Editions Pierre de Taillac -
2019
Du 4 août 1914 au 11 novembre 1918, des militaires français
du service de l'Ecoute ayant mission
d'intercepter les communications de l'ennemi, se sont montrés indispensables à
la victoire finale. Ce furent des hommes effacés, que l'on peut qualifiés de
l'Ombre, peu nombreux. Ils se montrèrent obstinés, patients, opiniâtres et
décidés. Malgré le peu de moyens à leur disposition, ils furent un des leviers
de bascule de l'issue du conflit.
A la lecture de "Les
écoutes de la victoire" on ne peut s'empêcher de les sentir pionniers
de la guerre électronique et de la cyberguerre
qui tant de décennies plus tard semblent désormais s'imposer.
Ils expérimentèrent à leurs débuts la technologie presque
nouvelle de la TSF (des prémisses durant la Guerre de Sécession ne semblant pas
en faire de vrais pionniers), mirent peu à peu au point des moyens d'écoute
efficaces, précis et redoutables des communications ennemies. Ils se montrèrent
discrets, couleur passe muraille, tenus au secret militaire. Ils pesèrent d'un
poids certain et déterminant sur tous les champs de bataille, sur les
événements militaires en cours, sur ceux à venir et ce, jusqu'à la signature du
Traité de Versailles, le 28 juin 1919,
sur laquelle ils posèrent leur empreinte invisible au bénéfice de la diplomatie
hexagonale.
Au-delà, leur contribution restera longtemps secrète. Leurs
méthodes pour la plupart ignorées de leurs ex-ennemis, ce coup d'avance
primordial qu'ils possédaient encore et toujours, devront rester confidentiels
en cas de conflit réactivé. Les pratiques de l'Ecoute désormais en sommeil,
l'Allemagne apprendra de ses erreurs et 22 ans plus tard une autre histoire
commencera.
De 1914 à 1919, les hommes de l'Ecoute deviennent les nouvelles Oreilles de l'Armée française. Charge à elles de découvrir ce que, de
l'autre côté du Front, sans les voir
et être vus d'eux, disent, pensent, envisagent, élaborent les ennemis; ce à
quoi ils se heurtent matériellement, physiquement ou psychologiquement; ce qui fait
leurs faiblesses à gratter jusqu'à l'os et leurs forces à éviter. Ce sont des
espions et contre-espions; ils dressent leurs oreilles dans l'Ombre et écoutent
ce qui ne devrait pas être porté à leur connaissance. Ce sont des coins de bois
qui cherchent les failles dans le Front ennemi. Ils ont aussi un rôle défensif:
dénichant des zones du Front
militairement désertifiées, cherchant à proximité la balance de celles
densifiées, déterminant ainsi en un lieu précis une attaque imminente.
L'interception du maximum de transmissions ennemies
(téléphoniques, télégraphiques, TSF...) est mission première. Elle se fait à
longue distance (depuis la Tour Eiffel...ou autres lieux lointains). Mais aussi
sous le nez même des soldats allemands, dans leurs tranchées si proches, via
des sapes par exemple.
L'exploitation des donnés capturées est mission seconde:
elles sont exploitées aussitôt si elles relèvent de l'urgence ou sont classées,
archivées quatre ans durant si elles n'ont apparemment aucun intérêt. Rien
n'est jeté: de vieux messages inutiles éclairant parfois des nouveaux.
Les données recueillies apportent à la connaissance des
états majors alliés des messages envoyés en clair dans l'urgence ou
l'inconscience, ou le plus souvent cryptés. Dans le second cas le Chiffre s'occupe inlassablement de les
disséquer, de les décortiquer, de leur
faire rendre tout leur jus, de déterrer les clés nécessaires à leur compréhension.
Elles doivent être utilisables le plus tôt possible. Bloquer sur un code des
jours durant c'est perdre en efficacité, c'est diluer la riposte, la rendre
inutile si trop de temps s'écoule; la réactivité est le maître mot. Le plus tôt
est le mieux devient la phrase-clé des services de décryptologie.
Les moyens radiogoniométriques alliés, d'abord fixes et
encombrants, puis rapidement mobiles, de plus en plus gros et efficaces,
localisent les récepteurs-émetteurs terrestres, embarqués dans les avions (pour
régler les tirs d'artillerie), les dirigeables (bombardiers) et les navires,
définissent des zones de brouillage à appliquer.
Les armes des hommes de l'Ecoute française courent sans fil dans l'air, dans la terre le long
de câbles interminables filant dans les no man's lands, dans les sapes sous les
tranchées ennemies.
