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mardi 13 août 2019

L'homme qui n'existait pas - Cyril Bonin (2012)



Futuropolis 2012

"L'homme qui n'existait pas" est un one-shot BD paru en 2012 aux Ed. Futuropolis. Il est signé Cyril Bonin. 

Tout du long de la soixantaine de pages que compte l'album se déroule le destin singulier d'un anti-héros dans la force de l'age: Léonid Miller. C'est un homme lambda, falot et solitaire, désabusé de lui-même, des autres et du monde. Il n'est plus en phase avec les fréquences humaines qui l'entourent, ne vibre plus à l'unisson d'une société qui file sans lui vers des horizons qui ne sont plus les siens.

La 4 de couverture le propose en outre:

"Cinéphile, passionné par les histoires qui défilent sur les écrans des salles obscures,...[qui]...découvrira bientôt qu'on ne peut se détourner impunément de la réalité.
De fait, un soir, il disparaît littéralement..."

Seuls comptaient le 25 images/seconde, la réalité virtuelle trompeuse de ce qui s'anime sur la toile blanche des ciné-clubs de quartier. Le voici maintenant et désormais: silhouette mobile en flaque de lumière verdâtre, plaquée en 2D sur le décor de son quotidien, fantôme tremblotant au bout du cône lumineux d'un projecteur magique.

"Il lui semblait...[ ]... que les personnages de fiction avaient une présence bien plus dense et plus profonde que la plupart des gens...que la sienne en tout cas."

Personne ne le voit ni ne l'entend, ses mains passent au travers des choses et des gens. Ni vivant, ni mort; juste dans l'entre-deux, au coeur de l'inexistence, il ne manque à personne, se sent désormais assigné au néant ... si ce n'est que quelqu'un l'attend, un être qui... mais la suite appartient au récit.

Dans les bacs du bouquiniste, sans le titre qui déjà promettait de coller à merveille au propos de la 4 de couverture, sans les pages feuilletées à la hâte qui montraient que j'étais en pays du "Passe-muraille" de Marcel Aymé (que j'avais tant apprécié), je serai passé à côté. Le pitch onirico-fantastique, par résurgence mémorielle, a fait remonter des récits similaires déjà lus et aimés. J'en ai voulu retrouver l'ambiance. Bien m'en a pris. Un autre Garou-Garou m'attendait au creux de dessins attirants et sur le fil d'un scénario précis.

 
Vous souvenez-vous du "Passe-muraille" (1941), une nouvelle célèbre, teintée du Fantastique soft typique de Marcel Aymé ? Pour mémoire, elle décrit le destin étrange et tragi-comique d'un Monsieur-Tout-Le-Monde à qui est accordé subitement le pouvoir surnaturel de traverser les murs. Le don offert et finalement repris, oscillant entre bienfait et malédiction, lui permet de transgresser son morne quotidien, d'améliorer l'ordinaire par le vol. Etrange itinéraire de voyeur vite désabusé jusqu'à un épilogue pour le moins logique et définitif.

La nouvelle d'Aymé et le roman graphique de Bonin ont les mêmes qualités: la facilité de lecture et de compréhension, un style d'écriture de qualité, un Fantastique classique lentement et habilement mené à conclusion, sans hâte ni précipitation excessive. Bonin, en nos temps modernes où le Fantastique se déguise de Gore et d'Horrifique brutal, se montre au culot en décalage doux et poétique, presque romantique. A près de 80 ans de distance, l'écrivain et le dessinateur-scénariste usent des mêmes armes: celles de la douceur de contes faussement simples, comme racontés à de vieux enfants à deux doigts du sommeil; celles de deux thèmes voisins en empreintes fortes sur la banalité du quotidien; celles de la nouvelle littéraire qui va à l'essentiel et ne s'embarrasse pas de digressions. Les récits plongent le lecteur dans des atmosphères d'essence identique, douces et intrigantes, oscillant sans cesse entre rêve et réalité, entre conte et étude psychologique serrée d'anti-héros inattendus. La nouvelle donne de leurs existences les font osciller entre attirance et désespoir.

Les deux récits se posent au plus près du lecteur, les messages portent et marquent. Au final, le souvenir d'avoir lu et apprécié l'un et l'autre s'incruste durablement en mémoire. Bonin use de l'hommage et ne s'en cache pas: il a déjà adapté "La belle étoile" d'Aymé en BD chez le même éditeur.

