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dimanche 9 juin 2019

Santana - Africa speaks (2019)




2019.  Carlos Santana est chez Rick Rubin, dans son Shangri-La Recording Studio, à Malibu pour les disques Concord. Il a 72 ans et 25 albums studio à son actif (39 au total). Il va enregistrer 49 chansons en 10 jours, le tiers à peine sera conservé pour le présent album.

Quelques mois auparavant:

Le rocking-chair tangue, le temps que Carlos cale enfin le talon de sa santiag droite sur l'angle du bureau de bois verni. Il pose la gauche par-dessus, la niche au creux du coup de pied. Sa main nonchalante caresse la mappemonde qui tourne sur son axe. Un index en pression en stoppe la rotation, pointe le Mexique, pays de ses premiers pas d'homme, de ses origines latino-américaines. Le majeur cherche et trouve les USA tout proches, pays de ses rencontres avec le rock et le jazz, de ses débuts artistiques à Woodstock en 1969. Le pouce s'en va là-bas, se bloquer sur la gigantesque Afrique, berceau du Monde et de tous ses rythmes.

De ses doigts ainsi en tripode naît la thématique de son dernier album: "Africa Speaks".

Il bascule vers l'avant le bord de son étroit stetson noir, ferme les yeux. Il est heureux car il sait que, du brassage des trois cultures, il aura des choses à dire, des notes à jouer, des chansons inspirées à jeter sur le papier et à lancer à la face du monde.

Sa main cherche le goulot de la bouteille de tequila. Sur le verre épais de son cul translucide naissent, comme gravées, les premières partitions en noir et blanc, celles à venir,  prémisses de mélopées sanguines ou langoureuses accrochées aux pentes de la Sierra Madre, aux déserts de  Californie, aux escarpements rouges de l'Aurès, ou aux deux grandes obliques du Kilimandjaro ...

Viennent les notes
... en nuées de croches, simples, doubles, triples ou quadruples, accrochées aux lignes des portées. Myriade de grains de beauté sombres comme autant de petits oiseaux migrateurs agglutinés sur des fils électriques, tous venus d'Amérique Centrale ou d'Afrique.
Barres de mesure comme autant de poteaux en bois à intervalles réguliers, obstacles symboliques à la frontière entre Mexique et Texas. Le mur ne passera pas, la musique veille.
Rondes solitaires comme passereaux roulés en boule, plongés dans le sommeil.
Noires à l’image de bergeronnettes à la longue queue dressée vers le ciel.
Dièses et bécarres en moineaux battant frénétiquement des ailes, s’apprêtant à l’envol…

Les doigts de Santana parcourent la notation musicale à fleur de verre, suivent les ondulations des portées, cherchent les oiseaux perchés, s’attardant sur les uns, passant subrepticement sur d’autres…
Et, dans la tête du musicien magique, la musique explose, bouillonne et fusionne de toutes les influences mélangées. Des mélodies qui font vibrer, vivantes et jubilatoires. Des rythmes endiablés sur le lit de percussions omniprésentes et d'une basse acrobatique.
 Santana et sa Gibson SG aux sonorités d’une  incroyable virulence. Santana et ses longues tenues de notes dans les aigus qui mettent les nerfs en pelote. Guitare en feedback, se frottant aux amplis, cherchant le retour d’une note qui, perpétuellement réalimentée, peut tenir des heures. Guitare-Téquila. Musique qui fait bronzer. Vitamine D sonore …

C’est beau et sensuel, inspiré et ensorcelant, léger et brûlant, tendre et brutal ... onze chansons durant.
Le cocktail latino-américano-africain nous emporte  instantanément jusqu'au bout d'un long voyage au-dessus des mers, des montagnes et des déserts, pousse nos corps à la danse, à la transe, presque à la syncope.

Et dans la tête de celui qui écoute, la silhouette du chicano apparaît lentement sur l'écran blanc des paupières baissées, se superpose à la notation musicale. Longue silhouette vêtue de blanc. Epaules rentrées, cou étiré, tête penchée, sourcils froncés, yeux étirés en une fente étroite, comme en cinémascope. Doigts en main droite tirant les cordes à l’extrême dans la largeur du manche, jusqu'à la rupture. Ceux de gauche plantés comme des harpons entre les touches. Notes en vrilles, suspendues éternellement dans les airs; l’ultime, en sustain interminable, tendue entre le présent et l’avenir.

Les oiseaux-croches en une multitude de battements d’ailes frénétiques s’envolent des portées, tracent des accents circonflexes renversés contre le soleil rouge au coucher du jour, se regroupent en nuées, se répandent en tous sens. Erratiques tourbillons tour à tour se dilatant, se gonflant et s'étirant à l'infini. La musique de Santana s'en va parler au monde. Allez-vous l'écouter. Vous ai-je convaincus.

Et...Carlos, qu'as-tu fait de toutes les chansons qui restent..?

Ps: je ne connaissais pas celle qui chante en lead vocals, Buika, chanteuse espagnole, d'origine équato-guinéenne qui tient l'affiche aussi haut que ne le fait Santana.. Elle est belle de ce qu'elle est, de ce qu'elle chante et de la manière dont elle le fait ... voix magique que la sienne, multimétissée de tant de genres à sa portée. A suivre.

Au crépuscule de 2019, ce disque sera primé disque de l'année, je le souhaite. C'est une de mes plus belles rencontres. Depuis longtemps.




2 commentaires:

  1. Ecrire une chronique sur un album de musique, je saurais pas faire.. alors que toi, tu écris, mais en plus tu y mets de la poésie! très beau billet ;-)

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    1. Merci. En cette pluvieuse et froide journée je n'ai fait qu'écouter ce magnifique album qui m'a emporté en des pays où il fait bien plus beau qu'ici. Le jaune contre le gris, y'a pas photo.

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