Ed. Novedi 1983
Géographiquement, ce huitième épisode du cycle BD (1983) prend place en bordure et au sein même du bayou de Louisiane (ambiance tropicale, moiteur et humidité). Après nous avoir fait parcourir les Grandes Plaines et les Rocheuses sous le soleil et la neige (ambiance grand large des espaces naturels). Nous passons des drames au grand air au huis-clos végétal entre obscurité et ce qui git sous la surface.
Bande-son: « Born on the bayou » de Creedence Clearwater Revival.
Une route désormais délabrée et mal bitumée, jonchée d'artéfacts pré "Grande Lessive" (atmosphère post-apo oblige) conduit à un motel d’étape qui a tout du saloon-écurie-station service (ambiance western typique de la série). Il va s’y jouer les prémisses d’un des meilleurs épisodes du cycle. L’épilogue se nouera au cœur du marais à la rencontre de ce qui ne se montrera pas mais tuera …
Un élément féminin apparait entre Jeremy et Kurdy, comme un coin de bois fiché dans leur amitié. Léna Toshida, fille d’un magnat local du pétrole, une des rares ressources du passé capables d’encore générer fortune et pouvoir. Enlevée par Kurdy dans l’espoir d’une rançon, elle devient entre les deux amis un problème déontologique dans un monde qui, selon Jeremiah, ne doit pas se reconstruire sur les erreurs d’antan. L’attirance que Jeremiah ressent pour Léna, l’attitude vénale de Kurdy, vont changer la donne de leur relation.
Le cœur du récit, et son épilogue, se joueront dans le bayou, au cœur de ses boyaux ... en compagnie de ceux qui attendent et ne veulent plus de l’humain … Le marais se réveille et doit recracher les intrus.
La suite appartient au récit…
Nombre de vignettes renvoient à des visuels splendides de mangroves. Hermann les esquisse (brume oblige) comme le folklore du lieu nous les laisse imaginer : mangées d’eau putride, d’une végétation exubérante surgie de la vase et squattant la surface d’algues mouvantes. On pressent au sein du cloaque végétal immonde, comme si on y était, rempli de crainte et d’appréhension, des choses indéfinissables car imprécises, immobiles le temps d’une vignette, volatiles en laissé-glissé vers l’image suivante ; des choses ou des êtres, allez savoir, glauques et clapotant ; des frondaisons vrillées de contre-jours aveuglants ; tout est verdâtre, jaunâtre, malsain, maladif, noyé de brumes délavant les détails, les gommant de la réalité, entrebâillant dans l’incertitude de la vision, une réalité autre comme surgie de derrière le miroir. Et ici, de l’autre côté, ce n’est pas Alice, mais the swamp thing qui attend et guette, « La créature des marais » de Wrightson ou celle d'Alan Moore … ou encore celles de ses cousines, issue de l’imagination d’Hermann.
Hermann tient là, avec ce bayou de tous les mystères et de tous les dangers, un territoire Fantastique (« F » majuscule) de plein intérêt. Il y gigotent l’indicible et l’innommable (comme l’écrirait Lovecraft). Les deviner sans vraiment les voir passe l’imagination à la toile émeri. On cherche à distinguer dans les cases l’embryon visuel de ce qui va bientôt surgir et happer un mollet : des algues vivantes peut-être, une main crochue va savoir, accrochées à une basket. Le scénariste-dessinateur n’avait pas besoin de surcharger son propos de ses considérations science-fictives habituelles, il avait matière à s’en passer en repoussant le tout dans l’inexpliqué et la peur. Le bayou, tel qui doit être la nuit, peureux et incertain dans ses jeux d’ombres sous la lune, se suffisait à lui-même pour créer l’angoisse et susciter l’intérêt. Hermann n’explique rien de ce qu’il laisse entrevoir, laisse tout (ou presque) dans le Fantastique pur. Pari risqué, pari tenu, pari gagné. Un seul détail, un bout de texte au coin d’un seul phylactère, laisse entrevoir un semblant de mutant (récit post-apo nucléaire oblige).
Jeremiah, Kurdy et Léna traverseront ce monde vert, humide, suspendu au ras de l’eau entre vase et frondaisons, du crépuscule à l’aube. Ils iront de vignette en vignette, d’impressions fugitives en flashs incertains. Ils ne comprendront rien de ce qu’ils verront, toucheront et sentiront les frôler. Ils se promettront, chacun de son côté, de ne plus jamais y revenir… Ezra, la mule de Kurdy, restera, prudente, têtue et obstinée, sur la berge ; sans elle, l’atmosphère western habituelle s’évanouit …
L’ouvrage se place en équilibre parfait entre un scénario honnête, suffisant et bien conduit ; un graphisme qui, en parallèle et à mon goût, tient toutes les qualités attendues d’Hermann ; un panel de couleurs pour un rendu d’atmosphère optimise le tout.
Je suis à chaque fois bluffé par cette capacité que possède Hermann de maitriser seul ce qui, le plus souvent, en BD est réparti entre deux personnes : un dessinateur et un scénariste. Le texte n’est pas bavard, juste suffisant, il articule à merveille l’action en cours entre deux vignettes, la rend facile à décoder et çà, au-delà de tout, me parait être la qualité première, essentielle et primordiale d’une bonne BD. Tout parait simple, se montre limpide et parfaitement huilé. Sacré boulot. Chapeau.
D’Hermann, je ne me lasse décidément pas ; j’y trouve sans doute une qualité essentielle : l’équilibre entre tous les ingrédients nécessaires à une bonne BD.
A suivre..!
J’ai toujours eu un faible pour l’esthétique des marécages/bayous/mangroves et les belles planches dessinées sur le sujet (j’avais bien aimé le Swamp Thing par Wrightson...).
RépondreSupprimerAlors tu penses bien qu’il me tente, ce Jeremiah-là !
J’essaierai de passer à la grande médiathèque avant que la situation locale ne se complique encore.
Itou.
SupprimerLe bayou parait être un extraordinaire nid Fantastique. J'ai en PAL, un polar signé James Lee Burke, intitulé "Dans la brume électrique", adapté au ciné sous le même titre. Y apparait le fantôme (récurrent) d'un officier confédéré en habits militaires et, autant qu'il m'en souvienne, celui d'un jeune esclave noir en fuite dans les eaux du marais. Le titre original du roman, davantage explicite, était "Dans la brume électrique avec les morts confédérés". J'avais trouvé le film éthéré, j'en espère autant du roman.
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