Le parallélisme avec Aymé coexiste avec un rapprochement à établir avec un auteur US de Fantastique (1917-1994): Robert Bloch* (le scénariste de Psychose d'Hitchcock). Passionné et professionnel de cinéma, une de ses nouvelles est en rapport direct avec notre propos: il y imagine que son héros immatériel peut, à volonté, se déplacer d'une pellicule ciné à l'autre, d'une scène hollywoodienne mythique à l'autre. On le voit à l'écran, toujours en arrière-plan, dans la foule anonyme des figurants, jamais à la même place d'un visionnage à l'autre, toujours enclin à induire une uchronie cinématographique dans les milliers de films qu'il squatte temporairement. Il est peut-être aussi là, face à nous, au coeur du recueil de Marcel Aymé, entre les pages colorées de l'album de Cyril Bonin. Jamais, d'une lecture à l'autre, dans les mêmes phrases de l'écrivain, au sein des mêmes vignettes de Bonin, toujours enclin au clin d'oeil souriant à nous adressé.


*: peut-être est-ce Robert Matheson, après tout ? Quelle importance..? Je les confond toujours, tous les deux, dans les mêmes intentions fantastiques (peu les sépare), au creux de la même époque (ou presque), dans leurs penchants immodérés et obsessionnels pour le cinéma, dans la supériorité de l'un (qui de plus file aussi vers la SF) et l'intérêt presque fanique que je porte à l'autre...?

13 commentaires:

  1. Je viens de m'apercevoir, en lisant d'autres chroniques,ici et là, que pas un seul instant la mienne ne contient le mot clé de toute l'affaire: la solitude. C'est le pivot de l'histoire, celui autour de quoi tout tourne. Quel dommage cet oubli..! Un homme comprend qu'il ne peut s'abstraire de la réalité sans en payer le coût, sous mes yeux, dans chaque vignette et j'oublie çà. L'auteur nous montre que le moteur du bonheur c'est l'autre et je n'en parle pas. J'ai l'impression que je suis passé à côté de l'idée centrale. Ou suis-je passé à côté du spoiler en ne précisant pas que la rédemption du héros passera par une rencontre féminine où l'amour vainc bien des obstacles imaginaires.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Je viens de vérifier. C'était bel et bien Robert Bloch. Le titre de la nouvelle est "Le monde de l'écran". Elle est parue dans le recueil "La boite à maléfices de Robert Bloch", Autres temps autres mondes chez Casterman. Par contre, ce que j'ai décris n'est pas tout à fait exact, la mémoire est trompeuse. Je vais en faire une courte chro. A suivre.

    https://cdn1.booknode.com/book_cover/3472/full/la-boite-a-malefices-3472423.jpg

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  4. "Le monde de l'écran" nouvelle in "La boite à maléfices" de Robert Bloch
    Jimmy Rogers est un vieil homme. Il fut l'un des milliers de simples figurants que compta le cinéma muet hollywoodien. Plus de 400 films à son actif. Plus qu'un travail mal payé, le cinéma lui fut une passion dévorante qui ne le quitta jamais, partagée par la femme qu'il aimait, simple figurante elle aussi jusqu'à son décès sur un plateau de tournage.
    Quarante ans plus tard, dans les ciné-clubs, il aime à se revoir dans les films auxquels ils participèrent seuls ou ensemble.
    L'étonnement le frappe quand il la retrouve figurante dans un long métrage antérieur à son premier tournage. Elle lui adresse un clin d'oeil dans un autre alors que dans la séance suivante elle n'occupe plus la même scène. Un jeu de cache-cache s'opère quand, des lors, il s'agit de la dénicher dans des films auxquels elle n'a pu participer.
    Jimmy hante toujours les vieux décors de tournage qui servent encore. Sur l'un deux, il trouve une lettre de son amie qui lui apprend que la vie en 2D sur la pellicule est possible, que l'on peut sauter d'un film à l'autre ... et qu'elle l'attend.
    Jimmy décède. Et quelquefois, si vous êtes cinéphile vous aussi, vous pouvez les voir en noir et blanc, une jeune et jolie femme et un vieillard, côte à côte dans la foule sur l'écran... et si la scène s'y prête ils vous feront un signe de la main.

    Dans la préface Jacques Chambon écrit: " [le]thème [est] puisé dans la tradition du Fantastique...[dans]...l'hypothèse d'une vie réelle se cachant dans des univers qui, pour nous, sont fictifs et en deux dimensions: peintures, livres, photos, ou comme ici, films."
    Cette nouvelle est une perle de tendresse.

