France
Loisirs - Georges Simenon 10 - 2016
Omnibus -
Tout Simenon 07 - 1989
Le livre de poche (réédition 2000)
Chez Simenon,
tout n'est souvent qu'oppositions en tous genres: de lieux, d'hommes, de
hiérarchies, de corporations professionnelles ... Les contrastes sociaux qui en
résultent s'y entrechoquent le plus souvent dans les décors de l'opulence. L'auteur y
puise des profils d'hommes et de femmes taillés dans toute la gamme des
ressentis humains.
Si, dans "Maigret
se trompe", l'unité de lieu est parisienne, le lecteur y côtoie deux
quartiers de la capitale fondamentalement différents, deux façons de vivre à
l'opposé l'une de l'autre et aux intérêts discordants. Celui de la Chapelle,
populaire et misérable, face à celui, bourgeois et cossu, des Ternes. Au lu des
descriptions faites par Simenon, les
différences sont nettes. Le grand écart social de l'un à l'autre semblait
d'importance à l'époque. Le contraste est saisissant, il va de la misère à la réussite
sociale ostentatoire. Le déséquilibre est posé: proxénétisme, prostitution et
hôtels borgnes d'une part; immeubles cossus et professions haut de gamme de
l'autre.
Louise Filon, dite
Lulu, une jeune prostituée,
désireuse de refaire sa vie, raccroche du monde de la nuit sous l'impulsion d'Etienne Gouin, un neurochirurgien de
renom qui vient de l'opérer d'une tumeur au cerveau. Il a eu le béguin pour
elle et la veut à demeure dans une garçonnière dont il assumera tous les frais.
Le fait qu'elle se situe sous l'appartement luxueux qu'il occupe avec sa femme
n'a aucune importance. La transaction ne s'accompagne d'aucune condition sinon
celles de sa disponibilité et de la discrétion des rapports qu'elle pourrait
entretenir avec son amant de coeur, Pierrot
Eyraud, un saxophoniste éternellement désargenté.
Louise est
assassinée, une balle à bout portant tirée en pleine tête. Elle était enceinte.
Maigret mène son enquête
à l'instinct autour des deux amants de Lulu.
L'un des deux est t'il le coupable ? Lequel ? Un autre scénario est t'il même
possible ? Il focalise sur Etienne
et Pierrot. S'il cerne rapidement le
sentimentalisme exacerbé du second qui
a peut-être conduit le jeune homme à l'inéluctable, il est subjugué par la
personnalité étonnante du médecin.
Etienne Gouin est
un bien curieux sexagénaire, tout entier obsédé par son métier. Il est froid,
distant, hautain, autosuffisant, méprisant, égoïste et peu arrangeant. Et
pourtant...
Cinq femmes, rien que çà, gravitaient autour de lui, sans
cesse, à son entier service. Chacune sa raison et sa manière, qu'il s'agisse
d'amour, de finances ou de haine. Lulu
assassinée désormais exclus, elles font toutes successivement obstacle aux
questions de Maigret, les
interrogatoires tournent court et dédouanent le chirurgien. On trouve: une
concierge peu loquace; une épouse résignée mais toujours sous le joug; Lucile, une secrétaire/assistante à
l'entière dévotion H24 du grand homme; une femme de chambre taiseuse et
hargneuse, apparemment figée dans une violence retenue. Figure atypique: Antoinette, une belle-soeur haineuse
qui ne cache pas tout le mal qu'elle pense de lui.
S'en suit une succession d'interrogatoires qui donnent à
l'ouvrage une tonalité classique de roman policier à énigme. Chaque portrait ne
se contente pas des faits, mais est efficace, taillé dans les détails
psychologiques les plus précis. De l'excellent travail.
Maigret, se
refuse à interroger d'emblée le chirurgien. Il s'attache à recueillir au
préalable des témoignages. L'ensemble donne à l'ouvrage une tonalité classique
de roman policier à énigme. Peu à peu se tisse d'Etienne un profil qui ne cesse de troubler le commissaire. Il se reconnaît
dans l'homme du fait d'origines pauvres communes. Maigret se compare à lui à cause de son échec mal assumé en fac de
médecine, qui lui avait valu un "repli stratégique" vers le fonctionnariat
policier. Il jalouse Etienne, de ce
statut d'homme à femmes qu'il envie et surtout ne comprend ni n'admet pas. Le
neurochirurgien est tout entier une énigme qu'il ne parvient pas décrypter.
Maigret, en roi
blanc sur l'échiquier en cours, presque esseulé, ses adjoints en simples pions
n'étant qu'aux ordres, avance à tâtons face à un adversaire noir, escorté de
quelques pièces qui comprennent parfaitement la stratégie en cours.
Il faudra la confrontation finale, d'anthologie, pour que le
commissaire enfin comprenne ... même si, comme l'indique le titre du roman,
"Maigret se trompe" et que
la vérité est ailleurs.
Un excellent Maigret d'où
émerge le portrait au vitriol d'une ordure innommable comme sait souvent en
bâtir Simenon. La dernière à mon souvenir me vint de "Maigret à Vichy".
Une nouvelle fois Simenon
jette sur la table de jeu une poignée de personnages principaux et secondaires
comme autant de petits aimants électromagnétiques. Chaque intervenant se soude contre
nature à l'autre via des polarités inversées, se dévoile à deux faces trompeuses,
s'imbrique tant bien que mal dans le grand jeu de la Vie; certains quitte au
meurtre, à la duperie, à la malhonnêteté crasse et aux pires saloperies
inventées par l'homme.
