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lundi 17 février 2020

La Septième Croix – Anna Seghers



Metailié Ed. 2020


Automne 1936. L’Allemagne d’Hitler. En ces temps obscurs où le poids d’une vie n’est rien et que se construit peu à peu le pire, l’hiver d’un monde, les millions de morts d’une guerre que l’on aurait pu éviter ...

Au cœur du nazisme bientôt triomphant, quand le pouvoir en place nasse peu à peu l’opposition politique, quand incarcérer et exécuter deviennent maitres mots de la mainmise d’hommes sur d’autres ; quand la seule alternative vers la survie est la clandestinité ou l’exil ; quand certaines minorités se taisent, se cachent, commencent à subir dans leurs chairs ; quand les majorités revanchardes se font opportunistes, inhumaines et intraitables … quand les places bonnes à prendre le sont au prix du sang des autres.

Région de Francfort. La petite ville de Westhofen … son camp de rééducation, déjà d’extermination ... mais chut !

Les opposants régionaux devenus proies, gibier et bêtes traquées y sont enfermés, sont promis à la torture, à la mort et à la dissolution dans l’inexistant.

Sept détenus du camp s’évadent et s’éparpillent dans la nature.
Qui en réchappera ?

L’Ordre Nouveau n’admet pas l’erreur : le directeur du camp est désormais sur un siège éjectable, il cherche à se racheter, piste les fuyards. Une machinerie policière bien huilée se met en marche, en retrouve quelques-uns. Une torture particulière les attend … à titre d’exemple. Le Reich doit se montrer sans failles et sans pitié.

Sept platanes dans la cour du camp. Les arbres sont décapités à l’amorce des premières branches. Sur chacun une planche est clouée à hauteur d’épaules. Sept croix en attente de sept corps suppliciés sous les yeux des autres détenus.

Sept bêtes traquées au milieu des hommes leurs frères ; Sept errances tissées de peurs, de matins gelés, de nuits glacées à la belle étoile, de corps fiévreux et faibles, d’une faim de chaque instant qui taraude et ronge, de lendemains incertains et fragiles : de la manière dont est traversée chaque seconde dépend l’issue de la suivante.
Sept hommes parmi les fauves : les jeunesses hitlériennes, jeunes loups à qui on a appris le goût du sang ; les chefs de quartiers et d’immeubles aux oreilles affûtées et collées contre les murs ; les chemises brunes bientôt noires à la main leste armée de matraque plombée ; certains entrepreneurs à l’affût de la course à l’armement …
Sept hommes parmi les faibles, les traitres et les lâches : ceux pour qui vendre autrui devient un art de vivre, certains maires dans la crainte de n’en faire pas assez, de déplaire ; ceux pour qui se taire est la seule solution. La mort suspendue au moindre mot, la délation si facile, c’est l’autre que l’on torture, c’est à la porte du voisin que la Gestapo frappe.

Une traque, presque une chasse à courre, en automne, dans la campagne, les villes et villages du pays rhénan

Ceux rattrapés et crucifiés : corps décharnés que seules les âmes désormais tiennent debout sous le poids de souffrance de leur propre corps.

Seghers nous montre l’automne d’une nature en attente d’hiver, les feuilles mortes tombées des arbres, le froid que l’on pressent déjà à quelques semaines de là à peine, l’humidité en attente de règne sans partage, le brouillard en lentes écharpes entre les croix des suppliciés, au fond des ravines et effaçant les rues étroites des villes et des villages.

En parallèle, presque en copie conforme, Seghers nous montre l’automne d’une nation, encore peu consciente du déclin des petits jours qui s’annoncent, du grand hiver guerrier en approche rapide, de l’obscurité qui gagne la lumière. Une nation que certains croient voir encore dans la splendeur de l’été. Chroniques d’une mort annoncée

L’auteur nous montre le quotidien des hommes sous l’emprise d’un règne de brutes, les mécanismes de survie mis en place par les opprimés ne serait-ce que pour voir le lendemain. Elle nous décrit l’étau d’état qui broie tout ce qui ne le sert pas. Seghers nous montre l’hibernation, le repli sur le silence de certaines convictions politiques et religieuses, la nécessité vitale de se taire, de montrer un visage impénétrable. Le règne des bouches cousues s’impose en règle de simple survie, sur ce que fait et dit l’autre, sur ce que l’on fait et dit soi-même, le voisin l’amant le conjoint l’ami de toujours comme ennemis mortels potentiels.

Seghers emmène son lecteur et ses évadés au contact de toutes les couches de la population, au contact de tous les âges, elle observe leurs réactions au regard de leurs faiblesses et forces respectives. La septuple évasion réactive les réseaux de résistance endormis quand sauver le maximum de fuyards devient symbole : sept grains de sable enrayant une machine bien huilée comme promesses de petites lumières vacillantes au bout d’un long tunnel traversé de vents coulis.