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  5. voir aussi Remake de Connie Willis.
    Le Bloch se trouve aussi initialement dans Fiction #201.

    s'anonyme

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    1. Oui.
      La nouvelle est lisible ici. P. 114. Elle tient dix pages, pas plus.
      https://archive.org/details/FictionN201/page/n113
      Tiens l'avant-propos signé P.H. (?) reprend ce que j'avais attribué à Chambon dans ma chronique (celle ci-dessus) d'il y a maintenant près de 30 ans. ????????. Toujours vérifier ses sources..!
      Pour le Willis: le pitch semble intéressant. A suivre. Je suis toujours preneur de ce genre d'atmosphère.
      Dans la lignée du cinéma muet (passant au parlant): "Le crépuscule des stars" de Bloch. Un chef d'oeuvre, mais je ne suis pas objectif, j'adore l'auteur.

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    2. après vérification dans le Fiction en question pas plus d'information sur ce "P.H." mais je parierai bien sur Philippe (R.) Hupp (il écrira plus tard pour Galaxie).

      Pour Willis c'est un texte de sa période Screwball Comedy (la meilleure avant qu'elle ne se mette à écrire des pavés plus sérieux et beaucoup plus pénibles) donc assez loin de tes idoles Bloch ou Matheson.

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    3. Oui. Hupp c'est un nom que j'ai souvent vu vaguement passer (y compris en tant qu'auteur, mais rien ne remonte vraiment). On le retrouve un peu touche à tout sur noosfere y compris illustrateur et photographe (n'était-ce pa l'avatar d'un membre de forum que l'aimais bien..?):
      https://www.noosfere.org/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146593882

      Pourqoiu ai-je collé ce bout de texte à Chambon il y a si longtemps..? Mystère..!

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    4. N'empêche le pitch de remake a tout pour me tenter:
      "Alis rêve de danser. Elle rêve de devenir la reine des claquettes dans une vraie comédie musicale. "Mais réveille-toi, ma pauvre petite :" lui dit Tom.
      Car à Hollywood, il y a longtemps qu'on ne tourne plus de films, qu'on n'emploie plus d'acteurs. Depuis la révolution infographique, on ne fait plus que des remakes. On prend les vieux films et on les censure, ou on les trafique. Et c'est ainsi que Marilyn Monroe donne la réplique à Tom Cruise ou que Charlie Chaplin tombe amoureux de Sharon Stone...
      En ce moment, le job de Tom consiste à "nettoyer" les classiques (c'est-à-dire visionner les versions originales et couper toute image où apparaissent alcool, tabac ou drogue). Travail de titan : c'est fou la quantité de bourbon ou de champagne que consommaient les héros des films d'antan ! Soudain, évoluant aux côtés de Fred Astaire, il reconnaît... Alis ! Mais non, voyons, ce n'est pas possible ! Ce film a été tourné en 1949 !
      À moins que..."
      Le dernière phrase apporte une similarité frappante avec "Le monde de l'écran; en outre l'idée de sabrer la nicotine et les degrés des pellicules poussiéreuses est très prometteuse. En PAL. Merci S'Anonyme..!

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    5. Le dernière phrase apporte une similarité frappante avec "Le monde de l'écran; en outre l'idée de sabrer la nicotine et les degrés des pellicules poussiéreuses est très prometteuse. :


      c'est aussi un des gimmicks d'un des dernier Clarke (The Ghost from The Grand Banks ?).
      Sur Willis, c'est généralement de la très bonne nouvelle (ou du court roman comme justement Remake ou Bellwether ou Uncharted Territory) romantico-humoristique (à partir de Blued Moon). A noter qu'elle semble revenir à ce style de récit avec Crosstalk, son dernier roman.

      S'Anonyme (cool comme pseudo)

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    6. sur Bloch, il n'existe pas grand chose de consistant si ce n'est le Robert Bloch chez Starmont de Larson (un peu court) et le recueil d'essais The Man Who Collected Psychos (qui part un peu dans tous les sens).

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    7. Noté pour le Clarke. Merci..!
      Concernant Willis, j'ai lu "Le grand livre" et "Sans parler du chien"

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  6. Je m'entretiens avec moi-même (MDR), me disant que cette chronique, finalement, ouvre les portes à la lecture de deux nouvelles et d'une BD qui entretiennent tant de fond et de qualités communes qu'il serait peut-être judicieux de les mettre à égalité de titres dans le présent article.

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