Le Bouddha
de Jade :Cannibale est une nouvelle de moins de 100 pages, dans laquelle l’auteur relate un
fait s’étant produit durant l’Exposition Coloniale de 1931, à Paris. Je ne
commenterai pas le fait en lui-même, mais tout ce qui entoure le principe de
cette exposition. Je ne savais pas qu’un tel évènement avait eu lieu dans les
années 30, mais ne m’en étonne pas. C’était une autre époque, celle des
colonies, des grandes puissances, des territoires exotiques lointains au parfum
de sauvagerie.
La
Convergence des Parallèles : L’évènement avait une chanson-phare
interprétée par Alibert. Son titre: "Nenufar". Didier Daeninckx
n’en offre, hélas, qu’un petit bout de rien dans le roman. Je suis curieux,
j’ai creusé plus avant et j'ai trouvé via le Web. Voici les paroles dans leur
presque exhaustivité ; elles étaient, hélas, dans l’air du temps. Tu vas
comprendre vite que, de nos jours, elles seraient, à juste titre censurées.
« Quittant
son pays
Un
p'tit négro
Vint
jusqu'à Paris
Voir
l'exposition coloniale
C'était
Nénufar
Un
joyeux lascar
Pour
être élégant
C'est
aux pieds qu'il mettait ses gants.
Nénufar
T'as du r'tard
Mais
t'es un p'tit rigolard
T'es
nu comme un ver
Tu
as le nez en l'air
Et
les ch'veux en paille de fer
…
[ ] …
Faut
pas croire toujours
Tout
c'que Nénufar raconte
Ainsi
l'autre jour
Il
m'a dit
Quand
je fais mes comptes
A
la craie j'écris
Sur
l'dos d'ma chérie
Et
d'un coup d'torchon
Après
j'efface les additions.
…
[ ] …
Un
jour Nénufar
Entra
dans une grande parfumerie
Il
voulait des fards pour les lèvres
De
sa p'tite amie
Donnez-moi
qu'il dit
Du
rouge en étui
J'en
veux trente kilos
Car
c'est une négresse à plateaux ... ».
You tube, puisque c'est ma source, en a court-circuité les commentaires. Tu
m’étonnes...!
Le Bouddha
de Jade :A travers les paroles de cette chanson, qui était La
chanson officielle de cette Exposition, et aussi d'après le comportement des
visiteurs du zoo ou même des autres parisiens, il apparait clairement qu'il y
avait un ordre établi, ancré dans l'éducation collective. Les indigènes étaient
quasiment au même rang que tous ces animaux sauvages que la France importait de
ses colonies, afin de distraire sa population. Il était donc normal de les
exposer, de leur demander de faire des " tours", ou de les échanger
comme des animaux de cirque. Les gens du peuple ne les traitaient pas forcément
avec méchanceté, mais le plus souvent avec curiosité et cette sorte d'intérêt
que l'on accorde aux choses qui sortent de l'ordinaire.
La Convergence des Parallèles : Certaines
unes de journaux titraient « Le zoo humain » et dénonçaient
(en vain) l’intolérable. Une minorité clairvoyante osait, la majorité portait
des œillères. Le scandale concernait un échantillonnage kanak relégué au zoo de
Vincennes entre lions et crocodiles avec l’indication erronée et volontairement
entretenue : «cannibales et polygames». La Direction
obligeait, à l’encontre de toutes traditions, les seins nus chez les femmes en
début d’hiver parisien, le pili-pili à heures fixes, les grognements
inarticulés de sauvages ou de barbares imaginaires. On encourageait les jets de
cacahuètes. Des hommes-jouets manufacturés par l’Homme Blanc, domestiqués et
corvéables, des caricatures de vie, des injures au droit à la différence. Des
hommes que l'on flatte, à qui l'on ment, à qui on promet sans tenir. Quelle
honte, vraiment, pour notre société dite civilisée, autosatisfaite, imbue de
qualités qui ne sont que défauts, si orgueilleuse, si malade d’elle-même !
