Le Bélial Ed. 2018. Collection « Une heure
lumière » n°13
« La ballade de Black Tom ». En voici l’amorce
qui ne soulèvera que peu d’éléments du récit :
Le New-York des années 20.
La ségrégation s’impose avec férocité.
Harlem, Brooklyn, le Queens … etc.
Quartiers ghettos noirs où la précarité règne. Quartiers blancs
au goût de paradis. Un mur, virtuel, entre les deux. Les flics patrouillent en
Ford T et font tampon. Ils protègent les plus forts des plus faibles. Dichotomie
à contraste accentué, l’argent et le luxe pour les uns, la dèche pour les
autres. La vie à pile ou face sur la simple couleur de peau.
Charles Thomas Tester, 24 ans, traine une six cordes
acoustique en bandoulière. Voix sans âme et instrumentiste besogneux. En tant
que musicien de studio: pour lui pas d’embauche, les oreilles des autres lui
bottent le train arrière. Malin et débrouillard, il fait la manche, chantant et
grattant les cordes, sur les trottoirs des quartiers limitrophes où son absence
de talent ne trompe que les blancs. Tombent tombent les pièces dans son chapeau
renversé aux pieds des immeubles en promesse de gratte-ciel. Sa vie bascule quand il est embauché le temps
d’une soirée par Robert Suydam, un vieil homme blanc et riche, adepte de
sciences occultes. L’attendent les horreurs lovecraftiennes que vous avez tous
et toutes croisées.
Thomas F. Malone, flic de son état, blanc, dans le sillage
policier de Suydam, filatures et enquêtes diverses. Il y croise les pas de Charles
Thomas Tester déjà deux doigts dans l’Ailleurs. Bienvenue en HPL Land, ses
codes, ses atmosphères où rôde sans fin ce que l’on ne distingue ni n’explique
que vaguement, une boule de terreur au fond de la gorge.
Les deux personnages sont en quête de leurs destins croisés.
Ils vous y attendent. En compagnie de Black Tom. Mais qui est ce dernier ?
La présente chronique n’a pas été facile à écrire : « La
ballade de Black Tom », malgré sa brièveté (143 pages), ne manque pas
d’éléments à mentionner pour chercher à aller plus loin que sa simple lecture,
de particularismes singuliers et charmants qui en font tout le charme ... le concernant tout est dans les détails.
Je vais essayer de faire court …Mdr.
Victor Lavalle est un auteur tout neuf, tout nouveau
en France. 4 romans et un recueil de nouvelles déjà parus ailleurs. Le voici présenté,
pour sa première publication hexagonale, dans la collection « Une Heure
Lumière » chez Le Belial Ed. qui a eu l’idée saugrenue en ces
temps de crise, mais apparemment justifiée au regard des résultats et de sa
longévité inattendue, d’avancer sur le terrain des novelas de Science-Fiction et
de Fantastique proposées sous un bel emballage. La série en est à sa 24ème
publication (juillet 2020) et semble drainer à sa suite un bon nombre d’afficionados
(et quelques réticents). J’y avais lu «Les attracteurs de Rose Street »
de Shepard qui m’avait laissé assez satisfait. Je m’étais promis d’y revenir si
ce n’est que le prix … (refrain connu me concernant). Qu’ici soit remercié
quelqu’un qui se reconnaitra et qui, à titre de réciprocité à venir, m’a permis
de m’affranchir de l’obstacle.
L’auteur, Victor Lavalle, dédicace en page 9 la
présente novela comme suit: « A H.P. Lovecraft avec tous mes sentiments contradictoires »
… car c’est bien de çà dont il s’agit ici tant le Reclus de Providence est
dans l’air lovecraftien que le récit véhicule; tant Lavalle s’y
montre échafaudant un hommage à HPL couplé à une critique douce mais
palpable de certaines de ses considérations raciales, entre refus de ce qu’a
parfois écrit le Maitre et vénération pour ce qu’il a imaginé, en un
positionnement qui s’apparente à la nécessité de l’exorcisme. C’est du moins ce
que j’y pressens au regard de la mode actuelle des récits qui revisitent
Lovecraft, ses mondes obscurs et sa manière.
