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dimanche 6 octobre 2019

La Fuite d'Italie - Jean-Marc Benedetti


 Ed. Passiflore - 2019

Au début des années 20, le mouvement fasciste mussolinien, après avoir cadenassé les villes, resserre son emprise sur les campagnes. La chasse à l'opposant rural s'ouvre, elle se fera dans le sang quand la résistance se fera trop forte. Les mailles du filet se resserrent autour des socialistes et des communistes qui, organisés en syndicats ou coopératives, menacent l'ordre ancien. Les terres changent peu à peu de mains sous l'impact de la persuasion forte, des ventes forcées à bas prix, des violences psychologiques et corporelles, quelquefois d'assassinats en place publique restés soigneusement impunis.

A Gorgo al Monticano, un village du nord-est de l'Italie, une famille, les Montefiore, est contrainte brutalement à l'exil vers la France. Elle trouve refuge dans le Lot et Garonne et s'intègre peu à peu. Le patriarche, Nunzio, devient arrière grand père et ultime référence d'un passé qui s'enfuit. Aux générations qui se succèdent, il n'aura de cesse de reparler de l'exil brutal, en anti-mussolinien convaincu, en opposant de la première heure, en ressortissant étranger broyé par l'Histoire ... Ses descendants rangeront les faits rapportés au rang d'un mythe familial inébranlable.

En 1983, l'arrière grand-père décédé, deux jeunes frères nés en France font le voyage de retour vers la terre natale, espérant renouer avec les cousins et cousines trans-alpins.

Le pèlerinage apportera d'autres fruits que ceux escomptés. La suite appartient au roman. Le lecteur est convié au voyage à la source des origines ... et ne le regrettera pas. 

Le roman emboîte progressivement les pièces d'un puzzle familial complexe, use de mystères pour disséquer un drame humain sous-jacent. Le lecteur s'interroge, cherche à comprendre, à résoudre l'énigme au fil des coups de théâtre, des révélations ponctuelles jusqu'à celles de l'épilogue en abîme. L'intrigue poserait ainsi l'ouvrage en roman de terroir flirtant avec le policier, si ce n'est qu'il n'apparaît pas limité à deux genres réducteurs. "La fuite d'Italie" mérite plus que çà. C'est aussi un roman historique qui dissèque l'emprise mussolinienne et les conséquences de l'exil. Mais c'est avant tout une œuvre généraliste à l'écoute des hommes et de ce qu'ils montrent à l'épreuve de la grande Histoire en marche, de l'Amour, de l'amitié et du respect à donner à la Famille. L'auteur y parle de leurs travers éternels et de leurs mérites ponctuels, des espoirs oubliés et des ambitions ruinées d'un clan disloqué, de l'amour des autres, de la Vérité qui ne peut cheminer qu'avec le pardon et la compréhension à ses côtés.

Les nœuds de l'intrigue sont si serrés et mouillés qu'ils mettront du temps à se dénouer. Il faudra tant de qualités simplement humaines pour y parvenir, pour survivre unis à l'épreuve qu'ils imposent. Les secrets familiaux sont hermétiquement repliés sur eux-mêmes, profondément enracinés dans l'ombre cachée du clan Montefiore. Trois générations depuis l'Exil pour qu'une quatrième s'expose enfin à l'épreuve du révélateur de Vérité.

Le malaise règne derrière la fausse liesse des retrouvailles, elles se noient rapidement dans la gène omniprésente, dans les silences pesants, dans les non-dits et les regards qui voudraient bien parler quand les bouches se taisent. Le temps des retrouvailles en parenthèse temporelle incertaine et fragile peut se refermer à jamais si de simples qualités humaines d'écoute ne s'imposent pas.

Quelle chose se cache derrière les faits têtus, les paroles retenues. Résoudre l'énigme est ouvrage difficile, les simples déductions ne suffisent pas; il faudra des actes et des paroles de bon sens, humbles et réfléchies pour qu'elle se dénoue. Un huis clos, à l'air libre d'un hiver débutant, enserre une famille dans un étau qu'elle est seule à pouvoir libérer. L'auteur maîtrise son propos et présente une histoire qui vaut le détour.

"La fuite d'Italie" s'impose, avec bonheur, à la convergence de genres littéraires comme un roman généraliste contemporain. Le style d'écriture est aisé, profondément humain et sensible comme en osmose avec les héros décrits au plus profond d'eux-mêmes, au plus près de ce qu'ils peuvent révéler et offrir. Jean-Marc Bénedetti réussit avec bonheur, au cœur d'un roman assez court (171 pages seulement), à nous offrir un texte plein, dense et prenant de part son intrigue complexe et ses psychologies attachantes.

Vrai, j'ai bien aimé. What else..!

Merci à Babelio et Masse Critique, aux Ed. Passiflore et à Jean-Marc Benedetti pour cette excellente lecture, à ces quelques jours passés en compagnie de personnages attachants..


