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lundi 5 octobre 2020

Le jardin du bossu – Franz Bartelt

 


Réédition Folio Policier 2006

 

Initialement paru en 2004 dans la mythique collection Série Noire de chez Gallimard, ce petit polar noir français (peut-être culte au regard de sa singularité évidente ?) m’a semblé pour le moins atypique (ce que je sais du genre n’est rien) ; il possède une ambiance à nulle autre pareille, un ton hors-normes, une écriture vraiment particulière à mi-chemin entre humour (noir) argotique et lyrisme poétique et philosophique. Il semble exister dans un étroit no man’s land où s’amalgament le roman policier et la brève de comptoir étirée à l’embonpoint du court roman. Ce me fut, en page-turner oblige, un vrai plaisir de lecture enthousiaste et rigolarde, hélas trop bref, au gré de vraies trouvailles stylistiques.

« En tant que matière qui a pris conscience d'elle même je suis sensible à l'humidité. Je gonfle comme du bois. Je flotte pareil . Mais prudent et responsable , je m'interdis de naviguer par gros temps. Au dessus de trente bières, le risque de coup de vent n'est pas négligeable. Très peu pour moi. Je suis un partisan de la raison raisonnable. »

Le « je » narratif nous explique que, pour vivre, il est, depuis toujours, à l’école de la débrouille. Entre les minimas sociaux et les petites magouilles de tous les jours, il se contente de ce qu’il grapille facile. Il n’est ni fataliste ni résigné, mais simplement en suffisance des quelques bières bues dans les bistrots où il n’a pas d’ardoise, de ce qu’il mange à minima pour peu que la chance et le risque payant soient au rendez-vous (il vient de faucher une palette de cassoulet en boites, l’ordinaire va péter la forme pendant six mois) et de l’amour que sa compagne lui donne toutes chairs offertes. Pour lui, l’argent ne serait pas devenu un vrai problème si sa compagne aimée, ne lui avait pas posé un ultimatum définitif : ce soir, débarrasser le plancher et ne revenir que friqué, sinon … c’est la porte.  Ses conceptions bienheureuses de la Vie risquent le virage serré au bout d’une longue ligne droite tranquille.

Il suit, à la nuit tombée et au sortir d’un bistrot, un ivrogne titubant. Il l’a vu, au comptoir, manifestement en fonds, brandissant des liasses de billets. Tous les clients savent, il l’a hurlé bien fort, que dans le tiroir de sa table de nuit, bien d’autres coupures attendent. Le pochetron, seul dans les rues, une proie facile ? Va savoir, rien n’est dit … quand les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent être. Tout bascule quand il pénètre dans la maison de celui qu’il file et que rien ne se passe comme prévu.

La suite appartient au récit …. qui cousine peu à peu, entre burlesque macabre et fulgurances de comptoir, avec le polar noir.   

Le romantisme, le vrai, c'est une affaire de mecs à pognon. Faut les habits avec les dentelles. Faut le vocabulaire. Faut le sens des rimes. Faut savoir tousser … { ] …  se retenir de péter ou connaître les manières qui permettent de péter sans bruit et en dispersant l'odeur par des menuets improvisés. En plus, il faut savoir boire sans dire de conneries à partir du troisième verre. »

L’amorce des premières pages est trompeuse, elle n’est guère originale et ne préfigure en rien de la suite. Elle ne semble promettre que de l’attendu, du déjà-lu. Il n’en est rien. Le soupir lassé du lecteur au tout début, son désir d’abandon en plein vol, tous deux disparaissent vite. L’ouvrage prend son rythme de croisière, devient loufoque, jubilatoire et louf, barje total, complètement barré, acide et cynique, halluciné aux stups, décalé à donf, décapant, inquiétant, dérangeant, amoral, décoiffant, ébouriffant, dingue, gras dans son verbe et peu vertueux dans ses actes … au gré d’évènements improbables, incongrus et quelques fois baignés de non-sens et d’absurde. Les personnages qui peuplent les pages sont bizarres, illogiques et extravagants, décapés du bulbe, le neurone frotté à la nitro; on ne s’y attache pas mais ils aimantent, attisent la curiosité et poussent à les côtoyer bon an mal an jusqu’à un épilogue qui a largué les amarres à toute raison (mais qui rend hilare). L'auteur envoie valdinguer les règles du polar noir et dynamite un classicisme peinard ronronnant.

L'auteur, derrière le comptoir, paie tournées sur tournées à qui veut l'écouter se taper un délire de ouf.

Le roman a tout de la grosse blague qui attire et étonne. L’auteur ira-t-il sans faiblesses jusqu’au bout de ses délires ? On a envie de tenir le pari avec lui. Et à ce petit jeu, je l’ai senti gagnant et fier de la pirouette, de celle littéraire qui a tendu tout le récit, de celle finale qui laisse sur le cul.

Chapeau.. !

Le lecteur trouve rapidement son compte de délires shootés aux champignons hallus, d’humour noir fracassé, de vagabondages rigolards ; il laisse rouler les pages, le sourire aux lèvres, jusqu’à une mise en abime qu’il ne voit pas venir, même de près. Il bute sur le mot « fin » avec dans l’idée que repoussé un peu plus loin cela ne lui aurait pas déplu. L’inattendu foisonne, les surprises aux aguets abondent au fil de cadavres déjà accumulés dans la cave, d’un présentateur de télé-achat au sourire éblouissant, d’une vieille dame qui se ferait l’Annapurna tous les matins, d’une jeune femme bien accessible et au dentier inutile, d’un héros fabriquant de l’alexandrin, rimes et pieds tout bien comme il convient, à la demande.

Mais bien plus que le fond c’est la forme qui surprend, impressionne, emporte le morceau. Elle a donné rendez-vous à une multitude de trucs d’auteurs inhabituels, de trouvailles inusitées au service d’une profusion de considérations philosophiques, sur tout et sur rien, mêlant, quelle jubilation, un argot à la Audiard, tout en finesse, lyrique et métaphorique en diable, et une vision très crue du monde et des hommes.

« Devant l’œil noir d’un flingue, le sage baisse les yeux et remet à plus tard le débat sur les atteintes aux libertés individuelles »


 

2 commentaires:

  1. « (...) une profusion de considérations philosophiques, sur tout et sur rien, mêlant, quelle jubilation, un argot à la Audiard, tout en finesse, lyrique et métaphorique en diable, et une vision très crue du monde et des hommes. »

    Dans le genre, les citations que tu mets en exergue sont savoureuses ! ^^

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    Réponses
    1. Elles pullulent, squattent de partout et tout le temps. La comparaison avec San Antonio est aussi possible mais c'est autre chose qu'une overdose constante.

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