Une simple anecdote de l’Histoire ? A mon sens, surement pas. Dans sa
simplicité elle symbolise à merveille le colonialisme qui, en poussant le trait
encore plus loin, a envoyé quinze ans plus tôt, baïonnettes au dos, des
milliers de noirs à la mort dans les tranchées. Daenincks ne s’y trompe
pas, il sait qu’à lui seul, en relatant simplement les faits, en romançant à
peine, ce petit bout d’Histoire fera mouche et rendra enfin justice. 100 pages
d’une écriture simple et directe suffisent. La force de frappe induite est
totale à l’image d’un uppercut, elle impose la parution hors recueil sans
nouvelles associées pour faire riche. Le bouquin n’est guère épais, se lit en
quelques heures mais ne s’oublie pas. Jamais.
Le Bouddha de
Jade :Je pense que l’Histoire se répète, mais elle prend des formes différentes
au fil du temps. Les amérindiens sont encore aujourd'hui en partie dans
des réserves, et vivent pauvrement. Idem pour le peuple aborigène d’Australie,
relégué dans les ghettos, et en Afrique du Sud, même schéma. Il me semble
avoir vu dans certaines émissions que les territoires d’Outre-mer n’avaient pas
tout à fait la même qualité de service public qu’en métropole. L’égalité du genre
humain est un combat perpétuel.
La Convergence des Parallèles :
La lecture de « Cannibale » me fut enrichissante (j'ignorais
tout de cette histoire étonnante, à première vue peu crédible mais qui pourtant
... fut une triste réalité héxagonale), agréable (le style de Daeninckx
est aisé, rapide, direct). La chronique à deux m’est apparue une expérience
que, pour ma part, je renouvèlerai avec plaisir. Merci à toi, chère complice.
Le Bouddha de Jade :J'ai aussi trouvé cette nouvelle intéressante et
enrichissante. Et cet échange pour aboutir à une chronique commune aussi,
d'autant plus que c'est une première pour moi !
@Jim, citation: "Toujours sympa, ces chroniques à deux voix." ^^ >>>> Le simple plaisir d'amalgamer deux points de vue (quelques fois différents voire antagonistes), deux manières d'écrire, de concevoir une chronique (je boursouffle, Cheyenne synthétise et épure). Et puis, Jim, tu connais mon besoin d'expérimenter, d'essayer des trucs inattendus ...
@Jim, citation: "Quant au sujet, ces expositions raciales, c'était visiblement encore pire que ce que j'imaginais..." >>> Je n'ai pu m'empêcher de cousiner le thème avec celui, très voisin, d'Horace McCoy dans "On achève bien les chevaux" sur les Marathons de la danse US de la fin des 20's et le début des 30's. On y parque, on y instaure des règles débiles pour appâter le chaland, on y moque, on y trompe, on s'y enrichit. Daeninckx et McCoy utilisent les mêmes méthodes: la brièveté de la novela, un style simple et fluide, ne relater que les faits, ne pas prendre partie (même si Daeninckx s'y implique un peu plus en dénonçant sans ambiguité).
L'un et l'autre, film et roman, valent le détour. Le second est court et brutal comme un uppercut à la pointe du menton. A aucun moment McCoy ne prend position, tout est dans ce qu'il n'écrit pas, dans ce silence de mots si présent. Chaque phrase a son poids soigneusement calculé. Je n'ai pas revu le premier depuis longtemps, je suis même incapable de dire s'il est en couleurs et en noir et blanc (bien que la première hypothèse soit plus probable). J'espère qu'il n'a pas vieilli de forme. Il m'avait marqué et c'est par son biais que je suis venu au roman.
Belle chronique qui donnent envie de lire ce texte. Je ne connais pas les romans de Daeninckx et je me demande s'il y a un fond d'intrigue romanesque où est-ce purement une exposition des faits?
C'est mon premier Daeninckx. Il y en aura d'autres. L'auteur a la réputation d'être un auteur de polar engagé (entre autres). L'exposition coloniale (et plus précisément l'enclos kanak) n'est que background (authentique, précis et prégnant) à une intrigue dont le prolongement se fera dans les mouvements sociaux de Nouvelle Calédonie en 1988.
J'ai souvent vu son nom au fil de mes pérégrinations en librairie mais je ne l'avais pas spécialement situé dans les polars. Tu crois que les prémices de 1988 viennent de cette expo, en 1931 ? Faut dire que c'est une bonne base.
