Accueil

Accueil
Retour à l'Accueil

jeudi 1 octobre 2020

Les seins de glace – Richard Matheson

 

Réédition en Folio Policier de 2004 (VF d’origine en Série Noire en 1955 ; VO US en 1954)

 

Richard Matheson est né aux USA en 1926, il est décédé en 2013. Je le connaissais auteur SF et de Fantastique. Une première nouvelle choc (1950 en VO), « Journal d’un monstre », d’à peine six pages fracassantes, short-story atypique, lui permit ses premiers pas dans les pulps US. Deux romans d’exception : le vampirisme science-fictif de « Je suis une légende » ; et la peau de chagrin faite homme, SF encore, de « L’homme qui rétrécit » le consacrèrent.  Deux recueils en « Autres lieux, Autres Mondes Anthologies » chez Casterman démontrent ses qualités de nouvelliste … Des œuvres qui posent un auteur et proposent aux lecteurs d’y revenir et de chercher ailleurs dans sa bibliographie assez conséquente (par exemple le romantique « Le jeune homme, la mort et le temps »).

Richard Matheson est aussi, au-delà de sa renommée justifiée en SF et Fantastique, un auteur de polars. Je ne l’ignorais pas. Elément indissociable de sa personnalité d’écrivain de l’Imaginaire. Mais cette autre facette de ses nombreux talents, située aux franges d’autres « mauvais genres » pour lesquels mes affinités sont plus fortes, je ne l’avais jamais abordé. « Les seins de glace » (1955 en Série Noire) fut son premier roman et il est policier. Au-delà d’un thème choc, on y trouve les défauts du débutant et les déjà qualités d’un auteur en avenir: récit bref, sobriété de moyens, phrases courtes, dialogues récurrents et rapides qui accélèrent l’action (dans la lignée polar noir US) ; mises en abime ponctuelles qui scellent les coups de théâtre successifs et un final fracassant (armes stylistiques typiques de Matheson dans la mise en place desquelles il s’est fait une spécialité d’exceller, surtout en nouvelles).

Du positif donc, oui mais …

Il existe une autre manière d’aborder l’œuvre et l’auteur via la précoce ambition cinématographique de ce dernier, celle de l’inscrire dans la mouvance scénaristique hollywoodienne, de se poser humblement à l’ombre des stars et du 7ème art. « Les seins de glace » sent déjà le 25 images/s, les ingrédients sont là (Matheson, fine mouche, inscrit en outre l’action au-pied-des-lettres-sur-la-colline) ; Lautner s’est collé à l’adaptation du roman en 1974 (voir plus loin).

Années 50’s. Californie

Il y a des rencontres, qu’à postériori, Dave Newton (le personnage principal en « je narratif ») aurait souhaitées ne pas faire. Et pourtant, tout avait si bien commencé … avec Peggy Lister.

Début de saison touristique. Une plage déserte face au Pacifique. Un homme, une femme. C’est le coup de foudre. Lui, romancier, en quête d’inspiration. Elle: on ne se sait pas trop, le lecteur devinant très tôt une personnalité trouble et insaisissable ; belle et attirante, mais distante et froide; candide, naïve et spontanée tout en étant introvertie, énigmatique et mystérieuse ; attachante et attirante mais …

Le premier chapitre se cale sur un modèle Harlequin marqué, un romantisme forcené qui positionne un homme à la recherche d’un idéal féminin et une femme dans une quête de sécurité et de protection. Un schéma classique de ces années-là ? Pas tant que çà. Matheson ne tarde pas à noyer le cliché, à diluer l’eau de rose dans les nombreux whiskys bus, à brandir les standards du polar sanglant : les pics à glace fracturant les boites crâniennes, les couteaux déchirant les carotides, les voitures à tombeaux ouverts sur les routes en lacets … Les évènements, au-delà de la lenteur du prologue, s’enchainent rapidement ; les profils psychologiques se perdent dans la frénésie des péripéties, les poser plus précisément manque.

L’épilogue, cousu de fil blanc, se fait, hélas, rapidement transparent. Bien qu’inattendu, car tout autre, dans la version ciné de 1974 proposée par Lautner avec Brasseur, Darc et Delon. La variation, conséquente, est moins mordante mais plus en finesse psychologique.

