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jeudi 2 décembre 2021

Le Train – Georges Simenon

Réédition Livre de Poche d'une VO datée de 1961
 

10 mai 1940. Fumay dans les Ardennes, à deux pas de la frontière belge. L’Allemagne attaque. Une période étrange s’ouvre à l’égale de « la drôle de guerre » qui précède. L’Exode s’amorce sous la poussée du Blitzkrieg. 

Civils jetés sur les routes. Automobiles abandonnées. Carrioles surchargées de bric-à-brac dérisoire. Trains pris d’assaut. Troupes militaires à la ramasse.

Une France en perdition … tout du long d’un été … le plus beau depuis si longtemps.

 Le temps semble suspendu, incertain du lendemain, dans l’attente d’un avenir proche qui ne dévoile rien de ce qu’il sera. Tout est possible, surtout le pire. Chacun vit désormais au jour le jour, au rythme de la fuite en avant. Des millions d’existences semblent désormais entre parenthèses, dans l’espoir fataliste d’une inévitable reddition et d’un hypothétique retour à domicile.

Un jeune couple, les Féron, va traverser la France d’est en ouest. Wagon à bestiaux pour lui, wagon deuxième classe pour elle et leur fille en bas âge. Madame attend un heureux événement et se doit d’être protégée. Les quais de gare bondés se succèdent, les appels sous verrières listent les avis de recherche de personnes perdus dans la nature, l’attente est longue sur les voies de garage, le trajet se fait buissonnier car le convoi n’est pas prioritaire, l’aide humanitaire en bordure de quais mobilise les bons vouloirs. Les avions en piqué mitraillent dans l’axe des convois, la mort venue du ciel distribue ses tickets perdants.

Peu à peu un microcosme se crée à l’échelle du wagon à bestiaux. La cohabitation forcée casse les anciennes règles, de nouvelles s’imposent, de la loi du plus fort à celle du plus débrouillard, de l’incompréhension jalouse à l’entraide calculée ou sincère, de la haine … à l’amour.  Une galerie de portraits d’époque émerge tout le long du voyage, de la paysanne discrète et partageuse à la bistrotière bien en chair peu avare de ses charmes. Simenon va nous faire revivre, dans ses détails quotidiens, cette courte période historique teintée d’incertitudes. On va y retrouver la France des années 40’s sur le fil rouge d’un hexagone traversé de part en part, entre campagne omniprésente et villes perçues depuis les quais.

La première nuit, le train, au gré de manœuvres ferroviaires malheureuses, est coupé en deux. Monsieur, désormais seul, va ressentir, quelques semaines durant, un étrange sentiment de liberté retrouvée … et faire la connaissance d’Anna, une belle taiseuse à l’accent venu de l’est. Qui est t’elle ? Que cache t’elle ? Une histoire d’amour s’amorce, sauf que … Cela ne pourrait être que de l’eau de rose si Simenon n’avait, du thème, fait au final bien autre chose, de bien plus noir, venue des sombres tréfonds de l’âme humaine.

Marcel Féron. Un homme de son temps : réparateur radio, ondes longues ondes courtes, le monde désormais à portée d’oreille. Un être ordinaire, honnête et de confiance, pragmatique, travailleur et s’astreignant à le rester, taillé dans la norme prolétaire de l’époque. Un mariage et des enfants en passages obligés. Un mari sans faille apparente si ce n’est celle, sans obsession, d’une épouse pour qui il ressent bizarrement plus de reconnaissance que d’amour, encore est-ce assez indéfinissable dans son esprit. Un père conscient de ses responsabilités et devoirs. Une vie de famille simple et heureuse, toute tracée ; un avenir sans gros besoins ni objectifs autres que ceux déjà atteints, sans ambition que celle d’assurer (presque par contrat tacite) le confort aux siens.

En contrepartie de cette vie morne et rassurante, le prix à payer semble le gêner, l’insupporter sans que sa conscience n’en effleure vraiment la présence : routine, monotonie, peut-être même ennui, voire vacuité. Ah s’il n’était pas myope au point de s’être fait reformer. Ah s’il n’avait pas connu les longs mois au sanatorium à côtoyer la mort. Ce qu’il vit désormais, sur les rails de l’Exode, ne lui semble pas plus anormal que ce qu’il a vécu à combattre le bacille de Koch. L’Exode devient le révélateur de ce qui lui manque, de ses rêves effacés, des rendez-vous manqués avec sa propre histoire.

Ainsi, alors, en creux, nait en lui le besoin d’autre chose. D’un amour hors-normes, par exemple. Celui qu’il pressent, justement, ne pas avoir encore vécu. Une passion qui éclabousserait le reste d’une vie d’instants inoubliables. Une carte postale amoureuse à l’image de ce qu’il entrevoit de La Rochelle, une ville loin du front, un port, des bateaux pour un ailleurs lointain, vers des iles paradisiaques au-delà de l’horizon, sur un océan sans limites. Peu importent les risques, peu importent les coups de canifs dans le contrat matrimonial, seul compte l’instant, le feu d’artifices qui embrase tout et qui bientôt s’éteindra.

