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jeudi 12 août 2021

L'abominable - Dan Simmons

 

2020, Presses Pocket, n°17663, collection « Romans contemporains »


Après « Terreur » (2008) (l’expédition polaire arctique Franklin de 1845 et le mythique passage du nord-ouest le long duquel elle disparut), Drood (2011) (un retour crépusculaire sur certaines zones d’ombre de Charles Dickens et de Wilkie Collins) et « Collines noires » (2014) (de Little Big Horn au Mont Rushmore : la Grande Histoire US revue et corrigée par un Peau-Rouge), Dan Simmons nous propose une fois de plus, avec « L’Abominable », un pavé documentaire camouflé en roman Fantastique (quoi que ... voir plus loin). L’auteur nous raconte le monde encore rudimentaire de l’alpinisme des années 20’s au service de l’Everest. Il régurgite tous les renseignements qu’il a trouvé de ci de là: les techniques de grimpe d’alors en haute altitude, les particularités météorologiques, géographiques, géologiques, géopolitiques et ethniques de l’espace himalayen, certains faits historiques de l’époque (agitant le monde et par ricochets la région) ... etc; le tout déversé en vases communicants des faits réels (à maxima) vers la fiction pure (à minima); le mix est crédible, c'est la force première de l'auteur.    

L’Himalaya donc, celui des années 20’s, à qui gravira enfin le plus haut sommet du monde, l’Everest (8849m).

La réalité historique fait état du premier pied vainqueur en 1953. Mais en 1925 déjà, ainsi du moins l’affirme Simmons, une autre expédition n’a-t-elle pas accompli l’exploit sans qu’on n’entende parler d’elle pour des raisons appartenant au « secret d’état » ?

Quatre de couverture : « Juin 1924. La disparition inexpliquée des alpinistes Mallory et Irvine, au cours de leur ascension de l'Everest, fait la une de la presse. Mais qui se souvient de Lord Bromley, dit « Percy », autre concurrent à la course au sommet, évaporé dans les mêmes conditions la même année ? Manque d'oxygène ? Avalanche mortelle ? Autour du camp de base, la rumeur fait état d'une mystérieuse créature des neiges alors qu'une nouvelle expédition s'élance en 1925 à la recherche des disparus... voire d'une vérité bien plus abominable encore... »

Deux anglais, un américain, un français et un indien ; cinq alpinistes chevronnés sur les flancs glacés de l’Everest ; tous (ou presque) en mission de rapatriement des corps et accessoirement d’ascension enfin réussie. Une équipe resserrée et efficace, discrète, très mobile, réactive, porteuse des dernières technologies en matière d’alpinisme, aidée d’une poignée de sherpas. Simmons nous sert la version officieuse de quelques-uns sur la piste perdue d’aventuriers disparus. Comme dans « Terreur », il use du scénario archétypal de l’expédition évaporée dans la nature hostile et ayant engendré les rumeurs les plus folles sur ce qui lui est advenu. Le passage mythique du nord-ouest arctique de « Terreur » renait dans la voie inlassablement recherchée vers le sommet de l’Everest encore invaincu.  Simmons brasse la réalité historique (majoritairement) à celle de son imaginaire, comblant les lacunes et les mystères laissés inexpliqués au-delà des faits connus.

 « L’Abominable » est sorti en 2013 (version US), en 2019 (grand format made in France), en 2020 (année de parution poche chez Presses Pocket). 6 ans, donc, avant d’enfin débarquer chez nous ? Robert Laffont en avait de loin en loin reculé la parution. Lenteur de traduction (tu m’étonnes) ou crainte d’un accueil mitigé ? Problème autre (« Flashback », J.D. Brèque) ? Le temps s’était, semble t’il, mystérieusement étiré d’un bord à l’autre de l’Atlantique pour qui guettait la VF de ce best-seller potentiel, l’enfin nouvel opus teinté de Fantastique d’un écrivain de renom qui, au-delà de certains « mauvais genres », s’était trouvé un créneau juteux dans le blanc du mainstream, cachant son Fantastique sous des habits de littérature générale. Que s’est t’il passé ? Basta si ce n'est qu'il convient peut-être de trouver l'explication dans les faiblesses et défauts de l'ouvrage.

