Réédition Gallimard (1981)
Ce roman célèbre, de nombreuses fois adapté au cinéma, est
paru en 1934. Il présente les destins croisés de trois personnages, une femme
et deux hommes à l'épreuve d'un thème classique, tous genres romanesques
confondus: le triangle amoureux infernal. Il s'échappe vite du ghetto "mauvais genres", malgré le handicap
de l'impression de déjà-lu, offre l'un des tout meilleurs fleurons de ce qui
agrège des auteurs comme McCoy, Chandler, Irish; et, cerise sur le gâteau, prend place d'honneur dans la
littérature tout court.
Ce court polar (160 pages), teinté noir US d'avant-guerre,
semble faire l'unanimité. Après lecture enthousiaste, je me range à l'avis
général et comprend pourquoi certains réalisateurs ciné se sont lancés le défi
de l'adapter. Après Chanal en 39 et la trogne innommable de Michel Simon, après
Garnett et Lana Turner en 47, mention spéciale à Rafelson en 1981 avec Jack
Nicholson et cet ange charnel qu'est Jessica Lange (bongu..!).
“Je l'ai prise dans mes bras et j'ai écrasé ma bouche contre
la sienne…
_Mords-moi ! mords-moi !...
Je l'ai mordue. J'ai planté mes dents si fort dans ses lèvres que j'ai senti le sang gicler dans ma bouche. Il coulait sur son cou quand je l'ai portée au premier étage.”
_Mords-moi ! mords-moi !...
Je l'ai mordue. J'ai planté mes dents si fort dans ses lèvres que j'ai senti le sang gicler dans ma bouche. Il coulait sur son cou quand je l'ai portée au premier étage.”
Une époque: la Grande Dépression et le Jeudi Noir en
background léger, les USA du krach boursier de 29. Les hobos sautent du toit
des trains de marchandises en marche; Horace Mc Coy, ailleurs, fait danser les
miséreux jusqu'au sang; Steinbeck les fait rêver des fruits de Californie loin
de la poussière et de la sécheresse du Midwest. La misère est partout, dans les
villes et les campagnes: pourvu qu'elle reste chez ceux qui subissent, chacun
sa pomme et crèvent les malchanceux.
Un lieu: la Californie,
une route peu desservie, un snack-restaurant vieillot, semblable à celui de
"Bagdad Café", pompe à essence manuelle sur le devant, atelier de mécanique
générale sur l'arrière. Une vieille enseigne pas encore au néon qui ballote
dans le vent.
L'épouse, le mari, l'amant.
Frank Chambers,
un traîne-misère, de ci de là comme tant d'autres, pour qui le moindre boulot
n'est qu'un rêve, le poker un cauchemar, la chance toujours ailleurs, plus loin
sur la route. Frank aussi, un
flambeur, un bagarreur de rue, un joueur, un biberonneur, un coureur de jupons,
un pique-assiette, un feignant ... Le snack est pour lui une étape comme une
autre: s'y faire payer la bouffe, y dégotter peut-être un job, y trouver la
promesse d'une autre vie avec, par exemple, cette beauté à peine entrevue, qui
travaille devant les fourneaux ...
Cora Papadakis,
l'épouse dans sa cuisine, pas grecque pour un sou. Cora, en chair et en courbes, jeune, belle et aguicheuse, aux
appétits rentrés, éteints et inassouvis. Cora
qui espère la fuite, un ailleurs moins morne, un avenir souriant.
Un homme est venu, une belle gueule mais un traîne-savate.
Leurs deux corps appellent au grand mensonge de l'amour. Mais entre eux: la
dernière pointe du triangle...
.
Nick Papadakis,
le patron, cocu de service, vieux, gras et peu ragoûtant, pas mauvais bougre
mais confiant jusqu'à l'aveuglement, marié à la belle Cora sur un coup de
chance, un malentendu, sur les simples promesses d'une vie sans misère. Papadakis, qui a l'argent du ménage, devient
celui qui, en outre, toujours dans les pattes, ne va pas tarder à gêner; celui
que les amants vont espérer mort, quitte à l'aider un peu ...
La suite appartient au roman, ce que j'ai dévoilé n'est qu'un
hors d'oeuvre, les péripéties seront nombreuses, inattendues et déboucheront
sur un final de toute beauté, de pleine force et d'empathie exacerbée.