Compliqué ? Oui et non. Je m’explique:
Victor Lavalle est noir, Lovecraft, beaucoup
moins. Mais çà, les fans du « Reclus » le savent depuis
longtemps, à force de l’avoir lu s’auto-positionner socialement de manière
discutable. Sa plume, via Providence, s’en est fait l’écho, à longueur de
nouvelles, novelas et romans. Mais bon, on lui pardonne : la fascination
que l’on ressent à son égard est ailleurs : lorsqu’il entrebâille
l’Ailleurs sous nos pieds, dans nos caves obscures et sonores, derrière nos
murs et leurs papiers-peints décollés où les couches de salpêtre humide griffent
les parois, au-delà de portes titanesques dévoilant les abysses insondables qui
laissent entrevoir des entités menaçantes.
Au-delà de cette gêne (voire crispation coléreuse) à sentir Lovecraft
raciste et antisémite, l’auteur d’origine ougandaise s’est nourri de sa Mythologie
des Grands Anciens. Naitra « La ballade de Black Tom » à
cheval entre lumière et obscurité. Tout du long des 143 pages de la novella on
sent le « oui, mais » qui pose à plat et retricote. Il y décrit le
racisme ordinaire qui courbe les échines et fait baisser les regards devant l’homme
blanc. Il y prend le contre-pied du positionnement d’HPL et c’est salvateur.
Nous avons ici affaire à la réécriture totale d’une nouvelle
de Lovecraft. Son titre : « L’horreur de Red Hook »
(je ne l’ai pas lu, je ne l’ai pas en stock mais elle est écoutable sur You
Tube) ; elle est parue en 1927 dans Weird Tales. Passant pour être une des
plus polémiques de son œuvre, Victor Lavalle s’en empare, la pose à plat
et la retricote, usant de ses propres mailles et de son propre style,
s’échappant de celui reconnaissable entre mille de son initiateur. Il offre une
bonne part de l’intrigue à son chanteur noir, reconfigurant les faits relatés
au regard de son ressenti d’homme noir, à sa manière, à l’aune de sa vérité.
Que les choses soient enfin claires, que le lecteur juge, qu’il décide qui de
lui ou de Lovecraft est le plus crédible.
Au final, percevant à minima cette « ballade »
comme un récit fantastique traditionnel bien mené et bien écrit, ou du moins
dans la bonne lignée lovecraftienne, je lui trouve en bonus son intérêt principal
dans le contrepied, la réécriture, la mise en avant d’un angle nouveau. Je suis
prêt pour un autre voyage de la même eau, le principe me plait au moins au
titre de curiosité.
je n'ai jamais lu Lovecraft, donc je ne peux imaginer les "horreurs lovecraftiennes" dont tu parles, mais je peux imaginer quelques petites choses, qd tu parles de sciences occultes..
RépondreSupprimerLovecraft vaut peut-être le coup d'un détour ponctuel histoire de s'en faire une idée, d'autant que l'auteur semble être passé dans le libre de droit il y a peu et qu'un drôle de pataquès éditorial(j'ai renoncé à comprendre)tourne autour de ses oeuvres depuis qu'on la oublié se trainant en case "c'est gratuit". On l'a peut-être rattrapé par les cheveux, toujours est t'il que çà bouge beaucoup.
Supprimer"L'affaire Charles Dexter Ward", "Les montagnes hallucinées", "Dans l'abime du temps" sont, AMHA, à conseiller.
Supprimer@Cheyenne, citation: "donc je ne peux imaginer les "horreurs lovecraftiennes"" >>>> Ce n'est pas du gore non plus,
Supprimerps: pas mal la figure avec les rouleaux de PQ :-D
RépondreSupprimerCe ne sont pas des rouleaux de PQ mais des axes découpés en tranches de Sopalin. Elle les laisse trainer sur la table le temps de leur trouver la bonne disposition. Ce soir c'était "Vision florale" alors que les mêmes demain montreront autre chose dans le genre "visage féminin" ou "sapin de Noël". Elle fait aussi des trucs avec des boites d'oeufs (sans les oeufs), des attrape-rêves ... etc.
