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samedi 27 novembre 2021

Les plus belles histoires de Pilote (1970-1974), les années 70

  Dargaud ed. (2013)

        « Pilote» fut un hebdomadaire BD de 1959 à 1974, un mensuel jusqu’en 1989. Il renaitra ensuite sporadiquement, jusqu’à nos jours, sur le fil incertain de parutions ponctuelles et aléatoires. Ce fut d’abord, en sous-titre, « Mâtin quel journal .. ! », puis « Le journal qui s’amuse à réfléchir ». Le voici « qui s’amuse à revenir » en 2013, le temps d’une magnifique évocation de ce qu’il fut. Cinq tomes en rang chronologique, sur le fil d’extraits emblématiques soigneusement choisis (mais non inédits, du moins dans cet épisode). Nous nous intéresserons ici au volume 2 qui courre de 1970 à 1974. Cà tombe bien : c’est l’intervalle de temps pendant lequel je me suis intéressé au périodique.

        C’est un bien beau livre relié qui nous est ici proposé. Sous le parrainage rêvé de Dargaud éditeur (une référence es-BD quand-même), il est construit grand luxe, en format XL (24x31.5 cms). C’est un généreux florilège (220 pages, excusez du peu) d’histoires courtes et de curiosités parues de 1970 à 1974. Elles ont été piochées à l’envie, de ci de là, dans les très nombreux numéros que l’hebdo délivra en cette époque faste et mythique, en son Age d'Or.  L’embarras du choix, semble t’il ? Si ce n’est que certains one-shots ne purent être présentés en raison d’itinéraires éditoriaux inextricables. D’autres extraits, liés de trop près à une actualité d’époque maintenant préhistorique, furent aussi éliminés sous peine de paraitre incompréhensibles car périmés. Ce sont des historiettes BD, détachées en spin-offs des grandes séries mythiques du journal (Achille Talon, Dracurella, Le Génie des Alpages, Philémon … etc) ou strictement indépendantes. Quelques vraies pubs d’époque ont été insérées pour recadrer l’air de ce temps-là dans ce qu’il fut (béta-consumériste). Quelques encarts pubs, souvent pleine page, internes à la revue, ont été ajoutés ; ils annonçaient, en avant-première, pour le numéro à venir, le premier épisode d’une des séries-phares du journal (Valérian, Tanguy et Laverdure, Blueberry ...)

        A l’orée des 70’s. C’était nos 15 ans.

        «Pilote» se dénichait en kiosque ou en tabac-presse, rayon revues BDs (Tintin, Spirou … etc). Tous les mardis matin, le nouveau numéro était à l’étalage. A 10 heures pétantes, allez savoir pourquoi ? Qui, alors, au lycée et à tour de rôle, pour sécher les cours et ramener un lot aux poteaux ? « Pilote », au quart du format de presse quotidienne, était invariablement en rayon dédié le même jour et à la même heure, clignait de l’œil et guettait ses proies consentantes. Y’avait qu’à succomber ..!La revue s’habillait alors aux couleurs de l’arc-en ciel ou de sobre noir et blanc d'encre de Chine sombre, de vignettes et d’onomatopées, de bulles et de phylactères, de rêves dessinés et de promesses graphiques novatrices. Elle décortiquait l’actualité façon potache poète, poursuivait ses séries-phares (Valérian, Achille Talon, Iznogoud, Blueberry … etc), proposait des histoires courtes, affichait à ses génériques successifs des dessinateurs (et scénaristes) si talentueux. Le vent en poupe, succès critique aidant, les poussaient vers des expérimentations graphiques ou scénaristiques souvent probantes et efficaces. Après lecture gloutonne, à froid le lendemain, nous discutions inlassablement des détails:  de la coccinelle en « Rubrique-à-Brac » et de ses apparitions saugrenues et hilarantes en coins de vignettes, du nombre de fois où « Le Concombre Masqué » allait dire « Bretzel Liquide » et le papa de Philémon écrire que « le fond de l’air était Fred ». Tout cela en running-gags que j'avais bel et bien oubliés.

