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mercredi 19 novembre 2025

Jeremiah n°11 Delta (Hermann)(BD)

 

Ed. Dupuis (1985)

« Delta », paru aux Editions Dupuis en 1985, est le onzième épisode de la série BD consacrée à « Jeremiah ». Elle est toujours signée Hermann et courre depuis 1979. Le lecteur y vient désormais avec ses habitudes, s’attend (à juste raison) à un one-shot enkysté en cœur de cycle ; la recette en est connue et a fait ses preuves. On retrouve avec plaisir ce bon vieux post-apo mitonné à la sauce western que l’on apprécie ; on en ressort le sourire aux lèvres et l’envie d’y revenir, de pousser plus avant, encore et encore. Les repères sont là, immuables, une nouvelle aventure peut commencer… et ne décevra pas car rien n’y semble faiblir. Jusqu’à présent chaque tome lu mérite le suivant sur le temps lent et patient de mes acquisitions aléatoires chez les bouquinistes, d’autant que je m’astreins à lire les tomes dans l’ordre de parution.

Hermann est, une nouvelle fois, seul aux commandes, portant toujours deux chapeaux, pilotant textes et dessins. Si j’ai, un temps, souhaité un scénariste à ses côtés pour l’épauler, je reconnais désormais son art solitaire assumé mettant en parfaite adéquation ses textes et ses magnifiques crobars. Il y faut un sens du rythme qu’il possède d’évidence, presque une alchimie cinématographique en mouvement d’une vignette à l’autre. Les planches se font pellicule ciné. Les dessins ne sont pas noyés par les textes, ils vivent bien dans leur presque intégralité.

La thématique centrale est un huis clos sanglant sur les fils de la vengeance, de l’appât du gain et d’un monde, somme toute nouveau-né, qui réitère ses vieilles erreurs, ses errances guerrières inutiles et ses bassesses. Rien de neuf sous le soleil.

Fait notable et récurrent de tome en tome, les personnages secondaires (et ils sont ici assez nombreux) méritent le relief que le scénario leur accorde (Jeremiah et Kurdy ne s’effacent pas pour autant). Du chef de bande malchanceux et manchot au trio maléfique, (le père au regard fuyant, la mère grande gueule maline, et le fils, colosse benêt au bonnet de laine au ras des sourcils) jusqu’à Luke qui, private joke manifeste, cigarette au bec, épi rebelle et haute dégaine caractéristique n’est pas sans rappeler curieusement le Lucky Luke de Morris (vraisemblablement un hommage graphique qui ne passera pas inaperçu).

La une de couverture rigolote et édénique est trompeuse. Sacré Hermann.. ! Ne pas s’y fier.. ! Le post-apo, lui, ne rigole jamais ou presque ; ce n’est pas son genre. Le paradis n’est pas de ce monde, l’enfer est sous les pas des personnages, derrière chaque page tournée, d’une vignette l’autre. L’illustration en une, pourtant, se montre en pays de farniente, en promesse d’océan, de vagues frangées d’écume, de pieds nus dans la fraicheur de l’eau, de mollets à l’air, les orteils en bouquets de violettes, le pébroque en pare-soleil. A peine plus loin, dès les toutes premières pages, une aile volante aux couleurs d’arc-en-ciel bat les airs, flirte avec les nuages, à flanc de falaise, sur le bleu du ciel. Carpe diem ? Oh que non.. ! Le drame attend patiemment. Si la mer, le sable et l’aile virevoltante sont bien au menu, l’essentiel est ailleurs : en rase campagne, dans une haute demeure délabrée où un aristo déguenillé et miteux se fait dégommer la tronche à grands coups de boule de billard et trancher l’annulaire d’un vif coup de couteau pour le prix d’une énorme émeraude ; dans une raffinerie de pétrole désaffectée où les vies s’éteignent dans le sang versé,  pour prix du rare pétrole qu’il y reste (et revendu à prix d’or) et qu’une bande de bras-cassés convoite ; dans les canalisations percées, les hautes citernes rouillées et éventrées, les gerbes d’étincelles jaillies des armoires électriques fracassées…. Nous voici en pays postapocalyptique classique, là où les cicatrices urbaines de notre société s’éparpillent dans la renaissance de la nature sous le soleil. Le scénario, tortueux porte son poids de noirceurs crapuleuses, de vengeances un temps retenues et violemment libérées l’instant suivant, de crasses tromperies entre amis quand l’argent rôde.

