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dimanche 28 février 2021

Bleu – Laurent Cappe

 

Editions Vendeurs de mots (2020)

Nous sommes en 1900 et des broutilles. Le XXème siècle débute à peine. Quelque part dans le Nord de la France*, au cœur d’un petit bourg isolé, sobrement nommé le Village **. Une vraie vie d’antan y bourdonne ; active et campagnarde ; opulente pour certains, suffisante pour d’autres ; d’une ruralité qui n’avait pas encore déserté les labours, les vignes ou les chemins creux. Une mairie, une église, une brasserie, des boutiques pour tout ce dont on a besoin, la grande ville à côté pour le superflu, le pensionnat des sœurs pour de jeunes orphelines, une taverne, un grand marché pour tous les lieudits à la ronde ... Des familles comme partout ailleurs, implantées sur le même sol depuis des générations. Des aïeux en attente de trépas, des enfants à l’éternelle bougeotte, des cris et des rires, des haines et des jalousies, des grandes gueules qui se montrent et des amours qui se cachent …

« Le Village » : un coin de terre comme un autre. Des gens bien, des saligauds, des entre les deux … et puis les autres, ceux que l’on rejette sans trop savoir pourquoi, ni idiots du village à moquer ni démons à exorciser. Les Carson par exemple, à l’autre bout du village, que personne ne fréquente. Des pestiférés repoussants. Rien que des sales « Bleus ». Des pas-comme-nous. La consanguinité vous pensez. De père en fils, victimes d’une maladie épidermique, bleu est leur épiderme, la méthémoglobinémie (ai-je appris par ailleurs). Des porte-poisse.  A fuir. A bannir. A haïr comme si c’était normal, ancestral et obligatoire. Le mauvais œil, le diable presque, la maladie à les toucher, leur sorcellerie à endiguer.

Tout irait bien, pour les Carson dans le pire des mondes, dans le meilleur pour ceux du Village, si quelques fois, l’amour ne se mêlait pas de tout chambouler, de l’ordre des choses à l’inamovibilité apparente de destins tout tracés. Le Village, bientôt cul par-dessus tête. L’Amour contrarié de deux êtres va tout emporter sur son passage, eux-mêmes, les êtres qui les aiment ou les haïssent. Lui, Charles Carson, est « bleu » ; Frida, l’orpheline, de carnation normale ; des amis d’enfance unis par la marginalité ; tout naturellement bientôt des amants à marier, d’autant qu’une naissance s’annonce … si ce n’est que le monde de Charles et Frida ne supporte pas le bleu et le leur fera savoir. Les amants maudits seront à l’origine de bien des changements.

La suite appartient au roman … Acceptation des différences ? Désastre tragique ? Rédemption des âmes ? Lent travail de sape des culpabilités, de celles qui rongent au détour d’une longue maturation. Happy end final ou son inverse ?

Charles et Arthur, Jean et Marie (les « bleus »); Frida (la passerelle entre deux mondes, le coin de bois poussé entre normalité et monstruosité ) ; Guillaume et Rose (les tenanciers de l’auberge en manque de parentalité); César (maire et brasseur, assoiffé de pouvoir et d’argent tel un Papet Soubeyran à la Pagnol) ; Maurice (un Ugolin comme issu de Manon des Sources) et son frère Louis (l’ordure de service) … tous coupables et responsables, tous innocents, ni blancs ni noirs, rien que gris sur le fil tendu des bonnes et mauvaises intentions.

 « Bleu», à l’image de son titre et des peaux qu’il couvre, est tout en nuances de bleu ; il hésite entre la sérénité azur du ciel des jours heureux et les tons sombres et profonds des pluies diluviennes des ultimes chapitres.

Le roman se pose à la croisée de plusieurs genres littéraires. Tour à tour : cherchant les bons sentiments et se nuançant de rose ; raclant le noir des hommes et de leurs actes (polar) ; s’implantant dans le roman de terroir ; se faisant frissons de thriller (mises en abime systématiques en bas de chaque chapitre) et de ce fait page turner, dénichant dans sa conclusion finale une bien sensible touche de Fantastique … et à la croisée de tous ces « mauvais genres » : de la littérature générale .

C’est aussi un premier roman : de ses faiblesses (une ou deux pirouettes scénaristiques bien rapides) je ne retiendrai que les forces de fond (l’humanisme) et de forme (une belle prose avec le goût des mots au cœur des phrases ; une lecture fluide et rapide ; la polyphonie des chapitres entre les « je narratif » des différents protagonistes et la voix centrale de l’auteur).

Pour conclure, dans ce qui, au départ, n’était pas trop ma tasse de thé (je suis plutôt SFFF, polar et BD), j’ai trouvé mon taf. Des bons sentiments dans un monde de brutes. On en a tant besoin ces temps. Merci Laurent Cappe pour ce moment hors du temps, ce goût des choses simples, ce sens à donner à nos vies et à celles des autres.

* Pas de localisation précise. Des indices tout au plus. Un flou délibéré. Le Pas-de-Calais probablement, au regard (page 4) des sources de la photo de couverture : « Le Cornet d’Or, village de Le Wast, 62, en 1902 »

** Sans précision « Juste la volonté de laisser la possibilité au lecteur de s'imaginer n'importe quel village, en fait, de donner un peu "d'universalité" (en toute modestie) au lieu. » dixit l’auteur.

8 commentaires:

  1. c'est une chronique ma foi fort intéressante ... je suis en train de lire " Le vallon des lucioles", et même si le thème leur est commun, je pense que le fait que celui-ci se passe en France lui donne peut-être un côté plus familier, plus proche..en tous cas tes mots donnent envie d'en savoir plus sur le déroulement du récit ;-)

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    1. "Les lucioles", j'ai hâte d'en lire la chronique sur ton blog.

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    2. Les deux bouquins sont différents de forme mais aussi de fond. Les objectifs ne sont pas tout à fait les mêmes.

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  2. Des faux airs de Roméo et Juliette ? ou je me trompe ?

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    1. Pour le peu que je connais du duo: oui et non..!

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    2. MDR. La romance n'est pas si présente que çà et sert d'argument à un roman qui emprunte à divers genres littéraires, chacun sa trace, chacun son fil: la littérature générale, le roman de terroir, le fantastique, le thriller (à minima)...

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  3. Et que voici le marque-page
    https://i.postimg.cc/FstqjMnD/img043-2.jpg

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