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jeudi 28 juin 2018

La nuit des temps - René Barjavel




Réédition de 1978
 Réédition Omnibus 1995

Fin des années 60. En pleine Guerre Froide.
Antarctique.
Terre Adélie.

Du plus profond des glaces remonte un signal qui laisse supposer une présence à 1000 mètres sous la surface. Quelque chose ou quelqu'un attendrait depuis 900.000 ans. S'il y a un être vivant à l'origine du phénomène, il  patienterait depuis la Préhistoire. Si c'est un homme on aurait affaire à un Homo Erectus, depuis peu bipède.
Même si notre ancêtre se dresse enfin, évolution considérable, peut t'il communiquer par-delà les millénaires avec ses combientièmes arrières-[...]-petits-enfants d'un très lointain futur ?

Alors quoi ? A t'on affaire à une civilisation extra-terrestre ?

La vérité est tout autre.
Elle pourrait modifier les fondements de notre société ... si ce n'est que Barjavel nous réserve bien des surprises.

Les scientifiques découvrent deux sphères d'hibernation, un couple nu, à morphologie humaine et des objets aux fonctions incompréhensibles. Ces derniers sont les marqueurs d'une civilisation plus évoluée que la notre.

Il est décidé de sortir la femme de son hibernation...
Son nom est Elea, nous dit t'elle.
Elle va tout nous raconter en direct sur les chaînes TV à l'affût:
_Son monde d'antan perdu à jamais, les fondements de sa civilisation oubliée, les ultimes soubresauts de celle-ci avant son anéantissement.
_Mais aussi et peut-être surtout le Grand Amour de sa vie. Son nom est Païkan...mais il n'occupe pas la sphère voisine.

Elea et Goban, dans leurs sphères de survie, sont Nouvelle Eve et Nouvel Adam, les ultimes rescapés d'une humanité oubliée, les derniers espoirs de renaissance d'un monde disparu il y a tant et tant de siècles.

Mais les choses ne se passeront pas comme prévues, car il y a l'Amour... et Lui, quand il se mêle des Grandes Affaires des Hommes, ces derniers comptent alors pour si peu. Et il y a nous, les humains du XXème siècle, qui ne devraient pas être là et vont devoir comprendre, assimiler, accepter et réagir. 

« Eléa : je suis à Païkan, Païkan : je suis à Eléa. »

La suite appartient au roman.

"La nuit des temps" est un roman par défaut.
En 1965 ce n'est qu'un scénario commandé par le réalisateur André Cayatte. Une superproduction cinématographique qui faute de financement ne verra jamais le jour. Confronté à l'échec, Barjavel retravaille alors le scénario et le métamorphose en roman. 
Certaines scènes très visuelles du livre, comme celle de la fuite d'étage en étage au sein des sous-sols de Gondawa, témoignent de ce rendez-vous raté avec le cinéma.
Le roman est édité en 1968. Il obtiendra un succès populaire immédiat (Prix des Libraires en 1969). Il aura le destin pédagogique que l'on sait en devenant matière première à réflexions scolaires. Il recevra le privilège d'appartenir au club très fermé des ouvrages SF estampillés "littérature générale". Il ne paraitra pas en collection dédiée malgré son profil SF type.