La stratégie du huis-clos sanglant où les personnages sont assassinés les uns après les autres, rappelle celle qui, un cran plus haut dans la violence, verra le jour dans « Une nuit de pleine lune » en 2011. Les bons scénars renaissent toujours d’une façon ou d’une autre.



vendredi 14 novembre 2025

Grateful Dead – Grateful Dead (1967)

 
Warner Bros Records (1967)


Au cœur des sixties US, le 10 mars 1967, sort le premier LP studio du Grateful Dead dans les bacs des disquaires. Il se pose alors sur les platines Hi-Fi en accord avec l’air du temps, à deux ans de l’apogée de Woodstock : Hippie-land, West-Coast psychédélique, Los Angeles et San Francisco, fumette, LSD et Flower Power flamboyant encore à venir.

L’opus, par nécessité financière, est enregistré en 4 jours seulement ; il s’impose à l’instinct, dans le désir, la fraicheur et l’essentiel de ce qui est possible. Dès la première écoute on le perçoit comme un prélude, ramassé et compact, aux envolées qui suivront sur le fil d’une longue carrière florissante. Son titre est classiquement et banalement éponyme. Guitares psyché et sonorités semi acides comme des éclats de ce soleil d’été qui semble éternellement surplomber la Côte Ouest. Rien de vraiment spécifique, en somme, si ce n’est que les ingrédients-type du Dead-World sont déjà bien en place. Le groupe, dès ses premiers balbutiements, se montre plus qu’en gestation de ses ambitions dans ce rock direct et percussif qui semble parfois s’offrir des instants de liberté jouissifs, de courts ébats improvisés, préludes à de belles envolées sur scène, libres et fières de toutes attaches. Certains titres phare, déjà présents dans la track-list, feront les riches heures des concerts-marathons à venir. Plaisir palpable de jouer ensemble, de constituer une famille, une tribu ; cohérence du line-up et de ses ambitions.

Les 9 titres sont courts, directs, presque ramassés (sauf un, le dernier, « Viola Lee blues » de plus de 10 minutes offerts aux délires six-cordistes improvisés). On est loin des complexes luxuriances musicales de « Anthem of the sun » et de « Oxomoxoa » et surtout des longs épanchements improvisés qui bientôt viendront et feront la marque de fabrique du groupe, sa raison de jouer. Pourtant, les gimmicks de chacun des musiciens sont déjà là, on les reconnait vite, on sent la présence de Jerry Garcia (g) à ses soli clairs, cristallins, célestes et sereins ; celle de Lesh (b) à ses notes précises toujours bien en place ; celle de Pig Pen (p+h) (à son décès le Dead perdra son sens inné du blues à l’harmonica, au piano et à l’orgue Hammond) ; de Kreutzman (d) en attente de son sosie duettiste ; et de Bob Weir (g). Tous sont déjà aux commandes d’un line-up classique. Leurs ambitions sont claires : du rock, du blues, de la country, le tout brassé en un mix reconnaissable.

Je trouve nombre de charmes à cet album humble, aisé d’abord et direct dans ses intentions, même si son intérêt n’est encore rien à côté des réalisations qui suivront, « Aoxomoxoa » et « Anthem of the sun » en tête. «First Album» marque en somme le franchissement obligé d’une frontière entre ce que, d’un côté, le line-up est capable de faire et ce qu’il rêve de construire, de l’autre.

La musique du Dead peut paraitre désuète et vieillotte, à remonte-temps inutilement nostalgique ; on peut s’y trouver addict ou à des années-lumière. Elle n’est et ne restera que ce qu’elle a toujours été, éternellement vivante, libre et vivace… et c’est très bien comme çà. Enracinée dans les genres immortels qu’elle propose et enrichie des riches et fertiles impros dont elle sait se nourrir et s’exponentialiser.

Long live Dead.

