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dimanche 27 novembre 2022

Sierra Brulante – Dylan Stark 21 – Pierre Pelot (roman)

Collection "Plein Vent", Robert Laffont Ed. (1971)

 

             « Sierra brûlante » (et par extension toute la saga consacrée à Dylan Stark) est un pur western, si ce n'est que Pelot, pour l'époque de parution (1971), en secoue les codes, la forme, jusqu'à en chambouler le fond.

Le pitch est simple. 1867. Désert du Nouveau Mexique. Une chasse à l'homme sous un soleil de plomb. 1000 dollars de prime. Le gibier : un indien navajo.  A ses trousses, quatre blancs et un métis : un propriétaire de ranch et son homme de main, un chasseur de primes, un vaquero mexicain au passé trouble et … Dylan Stark, un Bois-Brûlé révolté, un coin de bois enfoncé dans une buche ; l’affaire ne prendra pas la tournure attendue. Les mises en abime inattendues sont garanties …

La traque est lancée entre sables blancs, dunes, mesas et éboulis, cactus-cierges, coyotes, lézards, vents brûlants et absence de points d’eau … La suite appartient au récit.

Dylan Stark fut le titre générique d'une série western destinée à l'adolescence. Le cycle coure, au cœur de l’Ouest Américain du XIXème siècle, sur une très brève période (de 1864 à 1867). 22 courts romans parurent de 1967 à 1971 (belle prolificité). La majorité des titres vit le jour en Pocket Marabout, une alors nouvelle collection ados dans la continuité rafraichie de la juvénile Marabout Junior. "Sierra Brulante " est le 21ème tome (sur 22); il est sorti hors collection dédiée (car hélas défunte), s’est trouvé un créneau éphémère chez Robert Laffont ; le roman peut être lu indépendamment des autres, mais le lecteur pourra étoffer sa compréhension des faits et des hommes en lisant dans la continuité chronologique.

Le lecteur adolescent de la fin des 60’s, dans le sillage culturel de mai 68, allait trouver en Dylan Stark un héros aux couleurs d’une ère nouvelle, se forger un esprit critique au regard de thèmes revisités d’un autre œil et lire une prose de toute beauté. Au petit jeu des vases communicants entre littérature pour ados et celle destinée aux adultes, tout le cycle peut prétendre à l’émancipation ; à celui du « mauvais genres » Vs Littérature Générale, Pelot s’impose comme une passerelle plus que crédible, voire conseillée. ... Lui qui fut, plus qu'à son tour, auteur prolifique de "Mauvais genres" (ici un western juvénile, ghetto dans un ghetto dans un ghetto) peut, ainsi prétendre, quand il offre le meilleur de lui-même, à ne pas être sous-estimé comme il l’est.

Stark est un sang-mêlé, métis de cherokee et de français. Ce fut aussi, durant la Guerre de Sécession, un soldat sudiste logiquement déserteur de par sa couleur de peau. Solitaire et marginal, éternel voyageur sans véritables attaches, il se glisse d’épisode en épisode, chaque fois en quasi one-shot, dans une unité de cycle conservée. Pelot a conçu Dylan Stark comme un anti-héros atypique dans le paysage conventionnel des 60's. A l'opposé d'une culture western ciné/roman usant de l’archétypal John Wayne en récurrences conservatrices presque systématiques, Pelot a modélisé un personnage en rupture d'autorité, en refus de tout ostracisme, en dénégation de toute injustice sociale et/ou raciale.

L'auteur se refuse à glorifier la culture blanche appliquée à la Conquête de l'Ouest, à ostraciser celles noire, amérindienne et latino-américaine. Pelot tire un trait sur le manichéisme blanc/indien qui très longtemps fut de mise ; chacun reprend ses billes et se montre tel qu’il a été. Pelot revisite une étroite portion de l'Histoire US officielle à l'aune d'un regard autre porté sur certaines zones d’ombre peuplées d’oublis volontaires, de demi-vérités voire de mensonges honteux. Or donc on parlera ségrégation, esclavage, racismes, lynchages, réserves indiennes mouroirs et éradication raciale légalisée. Le discours est étonnant, quand offert à des ados scolarisés, il ne manque pas de bâtir en eux une réflexion critique face à l’Histoire communément admise. Cette vision oblique, à la convergence de celle officielle, allait, perso, me porter vers « Little Big man » (1970) qui dessinait le peuple indien d’une toute autre manière. Ado, avec Stark, j’allais me méfier de l’Histoire détournée, celle des manuels, celle des films à l’usage de l’homme blanc, celle à l’usage de l’instant guerrier aux fins de propagande. A chaque fois, quel que soit le genre abordé, Pelot vient gratter là où çà fait réfléchir, pleurer, hurler à l'injustice. 