"La nuit des temps" brasse maints thèmes récurrents en SF:
_les mondes perdus("L'Atlantide" de Pierre Benoit en 1919);
_les civilisations disparueset plus évoluées que la notre;
_L'espoir d'un futur meilleur via la cryogénisation. Le réveil à distance et les décalages induits ("Hibernatus" pièce de théâtre en 1957 et adaptation ciné en 1969, "L'homme à l'oreille cassée" roman d'Edmond About en 1862 et film en 1934);
_l'homme face à l'informatique naissante("Le lendemain de la machine" de F.G. Rayer en 1951);
_l'apocalypse nucléaire subie par deux fois ("Un cantique pour Leibowitz" en 1961): l'homme n'apprend rien des erreurs nucléaires de son passé et les réitère jusqu'à l'autodestruction;
_l'immortalité via le sérum universel ("Seigneur de lumière" de Roger Zelazny en 1967);
_la mouvance, post Seconde Guerre Mondiale, d'une SF qui longtemps polarisa (à cause d'Hiroshima et Nagasaki) sur les conséquences d'un conflit nucléaire issu de la Guerre froide ("Docteur Bloodmoney en 1965" de P.K. Dick);
_Barjavel joue maladroitement la carte de l'Anticipation Scientifique. Il imagine des technologies futuristes qu'il dote de noms peu crédibles ("la bague" pour n'en citer qu'une). C'est sans doute le point faible du roman, ces "trouvailles" affublées d'appellations  à peine dignes de séries Z. Seule "la mange-machine" me parait échapper au ridicule de la dénomination naïve. A cette époque, déjà, pour ne citer que lui, "Dune" s'en sortait bien mieux à évoquer des technologies nouvelles. Mais c'est un défaut pardonnable au regard des nombreuses autres qualités que nous offre le roman.
_ "l'énergie universelle" et les envies de possession qu'elle suscite de part et d'autre des frontières idéologiques. La SF humaniste s'est sans cesse acharnée à l'inventer pour résoudre tous les maux;
_un soupçon de Fantasy (lire ici "conte de fée") via une coloration "Belle au bois dormant" (l'amour sans espoir de retour du médecin français pour Eléa est un leitmotiv touchant, presque une fausse piste pour embrouiller le lecteur).

"La nuit des temps" s'inscrit pleinement dans son époque et dans la mouvance de mai 68:
Barjavel en renvoi d'un bas de page se défend de surfer sur le mouvement: il précise que l'écrit était antérieur aux "évènements". Il oublie néanmoins que "c'était déjà dans l'air du temps" aux USA depuis quelques années.
Rien ne manque à l'évocation: ni la mode via les post-its vestimentaires amovibles, ni la musique par la description d'un concert rock (le terme n'y est jamais employé), ni les étudiants en lutte contre les forces brutes de la "répression".
Rappelons ici que Barjavelécrit en 69 les "Chemins de Katmandu" que l'on peut considérer comme un surf littéraire sur la vague hippie.

"La Nuit des temps" offre une grosse louche d'amour tragique sur les modèles de "Tristan et Yseult" ou de "Roméo et Juliette". Cet aspect est prégnant et emporte le roman vers un succès qui ne se démentira jamais. Il aura une multitude de rééditions successives méritées. Mais son autre intérêt, non négligeable et sans nul doute plus important, est de secouer l'arbre à philosophie, d'en laisser tomber les fruits dans lesquels mordre pour discuter jusqu’au bout de la nuit.

"La nuit des temps" n'est pas, me concernant, un véritable coup de coeur. Je n'ai néanmoins pas boudé mon plaisir. J'attendais davantage de ce classique réputé. Réaction classique qui guette quand on retient trop longtemps une lecture. C'est bien foutu, prenant, savamment orchestré, émouvant, bien écrit. Cà tient la route. Par contre, on voit venir de loin le coup de théâtre final.

Oserai-je, néanmoins, un ultime petit bémol..?
Allez, si..!
Barjavel se pose, écrivent les spécialistes SF, en précurseur de la SF française des années 70. Je veux bien. "La nuit des temps", "Le grand secret", "le voyageur imprudent" et "Ravage" lui accordent ce privilège. Mais l'auteur, au sein du roman qui nous occupe, commet une erreur anticipatrice en présentant en direct TV les faits, gestes et révélations d' Eléa. Les auteurs SF des 70's ne seront pas si confiants et n'accorderont que rarement leur confiance aux médias.