En illustration sonore



jeudi 13 novembre 2025

Une nuit de pleine lune - Hermann + Yves H. (BD)

 

Glénat Editeur (2011)

Hermann est l’auteur (dessins et scénarios) de Jeremiah, un cycle BD post-apo teinté de western. Pour ce que j’en ai lu, je j’apprécie beaucoup. Qualités graphiques hors-normes et atypisme des scénarios sont, à chaque fois, au rendez-vous. La série courre avec succès, tant son créateur est prolifique, sur le fil d’une longue carrière, 43 tomes durant de 1979 à 2025. Mazette… ! rien que çà.. ! Sans parler des autres séries (Comanche, Bernard Prince, les tours de Bois-Maury …) et des one-shots en collaborations (ou sans).

Yves H. (scénariste) est son fils ; les deux générations font ponctuellement cause commune le temps de quelques one-shots ; l’un aux pinceaux, l’autre au clavier.

En 2011 sort « Une nuit de pleine lune », une de leurs collaborations intergénérationnelles. 

 Frissons garantis au cours d’un huis-clos nocturne angoissant. Cinq petites frappes sont de cambriolage et rien ne se passera comme prévu … çà va saigner… !

De nos jours, en été, sous une Pleine Lune de mauvais augure, une haute maison de maitre, isolée en proche campagne banlieusarde, attend ses visiteurs malintentionnés d’un soir. Un couple de retraités, de sortie ciné, l’habite. Cinq jeunes profitent de leur absence ; la serrure est forcée et l’alarme débranchée. Le coffre-fort résiste, l’artiche reste planqué sous le blindage. La bande de bras-cassés attend le retour du couple dans l’espoir de leur faire cracher le code du coffiot et celui de la carte bleue ; suffit d’être convaincants, quitte à la violence. Ils sont 5 petites gouapes : un geek éternellement connecté à sa console Nintendo ; une néo-gothique à air-pods ; un hacker du pauvre ; un fils d’immigré nostalgique du pays où il est né ; une grande gueule, gros muscles et petite cervelle. On est, bon teint, en pays de polar noir. Tous les ingrédients sont là. Ça va changer. Le carnage commence. Le polar noir entrevu se teinte soudain d’horreur sanglante. Bonjour l’hémoglobine en gerbes sur le papier-peint, bonjour les flaques luisantes de sang sur les parquets, bonjour les vies trépassées sur la lame d’un couteau de cuisine entre hall d’entrée et salle à manger. Une série noire s’amorce, c’est l’hécatombe ; le vieux désormais en chasse, lame de couteau en mains, n’est pas de la race à se laisser faire et taille dans les chairs. C’est un Alien à la Ridley Scott qui guette et frappe dans l’ombre, du grenier à la cave ; tue toutes lumières éteintes (sauf celle de la TV qui passe un concert rock et sert un temps de bande-son) ; c’est un Scream binoclard aux lames affutées, un Freddy nouvelle mouture.

On ne se méfie pas assez des vieux.. !

Cà saigne. D’abondance. Le scénar s’y complait jusqu’à l’os. Des vies trépassent au cœur de la nuit, sous une lune froide, placide et sereine, sans empathie aucune. Au petit matin, la messe est dite, les comptes sont réglés. Ils étaient sept… combien au final ?

L’Horreur (avec ou sans Fantastique associé), en tant que genre littéraire ou cinématographique, ce n’est pas mon truc. Je n’y frissonne pas de plaisir et essaie, en conséquence, de m’en abstraire au plus tôt, l’incompréhension de tout cela en ressenti final. Je ne m’attendais pas à ce long épilogue brutal et sauvage. J’étais, serein, en promesse d’un simple polar noir, voire d’un thriller sordide, pas d’un maelstrom sanglant à la Taxi Driver. Je suis tombé dans autre chose, sur 52 pages d’un ersaAuLors des tournag de Fantastique très réaliste, sans concessions et qui ne s’épargne pas les détails. Faut dire que c’est, néanmoins, bien mené, façon ciné, 25 images/seconde, gros plans, plongées et contre-plongées, plans américains …. Le fiston Hermann a fait des études ciné et le papa nous avait déjà habitué à des BDs en mouvements. Pas d’encadrés explicatifs en voix off. Les vignettes glissent sans heurts, la suivante sur la précédente, s’emboitent en un montage ciné très dynamique. BD ouverte, c’est une lampe magique qui s’allume.