Au final le roman se fait plus thriller psychologique (sur le fond) que polar noir (sur la forme). Il est à cheval sur deux tableaux. Sa faille, son maillon faible sont là. Dans les deux cas ce qui manque à l'un ne profite pas à l'autre, il pêche ainsi par sa polyvalence. L’aspect polar noir fait regretter sa forme ramassée, courte et rapide (sans doute cadenassée par le nombre de signes max imposé par l’éditeur US de l’époque), le thriller psychologique manque de digressions posant solidement les personnages dans le cercle vicieux qu’ils s’imposent. David Newton, le « Je narratif », n’a pas de prise sur la situation, ses pièces jouées sur l’échiquier sont autant de coups d’épée dans l’eau ; il subit, concède, se perd et ne se retrouve jamais. Jim Vaughan, avocat à l’ombre financière de la maffia, toujours là à redresser la situation en sa faveur est sans cesse perdant au regard du destin qui attend. Son épouse alcoolique, aux verres de whisky bus plus nombreux que le nombre de ses amants, semble se résigner. Son chauffeur, garde du corps, supposé tueur à gages, ex-officier allemand de la Seconde Guerre Mondiale, ombre trouble de son patron, joue le rôle du croquemitaine de service. Une galerie de personnages convenus, aux profils stéréotypés, allant tous là où on les attend. Reste Peggy, et là c’est une autre histoire , bien qu’elle n’échappe pas dans sa singularité aux codes machistes de la société des 50’s.

Ce que j’en pense : ressenti mitigé car dans l’attente d’un auteur qui fait partie de mes favoris SF. Au final lecture, à mon sens, dispensable.

Alors, oui, l'écriture est celle que l’on attend de Matheson : facile, rapide, directe, rythmée, au service d’une action pétaradante ; mais, pour le coup, il y manque un soupçon de lenteur propice à certaines digressions crédibilisant la situation.

A noter que l’on retrouve dans « Le jeune homme, la mort et le temps » cet amour immodéré d’un homme pour une femme qui lui sera presque inaccessible.

Bande-annonce du film de Lautner 

 


 

4 commentaires:

  1. De lui, j'en ai lu qu'un seul : " Je suis une légende" et je l'avais trouvé moyen..
    Mais si j'ai l'occas, je lirai " L'homme qui rétrécit".
    Le polar je vais passer mon tour je crois :-D

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il n'est pas impossible, en effet, que la Légende n'ai Rétréci. Les deux: mal vieillis, datés ? J'ai lu, c'est sûr, les deux dans leurs premières traductions en français (1955 & 57), çà commence à dater. Que m'en resterait t'il aujourd'hui ? Les dernières traductions datent du début des années 2000 et vivent peut-être un tantinet sur la réputation des deux ouvrages et sur l'adaptation (pourtant à mon sens désastreuse) du film avec Will Smith (il a tout dénaturé).
      Par contre: "Le jeune homme, la mort et le temps" je l'ai lu il y a moins de 10 ans et j'avais bien mordu dans cette histoire d'amour bien romantique de voyage dans le temps (par contre je ne me souviens pas si l'épilogue est heureux ou pas).
      Quant aux "seins de glace", oui, laisse tomber.

      Supprimer
  2. Va falloir que je trouve une place pour cet auteur dont je n'ai rien lu et malgré l'avis de Cheyenne, j'ai envie de lire Je suis une légende. pour le reste, on verra bien.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cheyenne, quelque part, a raison. Son style a vieilli et cela se sent à la lecture. Le succès de "Je suis une légende" courre sur sa réputation et se satisfait de son passé. Reste que, si tu veux t'y essayer, je te conseille plutôt, outre "Le jeune homme, la mort et le temps" déjà cité, deux recueils sans doute trouvables en Presses Pocket: "Miasmes de mort" et "Les mondes macabres de Richard Matheson", qui ont le mérite de toucher à la SF, au Fantastique, au policier, au cinéma et aux épilogues à tiroir.

      Supprimer

Articles les plus consultés