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mercredi 19 novembre 2025

Jeremiah n°11 Delta (Hermann)(BD)

 

Ed. Dupuis (1985)

« Delta », paru aux Editions Dupuis en 1985, est le onzième épisode de la série BD consacrée à « Jeremiah ». Elle est toujours signée Hermann et courre depuis 1979. Le lecteur y vient désormais avec ses habitudes, s’attend (à juste raison) à un one-shot enkysté en cœur de cycle ; la recette en est connue et a fait ses preuves. On retrouve avec plaisir ce bon vieux post-apo mitonné à la sauce western que l’on apprécie ; on en ressort le sourire aux lèvres et l’envie d’y revenir, de pousser plus avant, encore et encore. Les repères sont là, immuables, une nouvelle aventure peut commencer… et ne décevra pas car rien n’y semble faiblir. Jusqu’à présent chaque tome lu mérite le suivant sur le temps lent et patient de mes acquisitions aléatoires chez les bouquinistes, d’autant que je m’astreins à lire les tomes dans l’ordre de parution.

Hermann est, une nouvelle fois, seul aux commandes, portant toujours deux chapeaux, pilotant textes et dessins. Si j’ai, un temps, souhaité un scénariste à ses côtés pour l’épauler, je reconnais désormais son art solitaire assumé mettant en parfaite adéquation ses textes et ses magnifiques crobars. Il y faut un sens du rythme qu’il possède d’évidence, presque une alchimie cinématographique en mouvement d’une vignette à l’autre. Les planches se font pellicule ciné. Les dessins ne sont pas noyés par les textes, ils vivent bien dans leur presque intégralité.

La thématique centrale est un huis clos sanglant sur les fils de la vengeance, de l’appât du gain et d’un monde, somme toute nouveau-né, qui réitère ses vieilles erreurs, ses errances guerrières inutiles et ses bassesses. Rien de neuf sous le soleil.

Fait notable et récurrent de tome en tome, les personnages secondaires (et ils sont ici assez nombreux) méritent le relief que le scénario leur accorde (Jeremiah et Kurdy ne s’effacent pas pour autant). Du chef de bande malchanceux et manchot au trio maléfique, (le père au regard fuyant, la mère grande gueule maline, et le fils, colosse benêt au bonnet de laine au ras des sourcils) jusqu’à Luke qui, private joke manifeste, cigarette au bec, épi rebelle et haute dégaine caractéristique n’est pas sans rappeler curieusement le Lucky Luke de Morris (vraisemblablement un hommage graphique qui ne passera pas inaperçu).

La une de couverture rigolote et édénique est trompeuse. Sacré Hermann.. ! Ne pas s’y fier.. ! Le post-apo, lui, ne rigole jamais ou presque ; ce n’est pas son genre. Le paradis n’est pas de ce monde, l’enfer est sous les pas des personnages, derrière chaque page tournée, d’une vignette l’autre. L’illustration en une, pourtant, se montre en pays de farniente, en promesse d’océan, de vagues frangées d’écume, de pieds nus dans la fraicheur de l’eau, de mollets à l’air, les orteils en bouquets de violettes, le pébroque en pare-soleil. A peine plus loin, dès les toutes premières pages, une aile volante aux couleurs d’arc-en-ciel bat les airs, flirte avec les nuages, à flanc de falaise, sur le bleu du ciel. Carpe diem ? Oh que non.. ! Le drame attend patiemment. Si la mer, le sable et l’aile virevoltante sont bien au menu, l’essentiel est ailleurs : en rase campagne, dans une haute demeure délabrée où un aristo déguenillé et miteux se fait dégommer la tronche à grands coups de boule de billard et trancher l’annulaire d’un vif coup de couteau pour le prix d’une énorme émeraude ; dans une raffinerie de pétrole désaffectée où les vies s’éteignent dans le sang versé,  pour prix du rare pétrole qu’il y reste (et revendu à prix d’or) et qu’une bande de bras-cassés convoite ; dans les canalisations percées, les hautes citernes rouillées et éventrées, les gerbes d’étincelles jaillies des armoires électriques fracassées…. Nous voici en pays postapocalyptique classique, là où les cicatrices urbaines de notre société s’éparpillent dans la renaissance de la nature sous le soleil. Le scénario, tortueux porte son poids de noirceurs crapuleuses, de vengeances un temps retenues et violemment libérées l’instant suivant, de crasses tromperies entre amis quand l’argent rôde.

La stratégie du huis-clos sanglant où les personnages sont assassinés les uns après les autres, rappelle celle qui, un cran plus haut dans la violence, verra le jour dans « Une nuit de pleine lune » en 2011. Les bons scénars renaissent toujours d’une façon ou d’une autre.



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