26 commentaires:

  1. Comme d'habitude tu présentes une belle chronique bien documentée et argumentée..
    Je n'ai pas ta culture ciné et Sf, donc je n'ai pas ressenti l'effet des thèmes récurrents. Par contre je ne me suis pas sentie en empathie avec les personnages, malgré les histoires d'amour en filigrane. Je n'ai pas été touchée dans mes émotions, avec toujours l'impression d'être en observatrice du récit.
    Mais au final j'ai refermé ce roman avec une grande satisfaction. Ce fut une belle lecture, et dommage que l'adaptation ciné ait été abandonnée! ça aurait fait un beau film :-)

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  2. "donc je n'ai pas ressenti l'effet des thèmes récurrents" >>> ce n'est pas tant leur effet que j'ai voulu mettre en avant, mais leur simple présence. Barjavel les réutilise et nous les réchauffe en un brassage diablement efficace. Ce n'est pas une critique à son encontre, mais un simple constat.

    "je ne me suis pas sentie en empathie avec les personnages" >>>> C'est vrai que l'effet buvard manque. Mais l'empathie n'est t'elle pas néanmoins présente mais masquée. Je m'explique. La force immense du pitch de départ emporte tout, nous assène un uppercut au bord du KO. Tout le reste passe à l'arrière plan, devient presque accessoire. Seules comptent les deux civilisations et leur devenir face à la donne imposée par Barjavel.

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    1. Il y a pas mal de personnages et aucun devient la tête d'affiche. On peut penser à Simon, avec ses chapitres en exergue, mais il tourne rapidement à vide. Et Elea arrive trop tardivement pour sauver cette impression.

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    2. Peut-être un moyen de préparer la chute finale..?

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  3. "dommage que l'adaptation ciné ait été abandonnée! ça aurait fait un beau film :-)" >>>> certaines sources parlent du fait que la volonté de Cayatte était de concurrencer Kubrick sur le terrain de "2001, Odyssée de l'Espace". Dur challenge..?

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    1. Je n'ai pas vu l'Odyssée de l'Espace :-D

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    2. C'est une oeuvre ambitieuse(1968) qui couvre peu ou prou les mêmes thèmes que "La nuit des temps"; principalement celui de l'évolution humaine depuis la Préhistoire jusqu'à un lointain ailleurs énigmatique. Photographiquement c'est un miracle absolu, du jamais vu pour l'époque. Au regard de ce qu'il a du coûter, il était difficile à "La nuit des temps" de rivaliser. K.O technique donc. Mais il est vrai que projet financièrement abouti, le roman de Barjavel aurait eu matière à rendre coup pour coup à son rival anglosaxon.

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  4. "j'ai refermé ce roman avec une grande satisfaction" >>>> Itou. Cà faisait une paille que je n'avais pas passé un si bon moment de lecture, lu un roman SF de cet intérêt. Mon seul regret est qu'il soit éditorialement classé "littérature générale"

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    1. surtout après avoir lu le grande sommeil! ( me souviens plus du titre exacte)

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    2. il est classé littérature générale?? pourtant c'est clairement de la SF..

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    3. Itou pour "1984", "Le meilleur des mondes" et quelques autres chef-d’œuvre. Quand çà arrange commercialement le milieu éditorial on tait l'appellation qui tue et on pose l'oeuvre de l'autre côté du mur qui isole le ghetto SF.

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  5. Sur ton blog apparait le commentaire suivant: "il semble qu’il y ait toujours un basculement qui se répète à travers les âges, et précipite toutes les civilisations humaines vers la destruction et l’oubli." >>>> Point passionnant. Aux mêmes causes les mêmes conséquences. Comme si l'Homme était incapable d'apprendre de lui-même, de ses erreurs, de son passé.

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    1. du coup ça pose la question de l'âge de l'humanité... combien de cycles a-t-elle connu??

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    2. Au regard d'un auteur de SF qui explore tous les possibles, le nombre peut être infini. A celui d'un être rationnel je ne crois pas à une civilisation humaine antérieure à l'égal de celle d'Eléa et de Païkan. "La nuit des temps" ne fait qu'explorer une hypothèse de travail, peu importe qu'elle soit crédible ou pas. Ce n'est qu'un prétexte d'exploration de l'âme humaine.

