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jeudi 30 septembre 2021

Hotel Berlin 43 – Vicki Baum

 


Métailié Ed. (2021, VO de 1944)

Les éditions Métailié proposent, dans la collection « Bibliothèque allemande », au moins deux romans ciblant le nazisme : sa montée (pour l’un) sa chute (pour l’autre). Ce sont « La septième croix » d’Anna Seghers et « Hôtel Berlin 43» de Vicki Baum. Leurs points communs : deux auteures allemandes exilées aux USA avant le début des hostilités, deux romans écrits avant la fin de la Seconde Guerre Mondiale, deux livres inclus dans le package des GI’s appelés à débarquer sur les plages de Normandie, deux adaptations hollywoodiennes peu avant et peu après l’Armistice. Les deux récits véhiculent des thématiques similaires : la soumission léthargique d’un peuple à un totalitarisme inique, l’opportunisme et l’appétence de certains pour le pouvoir et l’argent quitte au pire et à la folie génocidaire. Et au final, pour les deux, un happy-end, ou pour le moins une lueur d’espoir pour qu’enfin renaissent les jours heureux d’antan.

J’avais précédemment lu (et chroniqué) « La 7ème croix ». Je récidive, ici, avec « Hôtel Berlin 43» qui, en queue de comète du conflit, anticipe et tire déjà le bilan d’une fin de règne.

1943 : une année-charnière pour l’Allemagne et ses alliés, une année-bascule entre apogée et fourches caudines. Le nazisme vacille ; qui pour l’enterrer dans l’attente fataliste d’un désastre pressenti ? Personne ou presque n’y croit encore vraiment ; l’espoir/le désespoir s’habillent de non-dits ; certains se ménagent déjà des solutions de replis vers l’étranger.

1943 : Berlin sous les bombes. H24 ou presque. Les raids de jour ne débuteront que l’année suivante. Vicki Baum anticipe. Les tentatives de putschs, dont il sera question dans le roman, n’auront lieu, de même, qu’en 44.

« Hôtel Berlin ». Un cinq étoiles Grand Siècle en écho d’un passé glorieux. Un palace réservé, en ses heures fastes, aux élites financière, politique et aristocratique. Un hôtel grand luxe, au statut diplomatique officieux : des affaires internationales s’y réglèrent ou avortèrent ; le national-socialisme ne fera pas exception à la règle. De l’Empire au nazisme triomphant, par-delà l’espoir suscité par la fragile République de Weimar déchue, une faune caractéristique des époques traversées s’y est agitée. Baum nous en présente quelques exemples.

« Hôtel Berlin » : un palace suranné, à bout de souffle, à l’entretien illusoire (les finances du Reich sont au plus bas, il y a d’autres priorités) ; un bâtiment peu à peu grignoté par la mort venue du ciel. Grand privilège, la haute-société y mange encore convenablement, hors rationnement, quand au-delà de ses murs les civils crèvent de faim. C’est aussi un palace repos du guerrier discrètement offert aux aviateurs revenus du siège de Stalingrad. On y danse, on y chante, on y flirte. On se réfugie dans ses caves quand l’alerte est donnée et que tremblent les murs sous l’assaut des bombes. Y séjourne la race des vainqueurs arrogants d’il y a peu, celle bientôt honnie des vaincus, sous l’œil patient et acerbe d’un petit personnel inamovible qui, peu importe les régnants, se fond dans le décor ou complote discrètement.

« Hôtel Berlin ». Militaires, épouses et petites pépées. Diplomates discrets, allemands ou issus de pays alliés, neutres et affiliés. Gestapistes hautains et arrogants, aux aguets de la tête qui dépasse des rangs. Banquiers, financiers, affairistes, industriels, tous étrangers, de plus en plus réticents à engager de l’argent dans un Reich à vau-l’eau.

« Hôtel Berlin » : L’étau se resserre à quelques mois de l’hallali. Sur le fil des illusions perdues de castes moribondes et de parvenus démasqués, l’hôtel devient un lieu stratégique, un huis clos où disséquer l’implosion en cours d’un régime à l’agonie, le destin d’un peuple promis à la défaite mais qui sera le dernier à savoir. 48 heures durant, comme en équilibre au bord d’un gouffre, se nouent et se délient nombre de destins croisés. S’y jouent à pile ou face les morts par suicide, celles sous le poids des bombes ou des armes, celles des coupables et des sacrifiés sur l’autel de l’aryanisme. La grande comédie de l’amour y prend place aussi, entre deux êtres que tout aurait dû opposer. On n’est pas très loin de l’atmosphère supposée de Sigmaringen au bout du bout de la collaboration vichyssoise.

Le brigadier frappe les trois coups d’un drame de théâtre, de quelques actes sur le plancher du hall, d’une réception où rôde encore la soumission des employés, sur celui des chambres où dans l’intimité se jouent en vain les dernières cartes d’une diplomatie allemande dépassée, avant que la note du prix à payer ne soit présentée.