Un personnage à la Simenon, en somme. Un être jusqu’alors bien à l’aise dans une vie sans écueil d’importance, qui à défaut d’être rêvée le rassure. Un « homme nu » qui bascule dans un univers parallèle quand, confronté à l’hors-norme d’une situation inattendue il se doit de trancher. Bientôt disséqué jusqu’à l'os, il se montre enfin sous le vrai jour qui est le sien.

Anna : le point d’interrogation du roman, celle qui ne se dévoile que peu, dont le mystère fait l’attrait. Femme fatale ? Non.. ! Simplement autre, différente, indéfinissable, tissée de regards plus que de mots. Elle est celle qui attire, que les autres vous jalousent. Prisonnière de son passé, venue d’un ailleurs obscur où le silence est d’or et la discrétion un espace nécessaire entre la vie et la mort, elle redoute de casser ses silences qui la démasqueraient. Simenon ne la décrit que peu, il laisse le « je narratif » s’en charger ; Marcel Féron est aux commandes de sa confession, il va se trouver de bien faibles fausses raisons.

Le Train c’est aussi un film de Pierre Granier-Deferre (1973) avec dans les rôles principaux : Jean-Louis Trintignant, Romy Schneider, Régine et Maurice Biraud. Qui mieux que Romy Schneider dans le rôle d’Anna ? Elle transcende son rôle, le magnifie. Sa beauté émerveille, son sens inné du jeu d’acteur fait mouche, sobre et efficace, vrai et émouvant. Son regard touche au cœur, il dit les mots que sa bouche ne prononce pas. L’Anna du roman semble ne pas avoir de visage si ce n’est celui que le lecteur veut bien y mettre, l’Anna en long-métrage porte celui de Schneider ; un remake éventuel s’y cassera les dents. D’autant que l’on sait, maintenant, que ce qu’il lui restait à vivre ne le serait pas sous le sceau du bonheur ; et çà c’est Anna, ses plaies et ses mystères cachés. Trintignant, à demi-mots susurrés et hésitants, tranquilles et sereins, traduit l’ambiguïté de Féron/Maroyeur face à une situation en équilibre incertain.

L’épilogue du long métrage diffère diamétralement de celui du roman. Les ressentis divergent en conséquence. Le spectateur entrevoit un romantisme exacerbé teinté de fatalisme poignant ; sortez les mouchoirs. Le lecteur s’indigne d’une lâcheté tranquillement à l’œuvre, presque sans remords. L’écrivain, une nouvelle fois, plombe le genre humain dans la lignée sombre qu’il donne à ses « romans durs ». L’empathie pour Trintignant, sur le fil de sa décision finale, impose le kleenex au bord de l’œil, mais rassure sur le genre humain ; le dégoût l’emporte concernant celle prise par l’homme-papier. Granier-Deferre à au moins le mérite du panache, de la tête levée face à l’adversité. Au final, si dans le roman Marcel se nomme Féron et Maroyeur dans le film, ce n’est pas plus mal : ce sont au final deux hommes  si fondamentalement différents, mus par des pulsions à l’opposé l’une de l’autre, qu’ils ne peuvent décemment porter le même nom de famille.

Au final, le roman m’est resté dans l’ombre du film. Qu’aurait été mon ressenti sans Granier-Deferre ? Nul doute que la prose et la manière de Simenon, auraient, à elles seules, emporté le morceau. Mais, en réfléchissant plus avant, la dérobade finale du héros-roman ne masque t’elle pas sa principale raison de vivre, celle de préserver sa famille, quitte à sacrifier le grand Amour de sa vie ? N'en est t'il pas un tantinet réhabilité ? Roman complexe que celui-ci, soumis à des ressentis variables en fonction des paramètres internes de chaque lecteur. J’en suis sorti en mode dubitatif « ON » concernant la noblesse d’âme du héros. Mais bon, çà se discute..

3 commentaires:

  1. D'autres chroniques, pêchées de ci de là, apparemment majoritaires, donnent un écho différent du roman, font une large part aux relations charnelles partagées par les deux amants, les présentant comme des instants grappillés à la mort qui guette (je peux comprendre), mais surtout au fait que chacun d'eux sait dès le début que Féron rentrera, trop tôt plutôt que tard, au bercail; alors autant s'en repaitre.

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  2. NB: Simenon, pour des raisons que lui seul peut éclairer mais que certains ont avancés, s'est fait rare dans sa bibliographie à évoquer la Seconde Guerre Mondiale comme cadre principal à ses récits. Il le fait ici par le biais d'un conflit débutant, à une époque non encore incluse dans l'Occupation. L'épilogue se noue entre Anna et Marcel seuls, sans que la Gestapo ou la Milice ne soient vraiment impliquées, sinon par la bande. Granier-Deferre, de son côté, use du ressort de la Milice pour dramatiser son propos et s'ancrer, sans fard, dans une époque trouble.

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  3. Voila un titre que ta description donne envie de dénicher. Je ne saurais pas dire quels sont les éléments qui excitent ma curiosité plus que d'autre mais il a l'air d'être vraiment bien. J'y sens beaucoup de subtilité.

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