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jeudi 15 septembre 2022

Retour à Daussane - Claude Courchay

 

France Loisirs Ed. (1994), version d’origine en Presses de la Cité (1994) 

 


Curieusement, ici, sur Babelio (pour ne pas le nommer), « Retour à Daussane » a été peu lu (14 fois) et n’y a jamais été chroniqué (jusqu’à présent). Pourtant sa notation est, à ce jour, plus qu’honorable (3.9/5 sur le maigre fil, malgré tout éloquent, de 5 notes seulement), alors pourquoi quand auteur et roman sont excellents et méritent plus de notoriété ? Même constat, ailleurs sur le Net - Mister Google dixit – où l’on ne trouve que peu d’éléments le concernant. Si ce n’est ceux, purement commerciaux, le recensant et le vendant sur le marché du livre d’occasion. L’ouvrage n’a, semble-t-il, été réédité qu’une seule fois, des Presses de la cité (1994) vers France Loisirs (même année), sans être jamais sorti en Poche (Quel dommage, vraiment).

A mon sens les unes de couverture des deux éditions desservent le roman ; les illustrations renvoient à des scènes civiles alors que l’essentiel de l’action se situe dans les tranchées. Je m’attendais à une énième resucée campagnarde en background du conflit, à un roman de terroir classique (je n’ai rien contre le genre, bien au contraire) où les destins croisés de civils et de militaires se frottent les uns aux autres, où le conflit n’est que tangentiellement abordé, vu de l’Arrière. Je me suis trompé, il y a de çà mais bien plus encore, c’est une violente diatribe, une dénonciation du conflit et des hommes qui en vivent pendant que d’autres en meurent. « Retour à Daussane » fait partie de ces romans déchirants sur 14-18 ; c’est une autre pierre blanche (noire ?) sur le chemin du devoir de mémoire. Le roman secoue le lecteur, avance dans l’horreur en empathie totale avec ces Poilus qui crevèrent le ventre dans la boue, sans savoir pour qui, sans savoir pourquoi. Claude Courchay, via un « je narratif » atypique et percutant, écrit comme son héros parle et pense, use de mots percutants ; l'auteur a le sens de la formule fulgurante qui cingle et met quelques fois son lecteur K.O. sous le poids de certaines tournures de phrases inspirées, empreintes de colère et d’humanisme forcené. Les phrases sont souvent brèves - parfois un seul mot - il convient d'en garder le fil de l'une à l'autre; mais l'habitude/l'expérience venant le lien se fait entre elles et la lecture se fait aisée, le style devient addictif et de ce que je connais de la littérature, à nul autre pareil ...

A l’inverse des illustrations en unes de volume, le texte de 4 de couverture colle davantage au thème. En voici, de ci de là, quelques petits extraits commentés :

« Blessé dès les premiers mois de la Grande Guerre ». En août 14, c’est le temps, presque joyeux, de la fleur au fusil, de la guerre à l’air libre sous un ciel d’azur, celui des uniformes français bleu et rouge garance, des pantalons et képis qui tels de trop voyants coquelicots sanglants dans les champs de blé d’or attirent le feu de l’ennemi.  C’est le temps des baïonnettes et des tripes à l’air … C’est une guerre qui ressemble à celle de 1870 mais ne préfigure en rien celle à venir dans la boue des tranchées. Le héros de Courchay (sur)vivra t'il aux deux …

« Jean rentre au pays, en Provence » : Claude Courchay et les Basses-Alpes, en auteur du terroir, c’est une quasi constante géographique de roman en roman ; il en a les mots qui chantent, les phrases avec l’accent du midi. Nous sommes en pays de thym et de laurier, en terres de soleil brûlant. « Retour à Daussane » sent moins la Provence qu’à l’ordinaire tant, ici, l’auteur sollicite l’Artois, Verdun et les tranchées, tout cet en-haut d’Hexagone bientôt mordu par le froid, le brouillard, la pluie et la boue ... la guerre.