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    3. "... combien de cycles a-t-elle connu??" >>>> Cela ne peut se quantifier qu'en termes scientifiques de séquelles, de ruines, de traces...etc. Par exemple dans "un cantique pour leibowitz", des moines recopient sans les comprendre vraiment des éclatés de machines disparues, échos technologiques incompréhensibles d'une civilisation disparue qu'il faut sauvegarder dans ses moindres détails. Cette civilisation est la notre, morte de l'atome guerrier; celle des moines est la suivante, elle va mourir à son tour de la même manière.

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  6. De mon côté, je n'avais pas vu venir la chute finale…
    J'aime beaucoup tes chroniques qui ont la particularité, comme celle des experts, de mettre en perspective des oeuvres, des courants de pensées et autres. Choses dont je ne suis pas capable.

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    1. Je n'avais pas lu le titre qui est pourtant un jalon reconnu de la SF française. Je l'ai vu passer et repasser maintes et maintes fois dans l'appareil critique de la SF sans être jamais parvenu à m'en faire une idée par moi-même. Il s'est inscrit tout naturellement dans ma culture science-fictive et a rejoint d'autres éléments de l'époque que j'ai vécu (même si j'étais alors très jeune).

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  7. un autre bémol (comme d'habitude avec moi), la très grande similitude (restons gentille) entre ce roman de Barjavel et celui de Cox La sphère d'or (https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146578243).
    S

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    1. Mon appréciation du bouquin s'est fait en deux temps. Une post-lecture immédiate plutôt favorable puis en quelques jours l'émergence de doutes sur certains éléments. Doutes confirmés par la consultation du Net, par le fait qu'il n'y eut (et qu'il n'y a toujours pas) de consensus commun autour de l'oeuvre mais une polémique à l'égal d'une cicatrice jamais refermée.

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    2. Rien que le titre et la 4e de couverture, c'est très proche…

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    3. Troublant isn't ?
      Wikipedia, pour amener une autre source, précise:
      "En Australie, Alan Dundas, fermier vivant un peu en ermite, découvre une gigantesque sphère enterrée, émaillée d'un métal indestructible, contenant le savoir d'une antique civilisation apparemment disparue. Il réveille une femme d'une merveilleuse beauté (Earani — Hiéranie en français), qui était plongée en état de biostase depuis des millions d'années et chargée de transmettre la connaissance de sa civilisation, exterminée par une catastrophe. Elle est d'une intelligence supérieure et douée de capacités psychiques inconnues des humains."
      On peut supposer que Barjavel s'en soit inspiré.
      Mais la (les) polémique(s) va (vont) plus loin qu'un simple plagiat hypothétique.

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    4. Il y a pas mal de romans actuels qui s'inspirent/réécrivent des romans plus anciens. On ne peut pas tout le temps être novateur. Pour la plagiat, je n'utiliserais ce terme que s'il y a tentative délibérer de tromper le lecteur.

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  8. _Dis, Lucienne, les WCs pour les clients c'est avec quoi..?
    _Le Canard..!
    _Quoi le canard..?
    _Le Canard WC. Celui qui nettoie la tête en bas, quoi..!
    _Ok..!
    _T'as trouvè ?
    _ ˙˙˙⊥Oᴚ⊥SIq N∩ Ǝ⊥ƎHϽ∀ ᴚIOΛ∀ IO∩Ὁᴚ∩OԀ ∩פNOq
    _M'enfin, çà fait partie du job...! Un bon bistrot est un bistrot propre. Les clients reviennent..! T'as fini..?
    _OUI. Et comment qu'on fait pour le bar..?
    _Le bar javel..!

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    1. On va mettre ça sur le compte d'une fatigue post-fiesta de noël ! ;)

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    2. Surement. Une connerie, comme celle-ci, du jour, il y en a une, ici, sur Zola et sa fortune des RM. Les deux, à vite vite oublier; çà ne passe que dans la spontanéité. :-)

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