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jeudi 17 novembre 2022

Viper's Dream - Jake Lamar

Rivages/Noir (2021)

 

... de la fin des années 30's à l'orée des 60's: l’ambitieuse, irrésistible et fulgurante ascension au sein de la pègre new-yorkaise d'un jeune afro-américain, 20 ans d’un règne sans partage, son déclin, sa chute ... Le tout sur fond de lynchage, de jazz, de dope et de règlements de comptes sanglants, violents et cruels.

… du cinéma hollywoodien en somme : gangsters et petites pépées, gros calibres en pogne, couteaux à crans d’arrêt ; flics véreux, corruption à tous les étages, luttes de pouvoir …

1936. Clyde Morton, un jeune et naïf « péquenot » d’Alabama, qui à peine arrivé à Harlem, trompette sous le bras, auditionne pour un club de jazz. Il ne montre aucun talent, ses rêves de gloire musicale s’effondrent. Son destin sera autre. La pègre le phagocyte, le voilà tour à tour addict à la marie-jeanne, dealer généreusement rétribué, grossiste ambitieux, chef influent, riche, craint et respecté.

Son surnom, ‘’The Viper’’, du sifflement que ses joints de Marijuana suçotés produisent en bout de lèvres. Un être implacable et inflexible, tout entier tourné vers l’argent et le pouvoir. Sa seule once d’humanité : il ne vend que de l’herbe copine, pas de l’héroïne tueuse, fait exécuter ceux de ses dealers qui en proposent en cachette.

A la périphérie de ses activités lucratives, une femme fatale, Yolanda DeVray, la pulpeuse créole, chanteuse de jazz, la femme de sa vie, celle par qui viendront les mensonges, les emmerdes et la violence.

1961. En fil rouge de flashbacks incessants, la baronne Nika Pannonica de Koenigswater. Ce fut (elle a réellement existé) une héritière Rothschild, une figure authentique du mécénat privé en faveur des jazzmen US. Dans le roman elle accueille un soir chez elle* un Clyde Morton inquiet, semble t’il aux abois. Traqué pour meurtre, il a trois heures pour se rendre, mais la baronne l’ignore. Étonnamment serein et fataliste, il accepte le jeu anodin, proposé par la baronne, des trois souhaits à se faire exaucer. Peu à peu révélés, ils rythmeront symboliquement les moments-clef du drame.

… La suite appartient au récit. Une vie, en flashbacks successifs, s’y déroule alors sous nos yeux, entre regrets, remords, amertume et nostalgie.

En toile de fond : un quartier newyorkais, celui d’Harlem la Noire. Un ghetto dans l’entre-soi racial. Le blanc s’y encanaillant la nuit est accepté tant que son argent coule. Beautés noires aguichantes. Hommes portant beau, costards grand luxe, cheveux lissés et fines moustaches. Prophètes de l’apocalypse en coin de rues. Immeubles de brique rouge, escaliers extérieurs comme autant d’exosquelettes mobiles. Nuit et jour, bruits de rue, coups de klaxon, foule grouillante et bourdonnante. Eclats de jazz, de voix, de cris et de rires. Un brassage continuel de destins croisés. Richesse et misère côte à côte. Des lieux mythiques, des salles de jazz connues du monde entier, des clubs célèbres, des rues et des avenues entrecroisées … Jake Lamar, l’auteur, dresse d’Harlem une carte postale coup de cœur, colorée, bruissant de vie, nostalgique d’une époque révolue.

Le jazz est partout, de page en page, en background sonore omniprésent **. C’est la grande force du roman. Lamar rend un vibrant hommage à ses génies (Davis, Ellington, Gillespie, Armstrong, Coltrane … etc), à ses anonymes perdus dans les shoots d’héroïne, à ses temples ancrés désormais dans la postérité. Entrent en scène, sous le feu des sunlights, le swing puis le be-bop, les bigbands et les formations restreintes, les icones du scat, les crooners, les instrumentistes virtuoses, tout un monde de fééries sonores.

« Viper’s Dream » c’est aussi le Harlem de la Marie-Jeanne qui inspire les jazzmen ; celui de l’héroïne qui les tue. Une époque charnière entre drogues douces et dures. Un avant, un après. Un pas de plus vers l’enfer des junkies.

Le roman revisite le thème maffieux du bad boy au grand cœur, celui que le lecteur adore détester ou déteste aimer entre empathie irraisonnée et rejet féroce et haineux. Du tueur cruel et implacable à l’amoureux fleur bleue, transi et naïf, le héros de papier cousine avec son clone cinématographique. Déjà vu et déjà lu interfèrent, brouillent la perception du roman, en efface la singularité. Il y a mieux ailleurs ; mais le plaisir est toujours là, celui de replonger dans les archétypes d’un genre porteur et prolifique. « Viper’s dream », n’est t’il pas, après tout, qu’un roman de plus sur le thème ?

Au-delà des personnages archétypaux, des scènes-type, des clichés réitérés d’un genre qui fit recette, « Viper’s dream », en reprenant des ingrédients précédemment aux menus d’œuvres romanesques et cinématographiques cultes, n’innove finalement que peu.

Je m’en fous, j’ai aimé. Encore et toujours …

« Viper's Dream » fut, de première intention, un feuilleton radiophonique quotidien. Diffusé sur France Culture en mars 2019, il comporte 10 épisodes d'une vingtaine de minutes**. Le roman (2021) en est la novellisation, ce qui explique sa rapidité de lecture via la large place accordée aux dialogues. Peu de différences d’un média à l'autre : l’audio est en « je narratif », le roman ne l’est pas, les scènes ne sont pas chronologiquement agencées de la même manière. L’écoute vaut le détour mais spolie totalement l’intrigue.

 

* Elle habite « Cathouse », une grande maison où elle héberge une centaine de chats, des jazzmen dans la dèche pour une nuit, pour une vie (Thelonious Monk) ou pour y mourir (Charlie Parker).

**A noter qu'il existe une playlist sur "you tube" dédiée au feuilleton.  https://www.youtube.com/watch?v=zre0u5XyNfY&list=PLXwzf1Pu1Z7QKXMh0tLitC5TiRHnZkYDu

*** https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-viper-s-dream-de-jake-lamar

 


 

1 commentaire:

  1. Je m’autocite : « [Clyde Morton] … accepte le jeu anodin, proposé par la baronne … [Nika Pannonica de Koenigswater] …, des trois souhaits à se faire exaucer.». En cours de lecture de Viper’s Dream, j’ai pris ce détail pour fantaisie romanesque. Or, en avant-propos de « Mystère Monk » chez Seghers Ed., Franck Médioni nous parle de Thelonious face à la même question et de ses réponses qui, en compagnie de nombre d’autres, nourriront un ouvrage intitulé « Les musiciens de jazz et leurs trois vœux ».

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