Le pavé (cette obésité de pages était attendue, le format dodu étant devenu marque de fabrique de l’auteur) est enfin là sous mes yeux ; 957 pages bien gonflées en poche, menue police typo et rares renvois à la ligne d’un paragraphe à l’autre. Une avalanche de signes déferle dès l’introduction comme autant de cailloux rendus à la gravité, il va falloir résister pour aller jusqu’au mot « fin », là-haut, tout là-haut. Il va falloir y consacrer du temps, beaucoup de temps Le lecteur tourne lentement les pages, une à une, comme l’alpiniste gravit les presque verticalités de l'Everest au ralenti, en manque d’oxygène. Près d’un millier de pages en attente ; un sacré poids en bout de bras, le demi-kilo frôlé ; pas de lest, pas de condensé, de reader’s digest usant de raccourcis. La lecture s’amollit quand le détail pullule et overdose, il faut se soumettre à la lenteur qu’il impose quand, lecture en diagonales rapides inévitablement engagée, taillant dans le gras pour éliminer le superflu, on confond les versants, les arêtes, les pics, les pénitents, les moraines, les glaciers, les ressauts et les à-pics, les faces, les altitudes, les camps … On sait que l’approche sera longue et lente, que le vif du sujet enfin sous les yeux prendra du temps à s’affirmer (les deux tiers sinon même les trois quarts en lents préparatifs), qu’il y faudra de l’abnégation et de la patience. A l’égal de « Terreur » et de « Drood » ce sera une interminable attente d’hors-d’œuvres documentaires. On va bouffer du crampon ; du mousqueton ; de la chaussure de montagne ; de la crevasse ; de corde au mètre, de ses qualités et défauts au regard de ses millimètres de diamètre ; de nœuds compliqués, de la façon de les faire et défaire ; d’avalanches meurtrières ; de piolets ; de précipices insondables ; de bouteilles et de masques à oxygène ; de rappels en à-pics ; de règles de cordée ; du bric-à-brac tout cliquetant et tintinnabulant que l’alpiniste pro des années 20’s trimballait sur lui ; de l’anorak à duvet d’oie récemment breveté vs les lainages en pelures d’oignon superposées ; du sherpa vs le sahib ; du yak vs le mulet ou le cheval ; de la toile de tente battue par des vents d’outre-ciel ; de chaussettes mouillées et d’orteils gelés intégrés ; de lunettes noires contre la réverbération aveuglante du soleil sur la neige. Simmons nous avait fait le coup avec Terreur mais çà matchait, là çà coince par overdose ; Simmons s’est posé en équilibriste entre le trop et le pas assez et clairement à mon sens s’est flanqué à l’à-pic du premier.

Mais Simmons, versant Fantastique, est un conteur ; il sait y faire ; je suis allé au bout de son propos, heureux non pas tant d’en avoir enfin fini avec lui que de l’avoir lu comme un obstacle à franchir, d’avoir pris plaisir à ce qu’il m’a appris sur la très haute montagne. J’ai refermé l’épais volume avec la certitude de revenir vers les parutions ultérieures de l’auteur au gré des mêmes mécanismes de narration. On a dit de Stephen King qu’il aurait été capable de décrire le contenu de sa poubelle sans ennuyer son lecteur ; je reformulerai en précisant que ses longues digressions m’intéressent plus que ses brefs instants de frissons, on y suit avec passion cet American Way Of Life qui est le cœur de son propos d’écrivain. Simmons est du même tonneau mais d’une finalité différente et peut-être inférieure en qualité, il s’overclocke sous le poids de la documentation d’amont qu’il régurgite en aval. Le bonus de le lire est dans ce qu’il apprend sur un sujet que l'on n’aurait pas chercher à approfondir autrement. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait avec Hyperion, me remettant en mémoire ce que la SF a pu inventer avant lui. Simmons, en ce sens bon faiseur ? Oui ; sans cette qualité, comment boucler sans abandonner une aussi longue lecture gonflée (jusqu’à l’overdose) d’autant de détails techniques (à priori réservés aux spécialistes de la verticalité rocheuse et glaciaire) ? Etrange paradoxe que celui d’un auteur qui fait ronronner ce qu’il écrit au rythme ce qu’il prend ailleurs, lénifie ce qu’il raconte et qui, bon an mal an, conduit son lecteur à terme, le rendant fier d’en avoir fini et d'avoir tant appris.

Restent cependant deux gros grains de sable dans la machine :

La montagne accouche d’une souris : le(s) yéti(s) attendu(s), promis au générique d’ouverture manque(nt) à l’appel. Tout petits riquiqui les bestioles terrifiantes, à tel point qu’il n’y en a pas la moindre grosse patte griffue d’une seule. Pourtant, rien que le titre du roman déjà, « L’abominable » : quoi de plus explicite, quoi de plus attendue que leur présence ? On en trouve mention dans la 4 de couv. Simmons, lui-même, dans le corps du récit, en parle de loin en loin. Titre racoleur et 4 de couv trompeuse donc. Il me manque mes yétis (smiley boudeur). Bref, les yétis hibernent pendant les courtes périodes favorables à l’alpinisme himalayen, j’aurais au moins appris çà.

En outre le Fantastique promis s’évapore sous le roman d’aventures et d’espionnage qui longtemps se cache et peu à peu, hélas, s’impose : les armes à feu remplacent les cris de terreur dans la nuit face à la bête immonde et le tout se fait "chasse au trésor" d'un secret d'état. « L’Abominable », au final, prend goût de thriller d’altitude et s’ampute de ce que son lecteur attendait de lui en priorité: sa part fantastique. La fin est inattendue (ce qui est une qualité) mais grotesque (ce qui est un énorme défaut). La mise en abime principale (il y en a plusieurs en strates d'inégales importances) émerge des neiges éternelles comme un cheveu à la surface d’une soupe, elle m’a laissé pantois et désabusé : tout çà pour çà me suis-je dit.. !