Anna Seghers : écrivaine aux œuvres littéraires victimes d’autodafés, intellectuelle, communiste, arrêtée puis relâchée par la Gestapo, contrainte à l’exil vers la France puis le Mexique où « La septième croix » parut en 1942.

« La septième croix » rappellera à certains « Seul dans Berlin » de Hans Fallada. Mais là où le dernier resserre son drame dans l’intimité d’un couple acharné à la vengeance et à la dénonciation, la première taille dans une fresque où de nombreux personnages s’interrogent, se posent des questions, agissent ou se résignent . Elle construit son récit comme l’est un roman policier, un thriller.

En 1944, Hollywood tire du roman une adaptation cinématographique avec Spencer Tracy dans le rôle principal.

Merci à Babelio, Masse Critique et Metailié Ed.




11 commentaires:

  1. ça fait froid dans le dos cette histoire..
    l'auteure a eu de la chance d'être relâchée par la Gestapo!

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  2. Oui. C'est terrifiant.
    Les corps en croix: quelle horreur.
    Je n'ai pas le courage de chercher à savoir si c'est un emprunt à l'Histoire des camps ou une invention de l'auteure. Bien que la 4 de couv précise sans nuance: "Anna Seghers, qui, pour écrire son récit, a longuement écouté les témoignages d'éxilés...".

    Bon, ma prochaine lecture se devra d'être gaie.

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    1. _ « Les corps en croix: quelle horreur. »

      Suite au décès de Kirk Douglas, j'ai écouté une émission sur le Spartacus historique et ai été abasourdi de ce rappel : une fois la révolte matée, rien moins que 6000 esclaves furent crucifiés le long de la route qui menait de Rome à Capoue (lieu d'origine de l'insurrection) !

      _ « Bon, ma prochaine lecture se devra d'être gaie. »

      On te comprends !

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    2. Brrrrrrr..!
      Inutile, Jim, de te rappeler la nouvelle de Brunner ("une passion pour les clous" in Le Livre d'Or de la SF). Je ne me souviens plus de la chute. Je vais la relire.

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    3. une lecture plus gaie... avec Giebel?? mdrrr

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    4. Oui. Je n'avais pas pensé à çà. Giebel est rapide de prose, riche en dialogues rapides, c'est ce que je cherchais mais ses thèmes ne sont pas rigolards. Je vais réfléchir à autre chose en laissant courir le regard sur les rayonnages.

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  3. _ «la nouvelle de Brunner ("une passion pour les clous" (...)). Je ne me souviens plus de la chute.»

    Non plus.
    Elle ne m’a pas marquée (contrairement à celles de Moorcock "Voici l’homme" et Matheson "Le voyageur")

    Même sur un sujet aussi épineux (ahem...), il nous est heureusement rappelé par certains que le rire est possible (rions de la mort avant qu’elle se rit de nous ?) : Terry Jones, encore récemment, ou bien Franquin, https://i.pinimg.com/originals/69/76/ed/6976edc4c370546a4ab90b2688c04cf3.jpg

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    1. "Une passion pour les clous" de Brunner. Je viens de la relire. La nouvelle date de 1965 et n'a pas perdu une ride. 8 pages à peine et la chute tombe. Vlan...! Je ne spoilerai pas. Elle est néanmoins hors SF, tout au plus utilise t'elle un fantastique psychologique qui vient travailler le bourreau/crucifieur et le pousse à une action radicale. Brillant. Ce qui m'étonne le plus, j'avais gardé le souvenir d'une mise en abime étonnante sans me souvenir de quoi elle était faite. Toujours est'il qu'à la relecture il m'a une nouvelle fallu attendre les dernières lignes...

      "Voici l'homme". Il me faut relire le roman. Il m'avait tant marqué (y a t'il encore de quoi au bout de toutes ces années écoulées). Peur de le retrouver suranné ? "Jesus video" d'Eschbach m'avait paru bien plat à comparer.

      NB: dans "Une passion pour les clous", page 279 de Le Livre d'Or de la SF Brunner, on trouve: "Cà te dit quelque chose la révolte des esclaves ? Et bien quand ils l'ont maté il y avait plus de 5000 esclaves accrochés le long des routes. Pour l'exemple, quoi..!". Ce qui fait écho à un des tes comms ci-dessus.

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    2. Franquin et ses "Idées Noires": Hé hé hé..!

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  4. Oh mais ça a l'air passionnant, et comme en plus j'avais adoré le Fallada, je note ce titre!

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    1. Un petit bémol néanmoins. Comme dans "Les bienveillantes" de Littell en grand format nrf (je ne sais pas pour le poche) les dialogues de "La septième croix" ne sont pas renvoyés à la ligne pour économiser des pages, ce qui confère une certaine pesanteur aux 450 pages. Il faut du temps pour s'y faire.
      Le Fallada me semble plus fluide, plus facilement abordable, plus prenant. Les deux jouent autour d'un thème voisin sur des registres différents, plus intello pour le Seghers. Mais c'est subjectif...

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