Non. Je ne fais pas de cause à effet de l'une à l'autre, Daeninckx semble t'il non plus. Il conclut sur une volonté indépendantiste comme d'un fait historique.
MDR. Je suis allé voir sur "You Tube", cherchant une interview dans laquelle en intro, un journaliste présenterait l'auteur. Je n'ai pas cherché longtemps et, sous réserve d'erreur, apparemment, on doit dire: Didier De-ninx (comme se finit presque lynx, le N remplaçant le L et le A s'évaporant) Simple, au final.
Effectivement Cheyenne, c'est le genre de nom qu'on préfère ne pas avoir à prononcer. Et si on va plus loin, c'est peut-être parce que devant son libraire, on veut pas avoir la honte, les gens demandent plutôt du Musso ou du Bussi ou du Levy. Cela serait une explication à leur indécent succès.
Nicolas: en ce moment je lis Bussi, mon tout premier ( J'ai dû rêver trop fort) Et j'ai déjà lu deux Levy, mais encore aucun Musso ( les deux frères) Ce sont des livres qui se laissent lire, il y a une intrigue et souvent aussi une histoire d'amour. Ce sont des auteurs populaires, leurs romans se lisent facilement et ont pour but de distraire, c'est déjà pas mal :-D c'est bien d'avoir ce genre de lectures entre deux pavés ou deux romans plus " sérieux", ou plus "engagés" on va dire.
Il semblerait que, fouillant la Toile, de la novela de Daeninckx a été tiré une BD signée Reuzé. Rien que l'illustration de couverture me plait. A chercher (patiemment). A trouver. A lire (d'enthousiasme)
L'excellent documentaire aborde le sujet d'une manière plus complète que ne l'a fait Daeninckx avec "Cannibale", s'inscrit davantage dans la Grande Histoire et explique la Petite. "Cannibale", par le petit bout de la lorgnette, n'est que la pointe d'un iceberg, l'écho d'un passé malheureux délibéré; dessous une multitude de drames humains. L'homme ne se refait pas, hélas ...
Vous trouverez le pendant symétrique de l'article en suivant le lien suivant:
RépondreSupprimerhttps://lebouddhadejade.blogspot.com/2021/04/cannibale-de-didier-daeninckx.html?fbclid=IwAR0DaTBqkgneLv22ENaOpj5E__NttLoQHe5aXDTnNmJYNBqH9FkcL17pUzg
Toujours sympa, ces chroniques à deux voix. ^^
RépondreSupprimerQuant au sujet, ces expositions raciales, c'était visiblement encore pire que ce que j'imaginais...
@Jim, citation: "Toujours sympa, ces chroniques à deux voix." ^^ >>>> Le simple plaisir d'amalgamer deux points de vue (quelques fois différents voire antagonistes), deux manières d'écrire, de concevoir une chronique (je boursouffle, Cheyenne synthétise et épure). Et puis, Jim, tu connais mon besoin d'expérimenter, d'essayer des trucs inattendus ...
Supprimer@Jim, citation: "Quant au sujet, ces expositions raciales, c'était visiblement encore pire que ce que j'imaginais..." >>> Je n'ai pu m'empêcher de cousiner le thème avec celui, très voisin, d'Horace McCoy dans "On achève bien les chevaux" sur les Marathons de la danse US de la fin des 20's et le début des 30's. On y parque, on y instaure des règles débiles pour appâter le chaland, on y moque, on y trompe, on s'y enrichit. Daeninckx et McCoy utilisent les mêmes méthodes: la brièveté de la novela, un style simple et fluide, ne relater que les faits, ne pas prendre partie (même si Daeninckx s'y implique un peu plus en dénonçant sans ambiguité).
"On achève bien les chevaux"...
SupprimerJe n'ai ni lu livre, ni vu le film (pourtant fruit d'un espace-temps cinématographique que j'affectionne tout particulièrement).
Parce que leur sujet est tellement fort et évocateur qu'on peut penser, à tort, en avoir tout saisi rien qu'en imaginant l'histoire ?
Un oubli à réparer, en tout cas.