15 commentaires:

  1. C'est une prouesse de présenter un récit aussi dense dans le fond et aussi court dans la forme..
    Quand j'entends qu'un tel ou un tel est d'origine italienne, je ne me pose jamais la question de savoir comment ça se fait que sa famille s'est installée en France, dans quelles circonstances..
    Tout au long de l'Histoire, il y a eu des drames qui ont entrainé des vagues de migrations, comme les cambodgiens du temps des Khmers rouges.. etc

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    1. Oui, c'est un éternel refrain, en tous temps et en tous lieux, là où et quand il y a ce sang versé et/ou cette misère qui poussent à l'exil et ce qui est gardé pour toujours sous les semelles: les traces d'un sol où la terre est souvent moins riche mais où le cœur des ancêtres a grandi et souffert si fort pour que personne n'oublie jamais.

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    2. Je me demande s'il est bon de garder des secrets de famille.. ça crée des malaises au fil des générations, et je pense que tôt ou tard ça ressort..
      alors, ce serait pas mieux de tout dire dès le début? ne rien cacher?

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    3. La problématique soulevée par le roman est bien plus compliquée (machiavélique) qu'un simple secret de famille. :-)

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  2. Cette ligne de commentaires a été précédé d'une autre sur: https://laconvergenceparalleles.blogspot.com/2019/09/a-suivre.html

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  3. N'empêche, il me subsiste une petite faim. Anecdotique, certes mais présente. Je me suis attaché aux personnages au point de les entrevoir dans le texte à l'image de celles et celui (ceux ?) photographiés en 1 de couverture. J'ai compté le nombre de personnages féminins, les ai supposé mère et soeurs et... cà ne colle pas (à moins que je me trompe) avec l'arbre généalogique présenté en introduction. Alors, faits réels ou roman pur ?

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    1. c'est pas indiqué dans le roman, si c'est inspiré de faits réels, ou même un genre d'autobiographie ?

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    2. Non rien. Je vais tourner autour de ce mystère pendant quelques jours puis me débrouillerai avec la Toile pour y trouver réponse.

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  4. quand tu dis que ça ne colle pas, c'est-à-dire? sur la photo il n'y a pas assez de femme? ou trop?
    peut-être que tout le monde n''était pas présent au moment de prendre la photo.. ?

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    1. Trop de femmes. Mais dans ce genre de mystère photographique les raisonnements de celui qui regarde et se questionne peuvent être tronqués dans la mesure où de simples amis peuvent se trouver pris dans le cadre.


      Je trouve qu'une certaine ressemblance existe entre l'auteur (4 de couv) et l'homme phographié en 1.

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  5. Voilà une critique qui donne très envie de lire le livre !

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  6. Grâce à Avin, j’ai pu lire ce beau roman : qu’il en soit remercié.

    C’est une histoire poignante. Une fois entamée, il est difficile de ne pas vouloir en connaître la fin et savoir si en affrontant des vérités enfouies jusqu’alors, les personnages trouveront de quoi se reconstruire.

    Le style où prédominent les phrases courtes usent volontiers de répétitions, ou du moins de paraphrases, ce qui est approprié pour rendre le côté obsessionnel de ce questionnement autour de la famille : comme des vagues qui sans cesse viennent s’attaquer à une digue jusqu’à qu’inéluctablement elle se fissure et cède.

    Le début du roman m’a rapidement accroché. Il faut dire que jouer au jeu des erreurs avec ma propre histoire familiale m’a conduit à une plus grande implication...

    Puis, à mi-lecture, deux bémols :
    _ le moment où le héros explose en réclamant la vérité à ses cousines : sa tirade est trop articulée, trop littéraire ; je n’imagine pas qu’une personne dans un tel état émotionnel puisse, à cet instant, s’exprimer ainsi.
    _ le personnage du bienveillant Soren, surgi de nulle part, manque d’épaisseur ; à un moment donné, il disparaît et je me suis demandé comment j’avais pu raté son départ, or il était là mais, personnage-fonction sans action à mener, il était rendu à l’invisibilité.

    Heureusement, ces défauts se font vite oublier car dans Gorgo al Monticano, le mystère se fait plus prégnant (que cache la maison aux volets bleus ?) et l’orage dramatique menace d’éclater, d’autant plus violemment qu’il est retenu jusqu’à sa dernière limite.
    Et si l’on pourra juger la révélation finale peu surprenante, cela n’importe pas (ou peu), car ce qui compte, c’est la force de la déflagration, l’impact sur les personnages principaux, dévastateur mais salvateur.

    PS Avin, l’illustration de couverture est très probablement une photo de famille de l’auteur (mention : « D[roits]R[éservés] Jean-Marc Benedetti »). Pas étonnant que tu trouves l’ombrageux patriarche et l’écrivain aient un air de ressemblance... ^^

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    1. Heureux que le roman t'ai plu.
      Je plussoie à tes bémols mais ils ne s'articulent pas dans l'essentiel du propos du roman.

      PS en guise d'encouragement :.):
      Et dire qu'il y en a qui disent d'eux-mêmes (à tord..!) qu'ils ne sentent plus capables de construire une chronique. Tout y est, dans ton commentaire, tout.

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