Réédition en 1980, chez Plon d'un ouvrage initialement paru
en 1967.
Nous sommes en France, durant les premières années de
l'entre-deux guerres. Yves Tréguier
a 14 ans, il est pupille de Guerre depuis 6 ans. Son père est mort au combat quelque
part sur le Front. Orphelin à 8 ans, il a été confié aux Services de l'Etat. La
Patrie reconnaissante s'est occupé de lui, ou aurait du le faire dans la pleine
reconnaissance des droits de l'enfant. Or il n'en est rien, lui et les autres
dans le même cas ne sont désormais que gènes économiques. Ils doivent disparaître
du paysage social. Du passé faire table rase. Il suffira de les oublier...
Forcé de quitter la protection relative d'un l'Orphelinat de
Guerre à la suite d'une tentative d'évasion ratée, Yves est enfermé dans une Maison
d'Education Surveillée (prémisse de celle de Correction). Il s'y mêlera aux
orphelins "classiques et réputés difficiles", à ces Pupilles de la
Nation tout aussi oubliés, meurtris et malheureux que lui... S'en suivra le
trajet d'un enfer légal sur Terre, au regard de considérations économiques
privilégiées, de lâchetés humaines participant à l'innommable et d'une volonté
d'état fermant les yeux sur ses propres manquements. Yves échouera dans le Milieu
et se fera écrivain. C'est, semble
t'il, le sujet de "La loi des
rues" à suivre. Il nourrira ses écrits de ses expériences de vie,
retrouvera sa respectabilité et réglera ses comptes avec certaines
institutions...
Le temps décrit dans "Les
Hauts Murs" est celui des blouses grises, sales et déchirées; des
crânes rasés (et écorchés) ainsi protégés des parasites; des châtiments
corporels d'une virulence inouïe s'abattant aux moindres prétextes; des sabots
frappant une cadence militaire au sortir des repas; des nuits de punition (on
ne dénonce pas les copains) durant lesquels les orphelins tournent
inlassablement en rond dans la cour de l'établissement; des réfectoires sales et
puants où la nourriture n'est que l'ombre d'elle-même; des matons aux gestes
gratuits, lestes et sans pitié; d'un directeur éternellement endimanché et plus
soucieux de soirées huppées au bras de sa belle épouse que du bien-être et de
l'avenir de ses protégés; des amitiés indéfectibles qui se nouent entre
certains enfants face à l'adversité; de celles très particulières qui usent
souvent du viol.
Bienvenue en pays de la force brutale omniprésente. Elle
règne comme seule évidence sociale. Elle est offerte à l'enfance en rançon de
la mort glorieuse du Poilu. Tout cela ne sera pas sans conséquence sur les ages
adultes de ceux qui pâtirent des faux-semblants administratifs.
Le récit, empruntant à des faits réels, est largement
autobiographique; même s'il n'use pas du "Je" narrateur. Sous nos
yeux se déroulent des premiers pas de vies, ceux si décisifs, qui auraient pu
être autres si la malchance n'était pas venue.
"Les Hauts Murs"
se veut l'écho dissimulé, car peu reluisant, d'une parenthèse de l'Histoire. Les
orphelins de guerre, paix revenue, devinrent dégâts collatéraux embarrassants.
Ils rappelaient des heures sombres qui devaient s'effacer face au positivisme
national à afficher. La reconstruction économique primait. Elle ne pouvait se
laisser entraver par des "détails humains mineurs". Il suffit alors
d'orphelinats prisons sous couvert de bienfaisance pour camoufler ceux qui
devinrent des laissés pour compte. Nos petits héros, ombres grises sur un
tableau voulu optimiste et reconquérant, se devaient d'être cachés, oubliés de
la mémoire collective. Place à un autre monde qui effaçait le passé. Le Breton se voulut, via l'évocation de
son passé, la résurgence de faits têtus, un rappel aux bons souvenirs d'une
société oublieuse de ses devoirs.
Paru en 1967, "Les
Hauts murs" font remonter une des réalités sombres et peu reluisantes
de l'entre deux guerres. Il nous parle sans détour d'une conséquence directe du
conflit frappant les plus démunis. C'est un témoignage fort, têtu et
dénonciateur. Il cible une démission collective d'état: sociale, politique,
économique et religieuse. Elle bottait en touche un problème qui revint par la
bande: Le Breton, par exemple,
trouve dans le Milieu au sortir du
système éducatif qui lui fut appliqué une nouvelle famille que ne lui offrit
pas le système des orphelinats.
La forme est simple, alternant les dialogues en argot et
l'académisme (un peu forcé) de descriptions efficaces et d'explorations intimes
des êtres. Le fond est prégnant, dénonciateur et militant. Le Breton a des choses à dire et les assène non seulement pour
révéler aux yeux du monde mais aussi en guise d' exorcisme personnel.
A noter qu'en 2008, un long métrage signé Christian Faure adaptera le récit. Carole Bouquet y jouera le rôle d'une
mère qui reviendra sur le destin qu'elle a offert à son fils. Prenant.
Il m'a l'air intéressant ce roman, surtout qu'il traite d'un sujet dont plus aucun auteur ne parlerait de nos jours, un sujet qui tend à disparaitre.
RépondreSupprimerOui, il parle d'une époque révolue (heureusement)durant laquelle les priorités n'étaient pas (ou peu)sociales. On y est plus proche de Dickens que de ce qui se pratique aujourd'hui.
SupprimerIl y eut une adaptation ciné en 2008. Je n'ai vu que le trailer. Le long métrage semble être en adéquation avec le roman.
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18808629&cfilm=109604.html