Le style d'écriture:
_le "je" narratif qui accentue la prise sur le
réalisme, l'empathie pour les personnages;
_une alternance réussie de dialogues maîtrisés, rapides,
tendus et un explicatif de situation tout en phrases courtes et directes,
sèches et définitives;
_Des scènes charnelles tout en suggestions, brèves, comme
vouées au Diable, à deux doigts de la censure. Jessica Lange en a parfaitement
senti l'urgence et l'intensité, restitué le charme et l'aspect ardent et
envoûtant.
_l'éviction systématique de tout ressenti, le simple étalage
des faits, au lecteur de se faire une opinion. A noter que le final, plus introverti,
fait machine arrière dans la manière et montre un héros dans le vif de son
mal-être amoureux. L'épilogue prend la forme d'une rédemption à fleur de peau
qui noue les tripes; c'est l'apex du roman, un peu de soleil dans l'eau froide,
noire et obscure.
Le fond: noir c'est noir il n'y a plus d'espoir. L'obscurité
en pleine lumière. Des hommes, des êtres disséqués de ce qu'ils montrent de
pire et ont de meilleur en eux.
Et pour finir: ce fut pour James M. Cain un premier roman. Quel coup de maître..!
y a un facteur dans l'histoire?
RépondreSupprimer_Dis Tonton, c'est un drôle de titre ton truc ?
Supprimer_Quoi donc ?
_"Le facteur sonne toujours deux fois."
_Oui c'est vrai.
_Doit y'avoir une raison, non ?
_Surement..!
_Tu me diras quand t'auras lu ?
_Oui..! Promis.
_A moins que ...
_A moins que quoi ?
_Doit bien y avoir une explication ?
_A quoi ?
_Au fait qu'il sonne toujours deux fois.
_Oui..! Et alors ? T'as trouvé ?
_Peut-être qu'il n'est pas sûr d'avoir sonné la première fois ?
_Cà se tient. Et...
_Dans ce cas pourquoi ne sonne t'il pas une troisième fois pour être sûr de la seconde ? Et une quatrième pour la troisième ? Ainsi de suite..!
_Et alors..?
_On lui répond toujours avant qu'il sonne une troisième fois.
_C'est logique. Je vais chercher de l'aspirine..!
_Il est plein de tocs, au final, ton facteur.
_Faut croire..!
_Y'a peut-être une autre façon de voir les choses.
_Celle de dire que je ne peux pas prendre plus d'aspirine que ce qui est conseillé..!
_Mais non..!
_Je t'écoute.
_Le facteur veut être sûr, au deuxième coup, qu'il a bien été entendu au premier.
_Cà, c'est mieux comme hypothèse.
_Oui, mais... çà ne tient pas..
_Cà m'aurait étonné..!
_Le Père Noël ne sonne jamais, lui.
_Et ...?
_Comment est t-il sûr que les enfants dorment..?
_Parce que qu'il a su que le facteur est passé juste avant et qu'il a été obligé de sonner deux fois...!
"Les inconnus" en ont semble t'il fait une parodie avec "Le téléphone sonne toujours deux fois" dans les années 90's.
SupprimerMais du coup, il y a un facteur où c'est une métaphore? Ou alors ,c'est un traduction francaise fantaisiste?
SupprimerLe titre original est "The postman always rings twice", ce qui ne laisse aucune ambiguïté sur la volonté de l'auteur d'en user tel que. Pas de facteur.
SupprimerLa traduction est de Sabine Berritz (?)
Ce que tu dis de ce roman me laisse penser que c'est tout a fait le genre que je vais aimer.
RépondreSupprimerLe roman est court. 160 pages. En une demi-journée c'est plié. Oui, çà devrait te plaire.
SupprimerJe le mets dans ma wish illico
SupprimerDepuis quelques temps je suis fasciné par ces romans noirs US minimalistes de forme qui dissèquent sans avoir l'air de rien l'âme humaine au plus près. Dans le même genre que "Le facteur" il en est peut-être un autre, de 1946, qui frôle le chef-d’œuvre (et qui peut-être même en est un) via un sujet inattendu: les marathons de la danse de sinistre mémoire qui sévirent aux USA (mais aussi en France) après la Grande Dépression de 29. Son titre: "On achève bien les chevaux".
SupprimerEn France, Manchette, mais plus tard, use de la même économie de moyens pour rendre du noir polar qui sabre les psychologies au profit des simples faits et gratte l'homme au plus secret de lui-même. Presque de la magie..!
Depuis que tu m'as dit que mon style te faisait penser à Manchette, il est sur ma wish. Et je ne connais pas non plus le Horace mc Coy.
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