Supprimerelle a l'âme d'une artiste ;-)
Supprimer_ « Charles Thomas Tester, 24 ans, traine une six cordes acoustique en bandoulière. Voix sans âme et instrumentiste besogneux. En tant que musicien de studio: pour lui pas d’embauche, les oreilles des autres lui bottent le train arrière. Malin et débrouillard, il fait la manche, chantant et grattant les cordes, sur les trottoirs des quartiers limitrophes où son absence de talent ne trompe que les blancs. »
RépondreSupprimerAh tiens, je pensais que c’aurait été un musicien brillant, que le racisme lui aurait fermé les portes que son talent devait lui ouvrir... Je préfère comme ça ; c’est plus original.
_ « L’auteur (...) dédicace (...) la présente novela comme suit: « À H.P. Lovecraft avec tous mes sentiments contradictoires » … »
Belle dédicace, qui pose bien le contexte.
_ « Mais çà, les fans du « Reclus » le savent depuis longtemps, à force de l’avoir lu s’auto-positionner socialement de manière discutable. Sa plume, via Providence, s’en est fait l’écho, à longueur de nouvelles, novelas et romans. Mais bon, on lui pardonne : la fascination que l’on ressent à son égard est ailleurs (...)»
Le racisme de Lovecraft a fait l’objet de moultes publications (surtout aux États-Unis). Je ne me suis pas vraiment penché sur ce sujet, vaste et polémique. Son racisme était avéré, inexcusable sur bien des aspects, à nuancer sur d’autres (ses positions philosophiques/politiques ont évolué au cours de sa courte vie ; son antisémitisme ne l’a pas empêché d’épouser une juive, etc.)
Quant aux échos dans son œuvre, ils sont plus ou moins distincts et transfigurés par le fantastique.
Il faut rassurer les néophytes : ses nouvelles ne sont pas des pamphlets déguisés.
À part...
_ « Nous avons ici affaire à la réécriture totale d’une nouvelle de Lovecraft. Son titre : « L’horreur de Red Hook » (je ne l’ai pas lu, je ne l’ai pas en stock mais elle est écoutable sur You Tube) ; elle est parue en 1927 dans Weird Tales. Passant pour être une des plus polémiques de son œuvre»
... L’horreur à Red Hook.
Comportant les descriptions les plus ouvertement racistes de la fiction de Lovecraft (dans mon souvenir, c’était à l’encontre des immigrés latinos et asiatiques), elle est quasi dépourvu d’intrigue et sa langue est pauvre.
C’est peut-être sa plus mauvaise nouvelle.
PS : Je te vois utiliser ici, comme je le fis un temps, l’expression « Reclus de Providence ».
Il s’agit d’une idée reçue.
Si Lovecraft, de santé fragile (il supportait mal le froid et l’humidité), restait souvent chez lui, il était loin d’être un reclus. Par exemple, dès que la météo et ses finances le permettait, il aimait particulièrement visiter Québec City et y déguster des crèmes glacées XXL .
PPS : Je me méfie du « motif floral», H.P.L étant de la partie...
Si l’on y regarde de près, sa géométrie pourrait révéler des composantes non-euclidiennes et sa contemplation donner l’accès à une dimension d’outre-espace d’où les Grands Anciens s’avancent, lentement mais inexorablement, vers la nôtre !
(Avin, examine discrètement les mains de Madame ; si la peau entre les doigts se soude, si elles se palment : fuis !!! ---> [ ])
Si encore elle aimait l'eau, la natation, la plongée en apnée, Le Grand Bleu de Besson, je me ferai du souci, mais non ... mais non, peut-être une passion pour "Pirates des Caraibes" dans lesquels on croise des bêtes et hommes assez lovecraftiens.
Supprimerhttps://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/61FkoPuE7JL._AC_SL1200_.jpg
SupprimerNB: c'est un tapis de sol en caoutchouc antidérapant vendu sur Amazon, il est "special pirates des Caraibes". J'aime bien la manière de souhaiter la bienvenus, comme si les invités sentaient le poisson.
« Je n’ose pas les décrire en détail car il me suffit d’évoquer leur image pour défaillir » HPL in Dagon. Le grand leitmotiv non descriptif lovecraftien sans cesse réitéré qui laisse dans le vague le but atteint à deux doigts de la révélation.
RépondreSupprimerhttps://idata.over-blog.com/4/62/29/74/Titre-C---D/Dagon.jpg