Quelques personnages de premier plan ou ancillaires :

Arnim Von Dahnwitz : archétype du général à la prussienne, celui de la Wehrmacht et pas de la SS qu’il déteste, toujours d’active sur le front malgré son grand âge, homme de vieille noblesse, au port raide, monocle sous sourcil haussé, bottes claquées sous le fouet du stick, salut hitlérien comme contraint par les circonstances, petite pépée à discrétion, acteur (parmi d’autres) d’un putsch avorté dont il devra rendre compte en toute discrétion …

Lisa Dorn : jeune et belle actrice de cinéma et de théâtre shakespearien (le fait a son importance dans la couleur donnée à sa personnalité) ; remarquée par le Führer alors que, toute jeune, elle lui offrit des fleurs sur le chemin de l’Anschluss ; depuis lors égérie du régime ; nourrie et adulée dans la soie d’un nazisme de façade ; elle n’est plus en prise avec la réalité, enfermée dans une tour d’ivoire tout en théâtralité oblitérant la réalité.

Martin Richter : étudiant, opposant au régime en place ; la Gestapo à ses trousses ; un phare dans la révolte, au bout d’un tunnel sombre ; l’espoir de renaissance d’un peuple sous chape de plomb totalitaire ; presque une légende de la clandestinité. Le voici traqué dans l’hôtel ; quel va y être son destin ?

Von Stetten :  ambassadeur d’Allemagne. L’homme de l’ombre, tout en non-dits et suggestions. L’ultime solution à la défaite, celle diplomatique, loin des combats désormais inutiles et vains. Von Stetten, aussi, apte à régler en douceur le cas Von Dahnwitz saura se montrer Grand Siècle en ces heures d’apocalypse.

Tilli. Un peu Dietrich dans l’ange bleu. Désargentée. Elle n’a d’autre légitimé dans l’hôtel que sa jeunesse, sa beauté, son sex-appeal, sa naïveté, sa joie de vivre, son versant charnel avenant, son empathie pour les jeunes aviateurs en permission. Elle passe son temps à se chercher en vain des chaussures, les siennes sont hors d’usage. Elle semble n’avoir qu’un rôle annexe alors que son histoire, longtemps retenue (et je n’en dirai rien), fait d’elle la grande énigme du récit, presque son point d’orgue.

Ecrit en anglais, aux États-Unis et à l’été 43 (parution US l’année suivante), « Hôtel Berlin 43 » a subi, après guerre, les aléas des rapprochements franco-allemands et les tensions est/ouest ; ce qui provoqua des traductions à géométries variables en fonction des pays destinataires : passages oubliés ou modifiés (ceux peu amènes à l’égard de la population civile du 3ème Reich), noms disparus de personnages, de lieux ou donnés à certains évènement … La présente version en français est issue de la VO en anglais de 44. Vicky Baum avait fait paraitre un autre roman (« Grand hôtel ») en 1931 qui, construit sur le même principe, était axé sur la montée du nazisme. (Peut-on considérer les deux œuvres comme les 2 volets d’un diptyque ?). « Grand hôtel » valut à Baum d’être classée au rang des auteurs interdits et soumit à autodafé. Elle s’exila …


 


7 commentaires:

  1. Et que penses-tu de l'écriture ? Du style?

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    1. Zut. J'ai zappé. Tout découle du chassé-croisé rapide et incessant des personnages un temps à l'avant-scène. J'ai eu l'impression d'une pièce de théâtre: unités de temps et de lieu. Les portraits principaux, y compris les secondaires, sont efficacement et rapidement campés dans l'essentiel (l'empathie ou son contraire sont spontanées); l'auteure, à l'inverse, prend son temps quand il s'agit de décrire l'époque en cours ou d'anticiper un règne nazi en chute libre. Le tout est aisé à lire et vaut le détour.

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  2. Le portrait en une de couverture m'a longtemps troublé/perturbé en cours de lecture. J'y suis sans cesse revenu d'une fin de chapitre à l'autre. Au-delà de la fascination, je ne comprenais pas sa nécessité, pressentie pourtant évidente sans comprendre le pourquoi de sa présence. Je ne parvenais pas à mettre le doigt sur son adéquation avec le thème abordé. C'est probablement le visage de l'iconique Greta Garbo. Un choix éditorial nullement innocent après coup. Derrière son mythique beau regard énigmatique se cache ici celui des hommes et des femmes de cette époque qui n'avaient qu'un crédo: ne rien laisser, jamais, transparaitre de leurs pensées intimes. Question de survie ou d'élégance. Garbo: un regard de femme fatale qui se cache, qui se masque... qui ne livre rien d'elle. C'est Lisa, de son statut d'égérie à celui de rebelle. C'est Tilli au détour d'une vengeance rentrée. C'est le général , c'est le diplomate, les deux confrontés à la nécessité des apparences.