La BD me semble un art entre roman et long-métrage ; là, avec Hermann et Hermann, le 9ème Art s’acoquine, encres de chine, gomme et crayons-mine mêlés, avec les bobines de film, la pellicule, les projecteurs et le faisceau de lumière posé sur l’écran blanc. « Une nuit de pleine lune » est une BD en cinémascope à interdire aux âmes sensibles. Elle fut, d’ailleurs, adaptée par Julius Berg en 2000 sous le titre de « The owners ». On en trouve une bande-annonce sur le Net. Les quelques instants retenus donneraient des frissons glacés à un pavé de béton.

Dans mon lit froid, hier soir, à lire ce H&H sous la faiblarde lueur de la lampe de chevet, couché comme recroquevillé dans un fauteuil de salle obscure, je me suis pris à redouter que la première s’éteigne et ne repousse plus la nuit, à espérer que la seconde s’allume enfin et éloigne les ombres.

Pour sûr, je caricature mon ressenti ; il masque en réalité ce foutu plaisir de voir les auteurs jouer avec nos fichues peurs, celui de les savoir jongler avec nos craintes immatures, de nous faire trébucher sur nos zones d’ombre. Alors BD ou film, polar noir ou thriller Fantastique, quelle importance… !

mardi 11 novembre 2025

Détails de l’exposition – Jean-Claude Dunyach

 

L’Atalante ed. (2025)

 Le titre s’avère rapidement parlant ; alors, n’oubliez pas le guide, il s’agit de le remercier. « Détails de l’exposition » de Jean-Claude Dunyach est, en effet, un recueil de nouvelles SF, Fantastique… et autres, se présentant comme autant de salles de musée à visiter. Ça tombe bien. Il y a 3 semaines à peine (19 octobre) on cambriolait Le Louvre sur les traces de Napoléon. On reste dans l’ambiance d’étonnement et de surprise.

Ce recueil, chez « L’Atalante », revient sur une carrière d’auteur via 27 de ses nouvelles (mazette.. !). Cinq sont inédites, quelques-unes primées (2 Grand Prix de l’Imaginaire, 3 Rosny ainé, 1 Ozone et 1 Imaginales). Le design graphique de la une de couverture, signé Leraf, montre en 1 de couv une magnifique et étonnante illustration très colorée (d’inspiration japonaise, L’Empire du Soleil Levant semble une récurrence chez l’auteur) ; elle se double de dessins internes qui, sous la forme de vues en coupe, rappellent le look pédagogique des brochures disponibles à l’entrée de certaines expositions. Superbe… et inspiré.. ! Le titre n’est pas sans rappeler, sur la forme, « Vue en coupe d’une ville malade » et « Procédure d’évacuation immédiate des musées fantômes » de Brussolo.

J’ai croisé les écrits de Dunyach durant les 80’s sur le fil romanesque de deux Fleuve Noir Anticipation formant diptyque sous le titre générique du « Jeu des sabliers » (1987) lorsque la collection se cherchait de vraies plumes SF (et les trouvait). Les deux tomes étaient prometteurs mais je suis passé au large de ce qu’écrivit l’auteur par la suite, ma passion SF sur le déclin me poussant alors vers d’autres éclats de « Mauvais genres », entre autres policiers. Je suis revenu vers l’Imaginaire en 2005 alors que Dunyach y était déjà bien installé. En échos dithyrambiques réitérés sur les forums SFFF, le fandom affichait à son égard une belle réputation de nouvelliste SF. C’était tentant. Rien n’y fit. A son détriment, une nouveauté poussant l’autre, il m’aura fallu, merci Babelio, l’auteur et l’éditeur, ce « Détails de l’exposition » pour m’y intéresser. Bien m’en a pris. Le recueil est, de part certaines nouvelles embarquées, ma claque de l’année 2025.

