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dimanche 28 mars 2021

Pollen – Joëlle Wintrebert

 


Diable Vauvert Ed. (2021) (Réédition sans modifications mentionnées de 2016 et 2002 chez le même éditeur)

L’Arche Stellaire* a quitté notre Terre depuis si longtemps. A son bord : des hommes, des femmes, des survivants de sa lente agonie, si peu nombreux, si pleins d’espoir d’une Autre Terre à ensemencer de leurs descendances. Ce sont les ultimes représentants d’un système sociétal en échec, d’un monde en faillite, essoré jusqu’au dernier jus, invivable désormais. Le Berceau Nourricier à l’agonie, il a fallu le fuir, l’abandonner à la pollution et à la guerre (nucléaire peut-être). Espérer, ultime chance, la survie humaine ailleurs, confiée au hasard sur le chemin d’étoiles innombrables et presque insaisissables en termes de distance et de temps. Rêver d’un autre Monde, au-delà d’une génération. Coloniser/polliniser une planète apte à accueillir le Renouveau.

Ce sera, accidentellement, hors cible initiale (s’il y en eu même une), Pollen, une planète de rêve, sylvestre et océane, où les arbres avec qui vivre en symbiose serviront d’habitations paradisiaques. Ce cadre idyllique prendra couleurs à la Jack Vance (faune incluse avec qui entretenir un partenariat tranquille). Pollen, la belle : un autre départ, une autre chance pour une humanité meurtrie, décimée, fragile. Si peu d’âmes et de corps pour une si grande planète, un si imposant territoire vierge, écologiquement serein. Ne pas surpeupler : un crédo à toujours garder en tête.

Pollen, un Eden à conserver, à protéger. Réitérer les mêmes erreurs ? Surement pas. Recommencer sur le modèle d’antan ? Certaines s’y opposent, imposent leur vision d’une société idéale. En avant pour l’utopie pacifiste (un meurtre sera facteur déclenchant de l’intrigue). Le mâle, postulat de base, à défaut d’être vraiment coupable fut l’artisan de l’échec terrien, de la destruction d’un modèle qui, sans eux, aurait garder l’équilibre, tempérance féminine de caractère aidant. Sa belligérance innée, sa violence indécrottable, ses instincts guerriers, le taux de testostérone embarqué comme sources de tous les mots. Ce sera, sur Pollen, un matriarcat, quitte à l’imposer.

La science maitrise la génétique in vitro : naitront des triades, deux filles un garçon (les minorités sont toujours en position de faiblesse et n’héritent, en conséquence, que rarement des postes de pouvoir). Une nouvelle cellule familiale se crée : pas de père, pas de mère si ce n’est bébé un servant-androïde-nourrice déguisé en peluche, plus tard une marraine sociale, adulte (et même avant) une liberté sexuelle totale s’affranchissant de tout tabou.

Pollen est menacé par des « pirates » (notion imprécise) belliqueux, venus ponctuellement de l’espace. La parade : la testostérone d’un patriarcat en presque copié/inversé du matriarcat ambiant, en sentinelle sur un satellite rocailleux de Pollen, en bras guerrier, en allégeance totale aux femmes politiquement au pouvoir. Winterbert nous ouvre ainsi la société du Bouclier (ou du Caillou, c’est selon) l’homme s’y fait soldat, père, homme de pouvoir …

Une fois l’an, le Bal du Don autorise le Bouclier à kidnapper un quota de filles sur Pollen et à les marier sur le satellite. Elles n’y enfanteront, à nouveau fertiles, que des fils.

Joëlle Wintrebert, avec Pollen, imagine donc un postulat de départ bipolaire ; les charges électriques inversées d’un bord à l’autre s’opposent, s’attirent, se repoussent ; elles se maintiennent néanmoins en équilibre incertain et pourtant pérenne au terme des bonnes volontés des unes et des autres. Vaille que vaille, le système social de Pollen vient de dépasser ses 100 ans d’existence. Tout le jeu d’auteure de Winterbert sera d’imaginer des électrons libres aptes à chambouler un système social d’apparence égalitaire et juste, d’en disséquer les fragments dystopiques, de nous montrer les squelettes dans les placards. Ces marginaux, une triade de Pollen, joueront leur partition souterraine de résistance aux abords d’un pouvoir qui d’un pacifisme d’intention première est passé au cynisme de ses coulisses, aux violences larvées et masquées de ses meneuses sans cesse aux aguets de ce qui se dit, de ce qui les menace, de ce qu’il faut faire pour contrattaquer. Intrigues de cours. Çà grouille.

 … La suite appartient au récit.

Pollen est l’histoire d’une rébellion qui, à l’instar d’un grain de sable, grippe, jusqu’à peut-être l’anéantir, un mécanisme sociétal qui contient en lui-même les éléments de sa propre perte. Matriarcat dominant et patriarcat en allégeance consentie se heurtent à une troisième voie, celle de la parité qui … elle-même débouche sur des doutes …

L’épilogue est en fin ouverte sur le fil incertain de la toute dernière phrase. Winterbert ne semble pas tant prendre parti que de renvoyer hommes et femmes dos à dos.

Le style d’écriture de Winterbert est aisé, la lecture est rapide, l’intrigue est bien menée au prix de chapitres courts alternant les personnages féminins et masculins, le Bouclier tout autant que Pollen même comme lieux d’action. Particularité donnant un effet de réel à la situation : le « elles » pluriel se substitue au « ils » classique quand un groupe contient à minima un homme et une femme (c’est déconcertant un temps, mais ce n’est pas rédhibitoire à la faveur de l’habitude, et puis çà fait partie du jeu). La mise en abime finale de rigueur est hélas prévisible même si un temps, longtemps, j’ai gardé en potentialité une toute autre porte de sortie. A lire.

*Arche stellaire : gigantesque vaisseau spatial qui, à vitesse infraluminique, parvient à affranchir ses occupants des distances entre les étoiles au-delà de l’espérance de vie d’un homme. D’un point A à un point B, les générations se succèdent, naissent et meurent, oublient parfois le but du voyage, sa raison même). « C’est le grand-père qui décolle et le petit-fils qui atterrit » (Cf « Le Science-Fictionnaire 01 de Stan Barets)


 

6 commentaires:

  1. Bien résumé !
    C'est un roman que j aurais bien fait lire à mon fils...mais ça attendra qqs années ;-)

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    1. Oui. Tout à fait. Le roman date de 2002, réédition en 2016, puis en 2021. La mouture 2016 s'inscrit dans une collection "jeunesse" du Diable Vauvert. Et c'est très prégnant au fil du récit. On y trouve la manière "roman pour ados" si ce n'est que l'ensemble, via certaines scènes vise plus à mon sens un public adulte. C'est pour cette raison que la chro, sous l'illustration, commence par ces termes: "Diable Vauvert Ed. (2021) (Réédition sans modifications mentionnées de 2016 et 2002 chez le même éditeur)". Mais bon je peux me tromper, dans cette hypothèse de rajouts.

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  2. on va dire que c'est un roman pour jeunes adultes..

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    1. En ce sens, il manie maints thèmes récurrents de la SF et peut engager l'envie de pousser plus avant dans le genre.

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  3. Ah oui, j'oubliais: le roman est paru dans une collection qui, associée à un petit format, s'intitule "Les poches du diable". Belle trouvaille qui m'a bien fait sourire. On en trouve le logo en pages internes, et c'est un régal de trouvaille graphique.C'est un diable en ombre chinoise qui retrousse ses poches de pantalon?

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    1. Et pour les curieux, un autre logo en montre beaucoup plus. MDR. J'adore.

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