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  3. Bonjour, jeune fille j'avais lu les livres de Vicki Baum, elle nous invite dans des villégiatures qui sont de faux paradis, j'aimais bien le côté international. Je ne me rappelle pas celui-là. Il y a un an ou deux, une amie m'a prêté Dans le jardin de la bête, d'Erik Larson, non pas un roman mais la vie chez l'ambassadeur des Etats-Unis à Berlin, très prenant, extrêmement documenté. Les diplomates et militaires de tous bords ayant écrit pas mal de journaux intimes, on a l'impression que l'auteur est dans les bottes des gars, dans le salon de l'ambassadeur, c'est terrifiant, les soirées où il est tenu de recevoir les uns et les autres ensemble. Sinon un autre livre consacré au nazisme, qui ne ressemble à aucun autre, c'est Rêver sous le Troisième Reich, de Charlotte Beradt. Vous qui avez une fibre fantastique pourriez être intéressé. Comment la dictature entre dans le cerveau des gens, comment la construction de leurs rêves s'y adapte, pendant leur sommeil...
    Je vous remercie de prendre des nouvelles du roman Camarillo, adios les serventies. Une lectrice qui s'appelle Annette l'a beaucoup apprécié sur Babelio et chaque critique de ce genre est une bonne nouvelle pour un roman. Celui-là, est clivant, assez mauvais genre, il a depuis le début suscité des rejets et quelques puissantes adhésions, indice qu'il a une existence forte. Les romans existent aussi pour permettre aux gens de s'affirmer eux-mêmes en s'y opposant. Cette vérité, il faut l'accepter. Les images de la masculinité là-dedans sont plutôt angoissées, intolérables à pas mal de monde. Le prince charmant n'y figure pas...

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    1. Citation : « Rêver sous le troisième Reich, de Charlotte Beradt »
      >>>>> Je ne connaissais pas. J'ai cherché plus avant sur la Toile. La 4 de couv est prometteuse et pourrait, effectivement, m'intéresser. Je vais essayer de le trouver. Je cite in extenso : "Opposante de la première heure au régime hitlérien, Charlotte Beradt (1907-1986) conçut dans une volonté de résistance une étrange entreprise : de 1933 à 1939, elle rassembla 300 rêves de femmes et d’hommes ordinaires pour mesurer combien le nouveau régime malmenait les âmes… Rêver sous le IIIe Reich est un livre exceptionnel, dans la même veine que LTI de Victor Klemperer. D’abord parce qu’il montre avec quelle efficacité le IIIe Reich assassina le sommeil. Ensuite parce qu’il présente de manière inédite, à travers les rêves, la servitude volontaire en régime totalitaire. Enfin parce qu’il révèle que, de façon surprenante, ceux qui ont rêvé sous la dictature ont souvent pressenti les développements du régime totalitaire et anticipé sur les analyses les plus élaborées qui en ont été proposées."
      Je sens que cela va être terrifiant. Rien que de penser que les totalitarismes soient capables de s’approprier l’ultime rempart du rêve ..!(en fait, la plus intime part de notre personnalité, celle qui, peut-être par pudeur, se résorbe souvent à notre conscient même)
      Cela me fait me souvenir d':
      _un titre issu d’un roman (que je n’ai pas lu) de Christopher Stork au Fleuve Noir Anticipation qui colle au propos : « Dormir, rêver peut-être »
      _un passage de « Retour au meilleur des mondes » d’Aldous Huxley, un essai plus qu’un roman. L’auteur y mentionne l’expérimentation sous l’oreiller de messages publicitaires sonores chez des détenus de droit commun. Cela avait été concluant: ils réclamèrent plus de cola.

      Citation : « Dans le jardin de la bête, d'Erik Larson »
      >>>>> je l'avais déjà repéré et il m'est en PAL depuis quelques temps. Ce que vous en écrivez me conforte dans mon intuition. Il est vrai qu’« Hôtel Berlin » s’apparente souvent à une ambassade.

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    2. Citation:"Celui-là, est clivant, assez mauvais genre, il a depuis le début suscité des rejets et quelques puissantes adhésions, indice qu'il a une existence forte." >>>> Oui, l'un ou l'autre, pile ou face, pas d'alternative, les pour les contre. J'aime bien, pour le qualifier plus précisément, le terme "mauvais genre". Je n'y avais pas pensé, cela lui convient tout à fait.

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    3. Auto-citation: "Rien que de penser que les totalitarismes soient capables de s’approprier l’ultime rempart du rêve ..!(en fait, la plus intime part de notre personnalité, celle qui, peut-être par pudeur, se résorbe souvent à notre conscient même)"
      >>>> “Vous ne possédez rien, en dehors des quelques centimètres cubes de votre crâne.” Georges Orwell (1984)

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