        1970-1974. Cette période signe l’Age d’Or du périodique : celle, pendant laquelle, la ligne éditoriale (définie par René Goscinny) fut, avec succès, de rendre adulte une BD jusqu’alors bien juvénile. Une pépinière de talents féconds y transita quatre ans durant (sans compter ceux qui, avant 1970, étaient déjà là et ceux qui, après 1974, resteront). Ce fut une pléiade de dessinateurs et de scénaristes qui, du zénith à l’implosion douce, se mit à l’œuvre sur tant de pages dédiées au 9ème Art. Certains noms, mouvance « Pilote » sur le déclin, migrèrent vers les successeurs naturels de la revue dans l’espoir d’un renouveau ou d’horizons autres : « Fluide Glacial », « L’Echo des Savanes » et « Metal Hurlant » ; ils y essaimèrent leurs expériences acquises au service de trois nouveaux fleurons naissants de la BD. Une école était née, « Pilote » portait bien son nom, ce fut le journal BD qui, en éclaireur, illumina le chemin. On y sentait les prémisses d’une liberté presque totale à venir. Ce fut ce qu’il advint …

        Que de talents alignés, en voici un listing non exhaustif, centré sur celles et ceux qui m’ont marqué : Giraud/Moébius (sa dichotomie Western réaliste vs SF déjantée), Druillet et ses flamboyances gothiques architecturales, Brétécher et ses crobars faussement simplistes, Gotlib et sa pédagogie animalière si peu académique, Mézières et Christin au service du Space Opera, Alexis (pour qui le temps n’était qu’argent), Greg et son tendon d’Achille, Charlier, Mandryka, Morchoisne et ses caricatures, Lob, Goetzinger, Tabary, Forest, Leconte, Ribera, Caza, Solé… etc.

        Le « Pilote » d’alors n’était pas underground, ne mordait que peu dans la politique, la religion, l’armée, les difficultés économiques ou alors de manière suffisamment allusive et détournée pour n’y laisser rien paraitre. Apparemment apolitique il n’en filait pas moins en douceur sur les chemins de l’après 68. Des signes de ci de là ..! Il ne mettait pas la sexualité au rang d’indispensable ingrédient. D’autres publications s’y consacraient en toute liberté sous caution, pleinement réservées aux adultes celles-ci et conscients de l’être, au premier rang desquelles « Actuel » en prise avec la mouvance hippie. « Pilote » jouait le jeu mainstream qui lui était imposé en tant que publication destinée à la jeunesse. Il ne déplaisait pas aux parents, les rassuraient. « Pilote » se cherchait une responsabilité à endosser, celle d’une publication jeunesse pleinement adulte. Difficile équilibre : beaucoup d’humour potache, de tendresse et de poésie absurde au menu y réussirent pleinement. Le Grand Duduche de Cabu ne rêvait que d’instants romantiques en compagnie de la fille du proviseur. Philemon et Mr Barthelemy, en quête du « A » de l’Atlantique sur une Terre conçue comme une mappemonde, lettres incluses, montraient Fred, l’auteur, au sommet de son absurde poésie. Solé peignait le rock aux flamboyantes couleurs du psychédélisme.  F’murrr montait en alpages, jetant un regard étonnant sur le monde d’en-bas…

        « Pilote » : un regard sans cesse décalé sur les instants d’un monde désormais effacé, dans le respect de ce qui lui était alors imposé. Ce fut, à l’orée de la dernière décennie des Trente Glorieuses, une parenthèse littéraire qui mettait des maux et des remèdes sur le monde, sans y paraitre, et nous permettait de plus d’en rire.

        J’ai ressenti une nostalgie prégnante à parcourir ces 220 pages, à retrouver un monde plus simple, moins creux, moins illogique. L’humour libre, potache, tendre et absurde d’un simple journal BD parvenait à dégoupiller les menaces latentes d’une autre vie à venir, celle pleinement adulte et responsable qui guettait.

        Joli voyage dans le temps que celui, ici, offert. Merci.

 








 

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