Chaque nouvelle jalonne d’une pierre blanche une brillante carrière de nouvelliste au service de la SF et de ses genres satellitaires. Le tout, à l’égal d’un florilège, se fait l’écho des riches heures de l’édition française de SF des quatre dernières décennies. S’y profilent, côte à côte, l’une après l’autre, des rééditions (et 5 inédits) issues de revues spécialisées témoins du genre. On y trouve l’innovateur « Univers », le passeur de témoins « Fiction » ou « Cyberdreams » qui font encore échos nostalgiques chez certains, « Galaxies » (dont J.C. Dunyach fut un temps rédac en chef) et « Bifrost » qui sont les références actuelles du genre. On retrouve itou des textes issus d’anthologies thématiques qui ont fait date : « Territoires de l’inquiétude » d’Alain Dorémieux ou « Escales sur l’horizon » de Serge Lehman, mais aussi quelques extraits de précédents recueils, « Etoiles mortes » (6 volumes) ou « Autoportrait » en Présence du Futur.

Du Fantastique somme toute assez classique (« L’automne de la cathédrale » ou l’émouvant « Fin de l’été indien ») à celui, néo-classique flirtant avec l’horreur, chère à Alain Dorémieux en ses « Territoires de l’inquiétude » (l’angoissant « Sucre filé ») …

… d’une SF spatiale à un cyberpunk affuté, complexe mais compréhensible (« La stratégie du requin ») en passant par le romantisme temporel poignant de « Jardin Medicis » ou la « potacherie » jubilatoire de « Rapport sur les habitudes migratoires des pères Noël » le recueil se montre, d’une nouvelle l’autre, un nuancier des thèmes chers aux Littératures de l’Imaginaire. Dunyach, de l’une à l’autre, s’en sort brillamment au prix d’une prose calculée, ciselée et joliment travaillée, fruit d’un travail d’écriture conséquent. L’art de ne pas se foutre du monde, la plume est précieuse, précise, efficace, le bon mot est à la bonne place. Les phrases sont étirées. Les intrigues foisonnent ; la conséquence est que le tout parait plus important que la somme des parties.

On aurait pu avoir un bel effet de fix-up s’il y avait eu un liant évident d’une nouvelle l’autre.  Il y aurait eu effet exponentiel de perception positive. Effet, néanmoins ; difficile à rendre de part la juxtaposition de textes comme autant de promenades en univers parallèles profondément différent de l’un à l’autre.

A la convergence des forces de vie que l’homme laisse entrevoir, entre mathématicien informatique réaliste et, à l’opposé, rêveur d’Imaginaire ; du scientifique au philosophe, sur le fil de celui qui imbrique la magie des mots dans les jeux mathématiques, Dunyach agence le tout en une prose poétique inattendue et inspirée, quelques fois proche de la hard-SF. « Détails de l’exposition » est un recueil foisonnant qui se mérite, où, à la croisée de deux mondes, pullulent les raisons d’en sortir enchantés et ébahis.

Oui, je suis passé, de longues années durant, à côté de Dunyach, sur le fil d’une SF retrouvée 20 ans plus tard. Il me faut creuser plus avant l’univers de l’auteur, du Fleuve Noir Anticipation oublié à « l’Atalante » de maintenant. D’autres nouvelles m’attendent ainsi que l’espoir d’un plaisir renouvelé …




jeudi 30 octobre 2025

Van Der Graaf - The Quiet Zone / The Pleasure Dome (1977)

 


Le combo se nommait à l’origine (1967) Van Der Graaf Generator. Le dernier élément de son patronyme disparait en 1977 avec ce 8ème opus studio qu’est « The quiet zone / The pleasure dome ». Le nom de baptême dont se pare le groupe est, qui plus est curieusement steampunk avant l’heure, une référence à un appareil électrique, créé en 1930, produisant de l’électricité statique, le générateur de Van de Graaff du nom de son inventeur. 37 ans plus tard, en 67 (date de création de VDGG), la faute d’orthographe accidentelle d’un « f » sous-numéraire et la propension d’antan qu’avait l’univers rock à se parer de noms de groupes improbables et interminables, engendraient un combo rock culte. En outre, autre bizarreté, certaines lettres de son nom de scène furent quelques fois remplacées par des triangles de Penrose, objets impossibles dessinés en 1950. VDGG a souvent avancé en terres de mystères, sa musique s’en est fait l’écho. Et c’est tout son charme.