Il se forme et perdure un conglomérat social compact,
d'apparence stable mais si peu structuré. Un rien peut le perturber.
L'unité demeure tant qu'un aimant désactivé, ici par son
assassinat, ne perde ses polarités et déstabilise le tout jusqu'à l'implosion.
En outre, Maigret,
en empathie variable avec les personnalités différentes qu'il observe
patiemment, en corps étranger électrique aux polarités changeantes, farfouille
dans la masse ... et y court-circuite le courant pour que naisse la lumière.
Ps: si l'action se situe dans la froidure de novembre, la
météo, pour une fois, n'a guère de poids dans le rendu d'atmosphère, comme si
la saloperie des hommes pouvait se satisfaire de tous les temps.
En réfléchissant plus avant à la personnalité du neurochirurgien, en gros en laissant le roman mijoter sur sa lancée, j'ai frissonné à la crainte potentielle d'un jour croiser un tel personnage dans ma vraie vie, tant, de part son comportement, il induit à son seul profit des conséquences négatives sur tout ce qui l'entoure.
RépondreSupprimerIl apparait en outre que la sage trajectoire du roman sur le fil d'un policier classique débouchant sur une telle horreur humaine construit une de ces oppositions chères à Simenon.
Le roman se lit extrêmement vite. Il est bourré de dialogues incisifs,brefs,rapides; de confrontations orales où la vérité peine à trouver un chemin entre les non-dits et les sous-entendus. Belle maitrise que celle de Simenon en ce domaine.
RépondreSupprimerDeux adaptations télévisuelles avec Jean Richard/Macha Merril en 81; Bruno Cremer/Bernadette Laffont en 1994.Je n'ai vu (à mon souvenir) ni l'une ni l'autre.
RépondreSupprimerJe viens de relire rapidement la fin du roman. Il est vrai que Gouin est présenté comme un être dépourvu de tout sentiment, froid et calculateur. Je suis un peu passé à côté de cela dans ma propre analyse. Mais c’est surtout un homme qui, comme Maigret, n’a pas beaucoup d’illusions sur la nature humaine.
RépondreSupprimerJ’ai été surtout intéressé, à travers la vie de cet homme à femmes - il lui en faut beaucoup et de toutes sortes car il est obsédé par la solitude : « - Pourquoi l’avez-vous épousée ? Pour avoir quelqu’un dans la maison. La vieille femme qui s’occupait de moi n’en avait plus pour longtemps à vivre. Je n’aime pas être seul, monsieur Maigret. Je ne sais pas si vous connaissez ce sentiment-là ? » - par les portraits de femmes dans lesquels Simenon excelle (cf. Aline Calas dans Maigret et le corps sans tête). Et aussi par cette manière habile de retarder le plus possible la confrontation avec un Gouin qu’il connaît déjà par leurs témoignages. Sur ce point et sur la personnalité
Le titre du roman, me rapprochant de l'épilogue, m'a titillé et interrogé. En quoi Maigret se trompait t'il ? Je ne comprenais pas. En apparence il avait conduit son enquête avec brio et déterrer les bons coupables (et c'est le cas, juridiquement parlant). En apparence seulement. Il se fait manipuler de A à Z. Sa seule initiative intelligente: se soustraire le plus longtemps possible à l'emprise de Gouin sur les autres qu'il craint de voir se déverser sur lui. Mais, quand les deux hommes se rencontrent à l'initiative (tu m'étonnes) de Gouin, le chirurgien mène la danse à sa manière et Maigret, tous les éléments en mains, se laisse abuser, ne comprend que confusément la situation derrière les faits, pressent ses erreurs et au final ... ne veut plus entendre parler du chirurgien comme si tout çà était bien trop compliqué pour lui. Pour Maigret c'est un échec qu'il surmonte comme une autruche la tête dans le sable. La dernière phrase du roman en ce sens ne laisse planer aucun doute.
Supprimer... de son côté Gouin, longtemps sans Maigret sous la main, perd les fils d'un pantin potentiel. Mais ce n'est que reculer pour mieux sauter quand au final au grand jeu d’échecs en cours Maigret se prend un échec et mat retentissant dans les dents.
SupprimerLe chirurgien est une belle ordure dans le sens où il laisse derrière lui une cohorte impressionnante de dégâts collatéraux tout en gardant les mains blanches ... et que, cerise sur le gâteau, il remet le couvert avec quelqu'un d'autre quand se termine le récit.
Quand j'y repense à froid, quelle efficacité dans les dialogues. Il n'y a pas un poil de trop, c'est dégraissé jusqu'à l'os, chaque mot a son poids et conduit à une réflexion sur qui le lâche dans la conversation: sur ce qu'il est, sur ce qu'il montre aux autres, sur ce qu'il veut induire chez les autres. Merci, rien que pour çà, Monsieur Simenon.
SupprimerUne nouvelle fois, ce que tu dis sur ce roman est très tentant mais je l'ai pas en PAL alors je suis bien content de lire ce qu'écrit Polars Urbains sur Maigret et le corps sans tête car c'est mon prochain Maigret.
Supprimerhttp://maigret-paris.fr/2019/06/maigret-se-trompe.html
Supprimerhttp://maigret-paris.fr/2019/02/maigret-et-le-corps-sans-tete.html
Je viens de percuter, à l'instant, que dans "L'ours en peluche", Simenon nous faisait rencontrer un autre médecin bien secoué dans sa tête. Récurrence de thème ou hasard convergent de mes choix en PAL ?
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