Savoir c'est prévoir, anticiper, rassembler des
contre-attaques avant que les attaques ne se déclenchent; c'est prédire les
lieux, dates et heures des offensives à venir; c'est garder ce coup d'avance si
utile dans le timing; c'est permettre aux états-majors militaires d'avancer les
bonnes pièces sur l'échiquier. Le moindre renseignement, même celui apparemment
le plus insignifiant, est nourriture aux gens de l'Ecoute, la moindre miette
associée à des centaines d'autres, trace un portrait fidèle de l'au-delà du
Front, de ses failles béantes, de ses faiblesses et de ses forces, celui du
moral des troupes d'en face, de ses réserves en nourriture, des problèmes de
son intendance. A ce jeu là, celui où
l'imagination doit coller au plus près de la réalité entrevue, les services
français concernés, ceux d'Ecoute,
se montreront plus habiles et précis quatre ans durant, depuis la mise en
oeuvre technique sommaire des débuts jusqu'à sa sophistication finale.
Avec "Les
écoutes de la Victoire", document érudit et pointu, le travail
considérable de documentation préalable nécessaire a, semble t'il, permis de
mettre en lumière, un aspect méconnu de la Première Guerre Mondiale. Quel
boulot, sans doute méticuleux, acharné, patient, harassant et complexe, que
celui d'avoir collecté et emboîté les unes dans les autres les milliers de
pièces d'un puzzle aussi conséquent.
L'auteur, au terme d'une longue phase préparatoire, nous
livre ces messages interceptés dans une logique historique chronologique,
parfaitement assimilée et rendue. Le regard porté par l'auteur, délibérément
militaire, a un temps été un obstacle à ma pleine compréhension des événements
décrits (le temps de la guerre de mouvement qui précède celle des tranchées).
Puis, rapidement, aidé d'un glossaire indispensable, l'immersion totale s'est
opérée; le novice militaire que je suis a pris goût à cet étalage de faits
imbriqués, de déductions mathématiques concernant le Chiffre, de logique militaire remontant les pistes laissées par
l'ennemi.
Les mots abandonnés dans les airs à qui les prendra, cryptés
ou pas, tombant comme des empreintes de pas peaux-rouges sur les tympans de
ceux qui écoutent et espionnent: il y a dans tout çà, une logique de roman
d'espionnage et d'aventures qui ne m'a pas déplu.
"Les écoutes de
la victoire" sont une masse énorme, érudite, détaillée et précise, expliquée dans le détail,
qui plaira tout autant au fin
connaisseur de la chose militaire (que je ne suis pas) qu'au dilettante (que je
suis) qui y trouvera son compte d'enseignements, d'anecdotes inattendues et
d'étonnements.
Je remercie Babelio,
Masse Critique, l'auteur et les Editions de Taillac.
C'est tjs intéressant de savoir comment les choses ont débuté...
RépondreSupprimerLe versant cryptologique n'est pas dénué d’intérêt. Le titre en rapporte quelques exemples significatifs, qui démontrent que crypter un texte est chose aisée si on a la clé mais que le chemin inverse est une bien autre affaire, beaucoup plus compliquée. C'est presque irréel. J'ai toujours été d'une nullité crasse au mastermind.
RépondreSupprimerhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Mastermind#/media/File:Mastermind.jpg
Les membres d'Ecoute étaient capables de reconnaitre un collègue allemand rien qu'à la manière qu'il avait de taper du morse de l'autre côté du Front: ce qui ne lui servait à rien de changer d'indicatif personnel pour se masquer.
RépondreSupprimerAutre anecdote: à défaut de cables dédiés ils étaient capables de transmettre des messages via des canalisations autres: eau, gaz....etc
On apprend plein de détails de ce genre. Entre autres une flotille de Zeppelins partis bombarder Londres, repérée à cause de leurs emetteurs-récepteurs TSF internes, mis en brouillage et retrouvés errants de partout dans l'héxagone.
c'est le genre de trucs que j'aimerais voir en documentaire ...
RépondreSupprimerOui, c'est aussi le genre d'anecdotes que j'aime bien retrouver dans un doc télévisuel.
SupprimerEntre autres une flotille de Zeppelins partis bombarder Londres, repérée à cause de leurs emetteurs-récepteurs TSF internes, mis en brouillage et retrouvés errants de partout dans l'héxagone.
RépondreSupprimeron peut retrouver le récit de cet épisode dans le Fana #582.
s'anonyme
Après la SF, les trains (les BB de la SNCf d'une certaine époque si le me souviens bien),14-18 (il y a peu au sujet du même ouvrage): les avions maintenant. Tu me surprendras toujours, S'Anonyme.
Supprimer