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vendredi 12 octobre 2018

Regain - Jean Giono (Audiobook)




Edition 2014 sous forme d'audio book (lu par Pierre-François Garel) ed. Thélème
1CD mp3 3H49


Aubignane, Haute-Provence (vraisemblablement quelque part dans la Montagne de Lure), au début du XXème siècle. Un village (presque) totalement abandonné et en ruines. 
Il se meurt, faute d'habitants.

Ils ne sont désormais plus que trois, bientôt plus que deux:

_la "Mamêche", vieille espagnole qui a perdu jadis son mari à Aubignane. Il y vint en tant que puisatier du temps de la splendeur du village, le temps d'y creuser un puits et d'y mourir, enterré vivant sous les éboulis alors que jaillit l'eau;
_Panturle, la quarantaine, dans la force de l'age, qui prendrait bien femme pour enfin construire sa vie. Mais qui viendrait ici pour y fonder famille ? La "Mamêche" est si vieille. La vallée, promesse de vie, est pour lui un autre monde si loin dans le temps et dans l'ailleurs. Panturle ne veut pas quitter l'en-haut, quitte à y vivre seul et en sauvage. "
_Gaubert, le vieux forgeron que son fils, de la ville, vient bientôt chercher pour qu'il termine ses vieux jours auprès des siens; pour tout bagage il n'a qu'une enclume que la faiblesse de ses bras ne peut désormais plus soulever.

"L'enclume était partie. Elle était partie sur la carriole du Joseph, entre les jambes de Gaubert. Il n'entendrait plus : pan pan ; pan pan ; ce qui était le bruit encore un peu vivant du village."

Et puis il y a Gédémus, le rémouleur itinérant. Il tire seul la meule à aiguiser les couteaux montée sur la frêle charrette. Il va par monts et par vaux, de village en village, sous les gifles du mistral, le poids du soleil, le froid des hivers. Un âne et son attirail d'attelage c'est cher. Une femme serait de meilleur profit, d'autant plus si elle fait la popote et accepte qu'on la rejoigne dans sa couche. Veule et lâche, sournois et malin, Gédémusn'en sera pas moins, presque contre son gré, un instrument de la renaissance d'Aubignane, un relais d'informations entre la montagne et la vallée.

La route de Gedemuscroise en ville celle d'Irène, jeune chanteuse de théâtre ambulant, abandonnée par son "directeur artistique". Le rémouleur la sauve d'un viol collectif. Irène, devenue Arsule, tire désormais la "bricole" (les rênes de la charrette). Le destin va les pousser vers Aubignaneau bout d'un itinéraire abandonné de la mémoire des hommes.

Les principaux personnages sont désormais en place. A chacun son rôle. Ils sont les ingrédients nécessaires et suffisants à la renaissance du village. Giono assemble un huis clos en plein air, au sortir de l'hiver, à la rencontre des premières promesses du printemps. Les intentions des uns s'accordant à celles des autres, le temps du regain peut venir. Le titre du roman retranscrit bien les intentions de l'auteur: le regain, cette nouvelle herbe, tendre et verte, qui repousse dans les endroits fauchés, fragile et à la merci du moindre petit vent contraire.

Les maîtres-mots de la situation sont espoir, volonté, travail, amour et élimination douce des indésirables.

Le temps des objets suivra: un vieux soc de charrue sorti des décombres, un cheval prêté, un sac de semence d'un vieux blé d'antan, des boites d'allumettes comme jours au coeur des nuits, la première récolte, le premier pain, le premier marché tout en bas dans la vallée...etc

Des choses et des bonheurs simples pour des hommes et des femmes vrais, enracinés dans le premier des bienfaits de ce monde: la terre pour peu qu'on la cultive et l'aime sous le soleil, le froid et la pluie. L'abandonner c'est la trahir. L'aider chaque printemps à renaître c'est la respecter et lui permettre de perdurer pour que vivent les hommes.

Et quand, du fond de la vallée, reviendront d'autres hommes, peut-être sera t'il temps de refermer le livre, d'essuyer une larme et de dire: "C'est bien..!" ?

Comment ne pas aimer la prose de Giono ? Elle est si magique. Il naît sans cesse sous la plume de l'auteur des brassées incessantes de métaphores hallucinées et inspirées qui laissent pantois devant tant d'évidence et de génie appliqués à l'art d'écrire. S'il ne me fallait en citer qu'une, ce serait celle-ci:

"Le vent éparpille de la rosée comme un poulain qui se vautre. Il fait jaillir des vols de moineaux qui nagent un moment entre les vagues du ciel, ivres, étourdis de cris, puis s’abattent comme des poignées de pierres ".