Van Der Graaf est un groupe de rock anglais appartenant à la vague progressive britannique des 70’s, celle pionnière du genre, débordant d’amont sur les 60’s et s’insérant d’aval dans les 80’s. Il devint un combo culte sur le fil d’une petite dizaine d’albums inspirés et atypiques, s’attira les faveurs d’une intelligentzia fidèle et exclusive, presque jusqu’au-boutiste, n’émergea au grand jour que de manière diffuse et sporadique … avant de splitter et de renaitre, sans acquérir, à l’égal de Genesis ou de Yes, le statut de tête de gondole. Faute à certains petits défauts embarqués (mais en étaient-ce vraiment ? puisqu’ils font tout l’intérêt de ceux qui idolâtrent le groupe) ; ils sont comparables, par exemple, à ceux attribués et reprochés à Gentle Giant : une zique complexe, intello, perçue érudite, aux textes bavards à première écoute. … et pourtant : à laisser le groupe tourner sur la platine, il avait de quoi plaire, surtout si rien d’enchanteur n’émergeait la première fois. Son âme n’était palpable qu’en y revenant, encore et encore.

Tout l’esprit et le sel de l’album s’affirment dès les trente premières secondes écoulées du morceau initial. Tous les ingrédients typiques y sont regroupés, l’un suivant l’autre puis s’imbriquant l’un dans l’autre : guitares acoustique (bientôt électrique), violon, basse ronflante et dodue, batterie, voix envoutante et reconnaissable entre mille ; ne manque que le saxo (sur seulement deux morceaux). On est au parfum de ce qui va suivre, tout déjà réduit dans ces quelques mesures. Le reste ne sera qu’affaire de développement, de merveilles qui en découlent en pays de prog.

A mon sens, « The quiet zone / The pleasure dome » est le chef-d’œuvre du combo, l’opus d’un groupe pourtant soldant ici son passé (encore un beau live, « Vital », et puis basta s’en ira) … mais qui saura renaitre à l’aube du millénaire naissant. Ce n’est pas, pourtant, selon la critique, le meilleur LP de VDGG mais c’est celui avec lequel j’ai le plus d’affinités, le sentiment d’enfin comprendre ce qu’il s’y passe quand la complexité/la sophistication habituelle apportée à la musique cède la place à une relative simplicité. S’y ajoute une zenitude palpable, absente des opus précédents marqués d’une atmosphère sombre et inquiète. La particularité du groupe est que les vocaux sont omniprésents sur la plupart des albums. Ici, le chanteur (Peter Hammill) se glissant à son habitude dans tous les registres, se montre pour une fois plus en retrait qu’aux premières loges. A mon sens ses interventions (même si sa voix est particulièrement belle) asphyxient souvent l’audition, imposent une quasi apnée à celui qui écoute. « The Quiet Zone / The Pleasure Dome » échappe à cette quasi constante, libérant de l’espace à la structure instrumentale dédiée non pas tant à la guitare du leader (pourtant incontesté) qu’aux interventions mélodiques inspirées du violon et à une basse bien ronde, bien poussée en avant, boursoufflée, grondante. Un saxo intervient sur deux titres, sa présence affine encore plus le particularisme du combo.

Je pose ce genre d’albums sur la platine-disque, ceux classés rock-progressif, quand le besoin d’embarquer ailleurs qu’en territoire blues-rock se fait sentir. Ce brusque virage musical vient me visiter de temps à autre quand la note bleue me lasse de ses gammes pentatoniques routinières lassantes.

