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vendredi 29 juillet 2022

Le pigeon – Patrick Süskind

 

Le livre de poche ed., n° 6428, 1987 en VF et VO allemande

 

Dans la bibliographie de Patrick Suskind, après « Le parfum » (1985 en VO) et son sillon odoriférant de thriller historique, cinq ans avant « La contrebasse » (1992) ventrue, encombrante et de ce fait haïssable, il y eut une novella intitulée « Le pigeon » qui, de son court bonhomme de pages, laisse une trace, tour à tour, humoristique et effrayante, atypique et convenue (on y flaire certains novellistes antérieurs tel Aymé, son « Passe-muraille » en fantastique naturel du quotidien). Bref, Süskind fait sourire et terrifie, étonne, épate, surprend tout en se montrant classique dans sa modernité. Une nouvelle fois son talent fait mouche.

« Le pigeon » : on parle ici du volatile de nos cités, œil à clapets, fientes à profusion, jabot dodu et ambré, roucoulades et parades nuptiales sur le fer forgé des balcons. Il ne s’agit pas, au sens figuré, de l’humain grugé, escroqué ou dupé; si ce n’est celui qui a une peur panique du ramier, effrayé sans raison du frou-frou saccadé de ses ailes battantes, de sa saleté supposée, de son envahissement des façades, des cheneaux et des statues.

La chasse est ouverte ; le gibier n’est pas celui que l’on croit.

« Le pigeon », un tout petit livre, 89 pages seulement, léger comme une plume (jeu de mots, superflu mais nécessaire). On ne trouvera pas ici le regard du volatile porté sur l’espèce humaine mais celui d’un homme qui les hait, en a une peur panique, les fuit, les voue à l’holocauste nucléaire du genre et bousille sa vie à leur contact.

Jonathan Noël est une personnalité hors norme dans sa banalité même. Süskind nous le présente à la cinquantaine, faute de n’avoir rien de consistant à en dire avant. Le premier paragraphe le décrit très bien : « il avait derrière lui une période d'une bonne vingtaine d'années qui n'avait pas été marquée par le moindre événement, et jamais il n'aurait escompté que pût lui arriver rien de notable sauf de mourir un jour.  ». C’est un être couleur muraille, un anti-héros en costume du quotidien, un presque fantôme rasant les murs de sa vie, un spectre évanescent, falot et transparent, confiné dans ses habitudes, prisonnier de ses obligations inutiles et soigneusement auto entretenues, pétri de tocs épuisants. Pas d’amis, de relations autres que professionnelles. Il est vigile dans une banque, les maitres mots de son job sont à son image : transparence aux yeux de ceux qu’il surveille, éternellement silencieux dans le brouhaha des lieux, observateur immobile, minutieux et obsessionnel du moindre détail révélateur d’un danger potentiel, du moindre écart dans le ronron de chaque jour sans cesse réitéré.

La phobie des pigeons est, Wikipedia dixit, l'ornithophobie. C’est, plus généralement, la peur viscérale des oiseaux. Jonathan Noël, anti héros ici présent, en est la bien triste et curieuse victime suite, semble t’il, à des traumatismes antérieurs enfouis. D’un fait anodin (un pigeon devant sa porte de chambre, égaré sur le carrelage d’un couloir d’immeuble, une fiente au sol, une plume arrachée engluée dans la déjection) on suit, effaré, la dégringolade psychique d’un homme vers une inutile folie, on assiste à la destruction du patient et instable château de cartes d’une vie déjà fragilisée par ailleurs. Le bougre n’avait pas besoin de çà. Süskind dissèque le syndrome clinique dans ses moindres replis insoupçonnés. Le portrait est surprenant, terrifiant même, dans les recoins sombres d’une vie perdue d’avance.

Fuyant le volatile, Jonathan s’extrait de ses habitudes quotidiennes, à grand peine, aux forceps, se paie l’aventure d’une chambre d’hôtel tout près de chez lui, loin du pigeon détesté. Le temps de quelques jours ou de toute une vie ? Du moins de ce qu’il en reste.

La suite appartient au récit…

3 commentaires:

  1. Lu il y a bien longtemps, je me souviens que j'avais beaucoup aimé.

    Süskind est décidemment très fort pour donner au lecteur à voir le monde par le prisme de psychés extraordinaires, qu'elles tendent à la sensualité ou à la paranoïa.

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    1. J'ai adhéré via le choix délibéré de l'auteur d'accoler au thème minimaliste un style d'écriture presque à l'ancienne, précis, détaillé qui ne laisse rien dans l'ombre. S'y ajoute un homme hors du temps, tout en lui-même, presque auto enfermé dans ce cerceuil qu'est devenu sa vie.

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  2. Pareil que Jim. Lu et beaucoup aimé cet étonnant petit roman.

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