Comment ne pas apprécier le fond du roman: ce désespoir simple porté par Giono de voir une terre abandonnée mourir sans personne pour la brasser et en vivre.

L'audiobook: je m'y suis longtemps résorbé.
Une étonnante et irrationnelle sensation de trahison m'empêchait d'en écouter.
L'oreille remplaçant l'oeil, j'avais remord à abandonner, ne serait-ce qu'un temps, les vieux outils de toujours nécessaires et suffisants à la lecture:
_ces 26 braves lettres de l'alphabet brassées, malaxées et éternellement réagencées pour que naissent tous les écrits possibles;
_l'encre noire sur la page blanche... indélébiles témoignages d'une imprimerie qui n'est qu'invention alors que la parole, de la bouche à l'oreille, est l'outil premier du conteur.
Ainsi, me suis-je dis, pourquoi ne pas tenter l'expérience du "livre lu"..?

Dont acte.

L'expérience fut largement positive. L'irruption de la voix du conteur et l'absence de mots sous les yeux ne nuisent pas à la perception de "Regain" en tant que chef-d'oeuvre indémodable. Les mots, les phases, les intentions écrites de Giono  passent, intactes, du livre à la bouche du conteur, de ce dernier aux tympans de celui qui écoute.

Comment ne pas se laisser embarquer par la belle voix modulable et puissante du récitant, Pierre-François Garel ?
 Elle reprend à son compte la volonté prégnante de Gionode musicaliser son texte, de lui faire rendre son, de le laisser sonner à l'oreille. L'auteur, de toute évidence, souhaitait transformer ses phrases en mélodies. Les mots alignés comme des notes sur une partition. Importants, ils sont marqués, martelés, scandés, deviennent points de repères, portent l'émotion précise, nécessaire et suffisante à l'esprit de l'instant. Ainsi, tour à tour surgissent la gaîté, la peine, l'amour, la colère, la tristesse... etc. Toute la palette sonore des émotions humaines est passée en revue.
C'est un art celui de savoir lire.
Pierre-François Garelglisse lentement sur les temps faibles, assure les liants entre deux zones fortes.
Il ressort de cette alternance un relief contrasté d'intonations à intensités variables, temps rapides et temps lents bien en place. Le récit se transforme en mélodie. La voix porte les mots sur une partition. Ils deviennent notes, croches, noires, blanches ou rondes. Un background sonore naît, aisément décryptable, compréhensible, les intentions restent perceptibles. Pas de bruitages, pas de musiques de génériques: la voix se suffit si bien à elle-même 

Dans la foulée j'ai revu, par curiosité et nostalgie, l'adaptation cinématographique que Marcel Pagnol fit de "Regain"en 1937 avec Fernandel et Orane Demazis dans les rôles principaux. On y sent l'empreinte type de Pagnolsur le 24 images/seconde de l'époque, via certaines scènes surajoutées dans lesquelles les dialogues sont fidèles à ce que le public attendait du papa d'une flopée de films méridionaux. On y sent plus le Pagnol truculent que le Giono de "Regain".  Le film perd aussi la sensualité magique de certaines scènes du roman, décrites à mots poétiques évocateurs dans le roman: le mistral se glissant sous la robe d'Arsuletirant la meule, le jeu amoureux des doigts s'entremêlant près de la cascade au bas d'Aubignane.

" Le vent entre dans son corsage comme chez lui. Il lui coule entre les seins, il lui descend sur le ventre comme une main ; il lui coule entre les cuisses ; il lui baigne toutes les cuisses, il la rafraîchit comme un bain. Elle a les reins et les hanches mouillées de vent."


6 commentaires:

  1. jamais testé l'audiobook encore...
    ce que tu en dis me plait bien, donc ce serait à essayer, un jour !

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    1. C'est du moins à essayer. Je ne suis pas sûr que l'écoute soit conseillée au volant.

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  2. Tu parles diablement bien de la prose de Giono. Heureusement que je l'ai lu, j'aurais envie de le lire.

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    1. mais tu peux tjs le relire!! :-D

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    2. Merci. Mais "Regain" est mon premier Giono. Et il y en aura d'autres. J'ai vraiment été emballé. Je suis très sensible à sa manière d'écrire. J'ai le hussard en PAL..il descendra du toit et traversera la Provence sous mes yeux. J'ai hâte.

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  3. Nicolas:"Heureusement que je l'ai lu"
    >>> et que tu en as fais une joile chronique sur ton blog.
    http://livrepoche.fr/regain-jean-giono/

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