Van Der Graaf m’est, en outre, groupe « saisonnier » ; je ne l’écoute qu’en automne ou en hiverIl livre une musique, me semble t’il, arrachée aux riches couleurs d’octobre quand la Toussaint, en approche lente, va marquer le changement de temps ; quand les arbres aux mille tons se séparent de leurs feuilles comme autant de notes perdues sur la partition des branches peu à peu dénudées ; lorsque le lent glissement vers l’hiver s’amorce. Il y a beaucoup de mélancolie attachée à l’automne dans cette curieuse perception musicale qu’offre le groupe : un été hélas désormais presque enfui, une météo entre deux extrêmes, le poêle à bois contraint à un feu doux hésitant et ponctuel … alors que le mobilier de jardin attend encore ses housses protectrices et l’abri du cabanon. Une parenthèse temporelle peu à peu se déploie ; un entre-deux se crée … et VDG s’y insère, s’y glisse, dédiant le panel sonore foisonnant de sa musique aux nombreuses nuances complexes de l’automne.

Bienvenue en pays d’octobre.



... où apparait un triangle de Penrose

... où apparait le générateur de Van de Graaff


lundi 27 octobre 2025

La tombola des voyous - San Antonio

   

    26ème San Antonio que ce "La tombola des voyous". Il est copyrighté 1957 aux Editions Fleuve Noir. Une paille ...! Il y en aura, de plus, une belle tripotée. San A sous la plume de Frederic Dard: une longue série au service de la galéjade.   .

    L'épisode sent encore l'atmosphère Polar Noir du début de cycle (1949), plus que sa fin (2001) dérivant vers The Big Délire de l'auteur, du Grand Tout vers le N'importe Quoi bavard et bouche-trou (...et Lycée de Versailles). Gourdon nous vient encore en couvrante couleurs d'époque et c'est tout bonus. Un couteau à la lame ensanglantée, une sombre et haute verrière; quelques façades parisiennes, celles chaotiques du temps jadis; de rondes camionnettes des 50's. Le tout aux petits matins d'un marché des 4 saisons.

    Des bacs à abats des Halles à la consigne de la Gare du Nord, l'étrange itinéraire d'un cadavre en pièces détachées; sa tête, première pièce du puzzle, retrouvée du persil dans les naseaux.

    San A vadrouille de calembours vaseux en considérations philosophiques nihilistes, de petites pépées horizontalisées en déductions policières hasardeuses; Béru s'agite, rondouillard et graisseux, de curages de nez à l'index fureteur en castagnes à pifs sanguinolents, passages à tabac et cravate tachetée à la rillette du Mans. Pinaud, l'indispensable débris à la santé fragile complète le trio.

    L'épilogue capillotracté débarque sans crier gare au crépuscule des 214 pages standards des Fleuve Noir réglementaires de l'époque; il est compressé pour rentrer dans sa case et en finir.

    Un San Antonio pousse/chasse l'autre, chacun d'eux comme une gourmandise sucrée ou épicée, c'est selon.

    Et, une fois de plus, un titre sans rapport avec le contenu mais qui, à lui seul, fait toute la saveur du roman.



lundi 20 octobre 2025

Nouvelles de l’anti-monde - George Langelaan

 

Arbre Vengeur Ed. – Collection « Arbuste Véhément » (2025)

J’ai toujours été friand de nouvelles ; Fantastique et SF confondus ; de la short-story à la novella ; du strict minimum à celles dodues flirtant avec le format roman. Je les perçois comme de petites gourmandises à picorer à l’envie, des amuse-gueules dégustés à temps perdu entre deux gros romans chronophages. L’art en est difficile : une idée, une flèche en cœur de cible, quelques pages vite oubliées ou gravées à jamais dans la mémoire… c’est selon, et basta.

Celles qui, issues des Littératures de l’Imaginaire, n’ont pas été publiées depuis longtemps et se montrant introuvables dans leur version originale, se rappellent ponctuellement à notre bon souvenir sur le fil de rééditions courageuses, renaissent souvent comme de belles pépites à tort oubliées ou resteront anecdotiques, tout dépend de la pertinence du projet. Toutes ont fait, bon an mal an, le charme des « mauvais genres », collant à l’Histoire des Littératures de l’Imaginaire, servant de points d’ancrage chronologique en fonction de leurs styles d’écriture.