« Accueilli comme un héros par les habitants du village, Jean, incapable de supporter la vie de l'arrière, fait très vite le vide autour de lui... » Ce qui fait la force de l’ouvrage n’est pas tant la classique description sans fard et sans concession de la vie des tranchées - le propos n’est pas édulcoré, loin de là - mais le fait qu’il aborde le conflit sous l’angle des répercutions psychologiques désastreuses subies par certains poilus qui, gravement blessés au combat et revenus à une vie civile, ne retrouvèrent jamais leur place. Au regard d’un dette irrationnelle - « Pourquoi moi, survivant, et pas d’autres, des pères avec femmes et marmots en bas âge » - on suit l’itinéraire empreint de culpabilité d’un héros qui n’attend qu’un argument pour retourner au front. Le voici:

« Yvon, son jeune frère, a devancé l'appel et s'est engagé dans son régiment. Jean se jure alors de le protéger et de le ramener intact, après la guerre, à sa jeune fiancée. » Mais Yvon est bientôt exécuté pour l'exemple. L'heure de la vengeance a sonné ...

… la suite appartient au récit. L’épilogue, pourtant tout naturellement évident, m’est passé sous le nez sans que je le sente venir. Si vous êtes tenté de lire, ne creusez pas trop, vous vous priveriez d’une bien charmante mise en abime qui porte en elle, tout autant, son poids de désespoir via une fin ouverte.

 En ces instants de vie où mes lectures me guident volontiers vers la Grande Guerre, je me suis dit allez go allons-y, pourquoi pas, on verra bien. Bien m’en a pris. D’autant que Courchay, du peu que je savais et avais lu de lui, ne pouvait être que viscéralement en accord avec ma propre vision du conflit. 

De l’abondante bibliographie signée Courchay, j’avais lu (… et apprécié) il y a longtemps « Avril est un mois cruel » et « Retour à Malaveil » (prix RTL grand public 1982) sans pour autant me souvenir vraiment des contenus. J’étais venu à l’auteur via le rapprochement tentant à faire, de thèmes et de prose, avec l’œuvre d’un autre auteur français, Pierre Magnan, dont j’avais largement apprécié « La maison assassinée » et sa suite «Le Mystère de Séraphin Monge » qui entre en résonance singulière avec « Retour à Daussane » . Que tout cela, maintenant, est vieux dans ma mémoire ; mais voyant récemment passer « Daussane » en BAL,  je me suis dit que c’était l’instant d’y revenir. 

Bien m’en a pris ...

 

7 commentaires:

  1. MAJ: sur la Toile, je viens de trouver un troisième éditeur, VDB (?). Je n'ai qu'une image pour illustrer (rien de plus). Le propos restera dans les commentaires en attendant mieux.

    https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/W/WEBP_402378-T1/images/I/41yw6hQqQ3L.jpg

    L'image est typique des tranchées. Cela me semble mieux convenir au pitch de l'ouvrage.

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    1. Merci , j'en prends note , il me tente bien ... :)

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    2. Pas de quoi..!
      Quelque(s) précision(s) peut-être au-delà du statut d' "anonyme"..?
      (Oui, je sais Blogger, ne facilite pas ces choses-là, mais il doit y avoir des raisons)

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  2. Je ne suis pas du tout attiré par les romans de Guerre et j'ai l'impression d'en avoir lu certains des piliers du genre comme La mort est mon métier (Merle), La Peur (Chevallier), Être sans destin (Kertesz), plus d'autres qui ne me viennent pas en tête ici et je n'éprouve pas l'envie d'y replonger. Et pourtant, il y a surement un devoir de mémoire à perdurer.

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    1. Ce sont essentiellement les récits pacifistes centrés sur 14-18 qui m'intéressent, pourvu qu'ils soient conduits à hauteur de poilus. Les autres, purement guerriers ou nationalistes, je zappe et passe au large; j'y reste si un parfum, disons de rejet à minima, y transparait.. J'y viens plus dans un esprit "des des ders" que dans la contemplation béate de grands mouvements militaires qui m'indiffèrent totalement. Mon axe de lecture se place en pivot.autour de ceux qui pâtissent au premier chef d'une guerre inutile et vaine.

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    2. Et cela donne souvent des romans/récits plus forts, plus tragiques, plus touchants. ;)

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