la Reconstruction, bien trop gourmands et à peine repus en ce post immédiat 14-18. De la vieille noblesse, du parvenu, de l’opportunisme bancaire, du truand de haute volée … Ben, tiens, justement, le butin de guerre, celui teuton, frontalier et encore sur pied … si on le laissait aux pauvres qu’en resterait t’il pour les riches ?

Pipette donc, Leboeuf, Raymond et Collet. La dèche, entre anars, çà se soigne à la cambriole. Suffit de prendre aux riches et de ne redonner qu’à soi. Un coffiot blindé çà se repère dans les beaux quartiers et, quand il n’a pas pu être ouvert sur les lieux de cambriole, çà se bricole tranquille à domicile, à la cave, dans un silence de tombe qui n’attire ni le curieux ni le délateur, à l’arrache, au pied de biche, à la chignole ou au chalumeau, entre complices. Mais quand, la bête de fonte enfin éventrée, montre un beau cadavre faisandé, purulent et boursoufflé (il flatule à son aise), la donne change, il y a matière à chantage, à se faire du beurre sur le dos du proprio qui l'a fourré ici, comme une sardine dans sa boite.

Ce que j’en pense : un petit polar historique taillé dans un argot habile et aisé ; des péripéties en habits d’années folles ; un (trop ?) court roman, qui, mine de rien, se laisse consommer comme l’absinthe au comptoir, en addiction jubilatoire. Patrick Pecherot y agite les grosses ficelles du genre et de l’époque, çà marche, enchante, on en redemande (çà tombe bien, « Les brouillards de la butte » semble début de trilogie). L’action pétarade au rythme des tacots sur les pavés, des pistolets qui éructent au-dessus des tombes de cimetière, des soupirs de la bonniche qui s’encanaille, de l’imprimante qui débite les faux talbins et les tracs tout autant.

J’adore.

A suivre, donc.

Et, pour finir, de temps en temps, sous la plume acide de Pécherot, en auteur engagé reconnu, gigottent de bien belles gueulantes de haine à l’encontre de la guerre et de ceux qui l’ont mené : 

« Sanglé dans un uniforme de planton, il montrait un écriteau de la main gauche. De la droite, il ne lui restait que le souvenir. Sa manche flottait, vide de bras. Encore un amputé de service. Comme des champignons, ils poussaient dans les guérites des usines ou les sous-sols des bureaux. Depuis un bail, les abattis qui leur manquaient servaient d’engrais aux champs de bataille. Eux, ce n’étaient même pas les plus à plaindre. Ils avaient tous un copain revenu les pieds devant ou becqueté par les corbeaux. D’autres, la gueule en charpie, se terraient dans des mouroirs de banlieue. »

6 commentaires:

  1. C est donc une trilogie ? Tu as la suite?
    Belle chronique en tout cas ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci.

      Et non, je n'ai, hélas,pas la suite et c'est bien dommage(même si le premier tome n'appelle pas vraiment de prolongation évidente, c'est un tout); mais cela ne devrait pas tarder, d'autant qu'un omnibus folio en présente l'intégrale, elle a été titrée "La saga des brouillards" et comporte: "Les Brouillards de la Butte", "Belleville-Barcelone" et "Boulevard des Branques". J'ai hâte ...

      https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/81m1343yhVL.jpg

      Supprimer
  2. Je ne connaissais pas cet auteur et comme souvent, tu en parles très bien.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci. Pécherot m'avait été conseillé sans en faire un auteur d'exception, juste en raison d'une oeuvre qui se laissait plaisamment lire, qui méritait le détour en recréant sous toutes ses facettes et avec fidélité un background d'époque précis et quelque peu mythique . Le propos de l'auteur n'est pas neutre, il y engage ses convictions, mais le fait à minima et par touches légères.

      Supprimer
  3. C'est effectivement une trilogie, qui s'achève avec la Seconde guerre mondiale et la collaboration.
    Je trouve que les volumes sont de mieux en mieux, en mêlant toujours plus la fiction et l'Histoire, les persos de fiction et réels.
    La documentation est extrêmement solide : on sent que l'auteur ne cherche pas l'exotisme temporel, mais ausculte l'époque au scalpel.

    Il a également écrit un polar sur les débuts du cinéma, sur lequel plane le souvenir (encore récent) de la Commune.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, trois tomes sous le titre générique "La saga des brouillards":
      Les Brouillards de la butte, Gallimard, coll. « Série noire », 2001.Réédition, coll. « Folio policier » no 405, 2006.
      Belleville Barcelone, Gallimard, coll. « Série noire », 2003.Réédition, coll. « Folio policier » no 489, 2007.
      Boulevard des Branques, Gallimard, coll. « Série noire », 2005.Réédition, coll. « Folio policier » no 531, 2008.

      Olivier CSF citation: "Il a également écrit un polar sur les débuts du cinéma, sur lequel plane le souvenir (encore récent) de la Commune." >>> Celui-ci pourrait m'intéresser. Via l'un et l'autre de ses thèmes centraux. Quel en est le titre ?

      Supprimer

Articles les plus consultés