La réédition du recueil « Nouvelles de l’Anti-monde » s’offre t’elle un coup de jeunesse en pays de nouveautés ? Est t’elle judicieuse ? Sa dernière occurrence éditoriale date de 1973 pour une version originale en 62. Qu’en reste t’il ?

En 2019, une maison d’édition française (« L’Arbre Vengeur »), se propose de nous faire lire (voire relire), au cœur d’une de ses collections, (« L’Arbuste Véhément »), une antique et miraculeuse pépite romanesque fantastico-science-fictive.  Cynique et désespéré, « L’œil du Purgatoire » de Jacques Spitz attire notre intérêt en 2025 vers un autre titre du même catalogue, de même tonneau semble t’il, réédition itou, décalé et atypique tout autant, intemporel et si peu désuet : « Nouvelles de l’anti-monde » (1962 chez Robert Laffont) de George Langelaan (1908-1972).

La curiosité s’en mêle. Poussant plus avant, on découvre que le recueil qui nous cligne de l’œil aujourd’hui était apparu en 1966 (rééditions internes jusqu’en 1973) en Marabout aux Ed. Gérard, au cœur d’une double collection mythique et incontournable, jumelle s’il en est, Fantastique & SF séparés. Marabout F, surtout, s’était fait le chic quelques décennies durant de rééditer une myriade de nouvelles atypiques d’essence fantastico horrifique, d’origine belge le plus souvent, peu connues et d’excellente qualité. « Nouvelles de l’anti-monde » parut peut-être à tort sur le versant SF de la collection, mais quelle importance .. ! Le détour par « L’Arbre Vengeur « s’impose donc.. !

On trouve, au sein du sommaire, trois nouvelles qui eurent l’heur d’une adaptation ciné :

1        -« La mouche » devant la caméra de David Cronenberg (1986). Le long métrage fut pluri nominé et primé. A mi-chemin entre merveilleux scientifique, Fantastique et Horreur, la nouvelle est classique de la méthode Langerlaan.

2        L’idée irrévérencieuse de «Le miracle» servit, de toute évidence, de base non créditée au presque éponyme long métrage de JP Mocky « Le miraculé » (1987). Rendez-vous à Lourdes… où l’humour noir de l’épilogue fait sourire et ricaner. L’adaptation est libre, très libre.

3        «  Robots pensants », pour la télévision, qui revisite dans l’horreur, le thème de l’automate joueur d’échecs.

Dans « L’œil du Purgatoire » de Spitz, le héros perçoit ceux qui l’entourent, vision prémonitoire et merveilleux-scientifique aidant, tel qu’ils seront dans un délai temporel de plus en plus marqué. Les humains qu’il côtoie, de plus en plus décrépits, bientôt évanescents, de la chair vers la poussière en passant par la putréfaction et l’état de squelette, isolent le héros dans une solitude fatale. Le héros de « Temps mort » « Langelaan suit, un itinéraire similaire : autour de lui, le temps se rétracte, les humains se statufient, se pétrifient ; tandis que, pour lui, à l’inverse, les secondes deviennent des heures. Destin tragique assuré. Chef d’œuvre du recueil.

Pour le reste, sans chercher à citer tous les textes :

.Une main n’obéit plus à qui devrait la commander («L’ autre main»). Fantastique classique à bout de bras.

.« La dame d’outre nulle-part » préfigure les histoires d’amour par écrans interposés. 

.« Récession » qui, en boucle temporelle, de la mort vers la naissance, de la naissance vers la mort, de la vie perdue vers celle recommencée… offre l’immortalité sans conscience d’en bénéficier.

.« De fauteuil en déduction » qui, bien avant l’heure, utilise le twist final de Thierry Jonquet dans « La bête et la belle ». On voit venir de loin.

Etc…. 

Au final, 13 nouvelles oscillant entre SF, Fantastique et Horreur, assaisonnées quelques fois d’humour, suffisamment atypiques pour attirer l’attention en 2025. Nul doute que l’on y retrouve néanmoins le parfum d’une époque qui n’est plus, mais l’essentiel est de se dire que l’ouvrage mérite peut-être de devenir un classique.. !

Merci Babelio, Masse Critique, L'Arbre Vengeur Ed.

Marabout SF 252 (1973)

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