L'un et l'autre, film et roman, valent le détour.
SupprimerLe second est court et brutal comme un uppercut à la pointe du menton. A aucun moment McCoy ne prend position, tout est dans ce qu'il n'écrit pas, dans ce silence de mots si présent. Chaque phrase a son poids soigneusement calculé.
Je n'ai pas revu le premier depuis longtemps, je suis même incapable de dire s'il est en couleurs et en noir et blanc (bien que la première hypothèse soit plus probable). J'espère qu'il n'a pas vieilli de forme. Il m'avait marqué et c'est par son biais que je suis venu au roman.
https://laconvergenceparalleles.blogspot.com/2018/05/on-acheve-bien-les-chevaux-horace-mc-coy.html
SupprimerBelle chronique qui donnent envie de lire ce texte. Je ne connais pas les romans de Daeninckx et je me demande s'il y a un fond d'intrigue romanesque où est-ce purement une exposition des faits?
RépondreSupprimerC'est mon premier Daeninckx. Il y en aura d'autres. L'auteur a la réputation d'être un auteur de polar engagé (entre autres). L'exposition coloniale (et plus précisément l'enclos kanak) n'est que background (authentique, précis et prégnant) à une intrigue dont le prolongement se fera dans les mouvements sociaux de Nouvelle Calédonie en 1988.
RépondreSupprimerJ'ai souvent vu son nom au fil de mes pérégrinations en librairie mais je ne l'avais pas spécialement situé dans les polars. Tu crois que les prémices de 1988 viennent de cette expo, en 1931 ? Faut dire que c'est une bonne base.
SupprimerNon. Je ne fais pas de cause à effet de l'une à l'autre, Daeninckx semble t'il non plus. Il conclut sur une volonté indépendantiste comme d'un fait historique.
Supprimeren ce qui me concerne, je trouve son nom imprononçable et du coup inretenable !
RépondreSupprimerMDR. Je suis allé voir sur "You Tube", cherchant une interview dans laquelle en intro, un journaliste présenterait l'auteur. Je n'ai pas cherché longtemps et, sous réserve d'erreur, apparemment, on doit dire: Didier De-ninx (comme se finit presque lynx, le N remplaçant le L et le A s'évaporant) Simple, au final.
SupprimerEffectivement Cheyenne, c'est le genre de nom qu'on préfère ne pas avoir à prononcer. Et si on va plus loin, c'est peut-être parce que devant son libraire, on veut pas avoir la honte, les gens demandent plutôt du Musso ou du Bussi ou du Levy. Cela serait une explication à leur indécent succès.
SupprimerNicolas: en ce moment je lis Bussi, mon tout premier ( J'ai dû rêver trop fort)
SupprimerEt j'ai déjà lu deux Levy, mais encore aucun Musso ( les deux frères)
Ce sont des livres qui se laissent lire, il y a une intrigue et souvent aussi une histoire d'amour.
Ce sont des auteurs populaires, leurs romans se lisent facilement et ont pour but de distraire, c'est déjà pas mal :-D
c'est bien d'avoir ce genre de lectures entre deux pavés ou deux romans plus " sérieux", ou plus "engagés" on va dire.
Il semblerait que, fouillant la Toile, de la novela de Daeninckx a été tiré une BD signée Reuzé. Rien que l'illustration de couverture me plait. A chercher (patiemment). A trouver. A lire (d'enthousiasme)
RépondreSupprimerhttps://polars.pourpres.net/img/uploads/81FYjnrTdPL._SL1403_.jpg
Et un court-métrage:
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=bE_32wdBlAs
Ce soir sur ARTE:
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Replay accessible. Jusqu'à quand ?
Supprimerhttps://www.arte.tv/fr/videos/067797-000-A/sauvages-au-coeur-des-zoos-humains/
L'excellent documentaire aborde le sujet d'une manière plus complète que ne l'a fait Daeninckx avec "Cannibale", s'inscrit davantage dans la Grande Histoire et explique la Petite. "Cannibale", par le petit bout de la lorgnette, n'est que la pointe d'un iceberg, l'écho d'un passé malheureux délibéré; dessous une multitude de drames humains. L'homme ne se refait pas, hélas ...