Le roman est sorti en 71, deux ans après "Il était une fois dans l'ouest" (69). On sent l'influence du film sur le roman qui emprunte volontiers les chemins du western spaghetti. Lenteur des gestes, profondeur des regards, poids des silences et des non-dits. Le déroulé des évènements est empreint itou d’une semblable violence ponctuelle.

Pierre Pelot est un conteur, ses histoires prennent vie et corps, semblent s’extirper de la fiction pure. L’auteur a l'art des jolies phrases poétiques qui mouchent à cœur et celles, furax, qui dénoncent sans fard. Son usage des mots et l'agencement qu'il leur applique, son style, sa manière, son empreinte, tout lui est personnel. On reconnait Pelot entre mille. J’ai traque ses trouvailles et tics d’écriture, un sourire appréciateur aux lèvres, avec néanmoins le dépit de me dire: "Si tu essayais c'est ainsi que tu ferais mais tu ne pourras jamais". C'est un des rares écrivains que je perçois presque physiquement quand je le lis, perché au-dessus de mon épaule et me susurrant à l'oreille: "T'as vu, bien balancé non..? T'aurais dit autre chose, toi..?".

Et puis, je perçois l'homme, le vosgien campagnard, simple de vie, ses rythmes de pensée, sa façon d'être, ses faiblesses, ses forces, son entêtement, ses renoncements, sa fidélité à certains idéaux. Dans Dylan Stark on sent en embryon le Pelot à venir, celui SF qui essaime sérénité et angoisse, tendresse et colère, celui qui déchire, qui se déchire, qui étripe, qui s'étripe, qui saigne, qui dénonce, qui fait sourire les crabes*, courir le chien sur l'autoroute**, tombé l'épouvantail au combat***..!

Et puis ses livres m'ont tant marqué politiquement à une époque où un homme se cherche. Merci Monsieur Pelot, rien que pour çà.

 

*« Le sourire des crabes » 1977, Presses-Pocket SF

**« Le chien courait sur l’autoroute en criant son nom » 1984, , Presses-Pocket SF

***« Mémoires d’un épouvantail blessé au combat », 1984, FNA


 

Dylan Stark 09, 1968, en version originale Pocket Marabout

 

Collection "Marabout Junior", hors cycle consacré à Dylan Stark, un western signé Pierre Pelot (1966)

3 commentaires:

  1. Autre illustration:
    https://www.babelio.com/couv/CVT_CVT_Sierra-brlante_3272.jpg
    Moins classe mais en accord avec le thème. C'est déjà çà.

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  2. J'ai juste feuilleté cette même édition de Sierra torride (que je ne connaissais pas!) dans une bouquinerie, à Paris, il y a quelques mois... Et puis je l'ai reposé en soupirant: pas/plus assez de place sur mes étagères... J'ai tendance à "privilégier" les livres "petite madeleine", ceux que j'avais déjà lus étant gamin et sur lesquels je retombe. Ainsi, dans cette même collection Plein vent (qui a compté pas loin de 140 volumes), je me suis récemment offert L'ile des fossiles vivants, d'André Massepain...
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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    1. Ma bonne pêche en occasion de "Sierra Brûlante" visait la collection elle-même qui n'a jamais cessé de me faire de l’œil toute mon adolescence durant. Le problème étant que je ne me souviens maintenant plus des romans lus. J'ai du faire un stop à la collection aux alentours de 1975. Les volumes étaient chers et ne m'étaient accessibles qu'en médiathèque.

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