Alors, « L’abominable », pavé pour remplacer un pied cassé d’armoire (normande) bancale ? Comment dire… ? Oui, un peu. N’empêche : le long voyage vaut peut-être le détour si la passion montagne vous anime, si les bases techniques de l’alpinisme ne vous sont pas des artéfacts lointains (presque E.T.) à l’usage de celles et ceux qui rêvent de verticalité sur fond de ciel tourmenté.



6 commentaires:

  1. C'est dommage si la promesse d'une histoire fantastique n'est pas tenue et si la fin est décevante, non ? Après la lecture de ta critique, je ne pense pas mettre ce roman dans ma PAL.

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    1. Je suis allé revoir le volume. Il n'y a pas de stricte promesse de Fantastique sinon:
      _Le titre qui, d'emblée, fait penser au yéti;
      _Citation en 4 de couv: "Autour du camp de base, la rumeur fait état d'une mystérieuse créature des neiges" >>>> Re-Yeti again dans les pensées et les attentes du lecteur potentiel.
      _Citation encore: "Thriller démoniaque et Fantastique ... [ ] Libération" >>>>> Thriller, oui; démoniaque, peut-être; Fantastique, non.
      _Grand format, 1 de couv, citation: "Je suis en admiration devant Dan Simmons" signé Stephen King": sans doute le twist le plus vicieux qui ramène une fois de plus vers le Fantastique.

      En fait le Fantastique n'est pas promis mais simplement suggéré et çà marche très bien.

      Fin décevante, oui, car attendre si longtemps et voir de sortie les grosses ficelles, comment dire ... on attend mieux.

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  2. Ainsi, en s'aventurant à nouveaux dans les extrêmes enneigés, Simmons échoue à rééditer sa réussite de Terreur.

    Je m'en doutais un peu car avant sa publication tardive en France, Abominable n'avait, me semble-t-il, généré que peu d'attention outre-Atlantique...
    J'espérais au moins que la richesse de la documentation que tu apprécies dans ses romans te rende la lecture plaisante.
    Hélas, comme tu le révèles, il en oublie l'indispensable équilibre avec une bonne histoire, une bonne intrigue (et ça manque de yeti !)

    PS : ton dessin est par contre très réussi. As-tu pris pour modèle une montagne réelle ? Si oui, laquelle ?

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    1. Citation: "Ainsi, en s'aventurant à nouveau dans les extrêmes enneigés, Simmons échoue à rééditer sa réussite de Terreur." >>>> Le monde de l'alpinisme me semble plus étriqué, moins visuel et varié dans ses composantes que celui de la marine à voile polaire. "Terreur" surprenait par son mix réussi car équilibré entre faits réels, documentation régurgitée et Fantastique soft (ce que Simmons fit aussi avec Drood et avec succès)et ce qui fit mouche deux fois ne frappa pas pleine cible une troisième.

      Citation: "Je m'en doutais un peu car avant sa publication tardive en France, Abominable n'avait, me semble-t-il, généré que peu d'attention outre-Atlantique..." >>>>> Le titre semble être sorti aux forceps en France en compagnie de doutes sur le succès attendu et sur l’accueil discret qui semble avoir été sien aux USA. C'était palpable avant lecture, des signes trainaient sur le Net français, la longue attente n'a rien arrangé.

      Citation: "J'espérais au moins que la richesse de la documentation que tu apprécies dans ses romans te rende la lecture plaisante." >>>> Elle n'est pas au service d'un punch suffisant, du moins de l'ampleur de celui interne à "Terreur"

      Citation: "As-tu pris pour modèle une montagne réelle ? Si oui, laquelle ?" >>>> Oui, l'Everest lui-même. Ce sommet pyramidal est sa marque de fabrique, on le retrouve sur toutes les photos.

      Je me souviendrai toujours de ses 8849 mètres, presque deux fois le Mont-Blanc, mais bien en dessous des altitudes martiennes (J'ai entrevu 21000 sur certains articles). Bongu..!

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    2. _ "Je me souviendrai toujours de ses 8849 mètres, presque deux fois le Mont-Blanc, mais bien en dessous des altitudes martiennes (J'ai entrevu 21000 sur certains articles). Bongu..!"

      Ah, le mont Olympe...

      Je me souviens d'une nouvelle de Daniel Walther, "John Carter vs Olympus Mons", où un alpiniste s'y attaque et est assailli par des visions du héros d'Edgar Rice Burroughs, qui pourraient être des souvenirs d'une vie antérieure.

      PS : en recherchant des photos de l'Everest, et des comparatifs avec le mont Olympe, je découvre que la plus grande montagne de notre planète, en mesurant sa taille de sa base engloutie à son sommet, serait le Mauna Kea, un volcan éteint de l'archipel d'Hawaï, qui dépasserait les 10000 m.

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    3. le Mauna Kea (je suis allé voir, je ne connaissais pas).4207 m à partir du niveau de la mer ce qui laisse une sacrée marge au reste.

      Walther + Olympe + Carter >>>>> belle idée, je vais essayer de trouver. Walther possède un style qui pourrait, sur le sujet, promettre de bien belles pages. On trouve, apparemment le texte dans un collectif qui m'était inconnu.

      https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146585082

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