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jeudi 8 décembre 2022

La Nuit des Généraux - Hans Hellmut Kirst (le roman); Anatole Litvak (le Film)


Robert Laffont Ed., collection « Pavillons », 1963

 

           Qui se souvient du long métrage qu’Anatole Litvak adapta en 1967 de « La nuit des généraux », un roman signé Hans Hellmut Kirst en 1963 ? Dans une atmosphère trouble, malsaine, presque nauséabonde on trouvait, dans les rôles principaux, un Peter O’Toole rien moins qu’inquiétant voire effrayant, troublant, dérangeant et glacial ; un Omar Sharif aux intentions énigmatiques, obstiné, téméraire et obsédé par la Vérité et la Justice ; un Philippe Noiret (Prévert dans le roman, Morand dans le film) opportuniste, mais semble t’il du côté clair de la Force. J’avais vu (et revu) le film, me promettant de lire le roman dès que l’occasion se présenterait. Si le synopsis est peu crédible (quoique certains lui accorde un pan d’authenticité), de gros morceaux de suspense collent au récit, le tout vire au page-turner frénétique, on a hâte d’enfin savoir. La belle trouvaille est d’avoir habillé le récit de la Grande Histoire en marche. Voici le livre enfin sous mes yeux, en édition française originale qui plus est, paru chez Robert Laffont, collection « Pavillons » (1963).

Qu’en est t’il, à mon goût, du parallèle roman/long métrage ?

Le film est assez fidèle au roman, si ce n’est que la partie finale (même si la mise en abime finale est inchangée) est remodelée, heureusement simplifiée via une tournure autre des évènements. Là où Hans Hellmut Kirst a, pour conclure, convoqué la RDA de la Guerre Froide et son appareil policier, militaire et diplomatique complexe, Anatole Litvak nous invite, post WW2, au traditionnel banquet nazi à l’issue fatale, à l’heure où se règlent les comptes. Ma préférence va au choix brutal du réalisateur quand le romancier se perd dans des circonvolutions inutiles de roman d’espionnage.

Premier niveau de lecture. C’est un thriller historique. Les uniformes allemands de la seconde guerre mondiale sont de sortie. Version état-major supérieur s’entend, ou presque; on suit des hauts gradés; la piétaille n’étant que chauffeurs, ordonnances, coiffeurs, serveurs, téléphonistes, grooms … point de combattants, ou presque (la mort légale est en périphérie). Les lieux : des palaces réquisitionnés, des boites de nuit, des boites de jazz, des restaurants huppés, des musées … A Varsovie (1942), à Paris (1944) et à Dresde (1956, à Hambourg dans le film), trois généraux allemands, Tanz, von Seydlitz-Gabler et Kahlenberge sont suspectés d’avoir lardé de coups de couteaux trois prostituées, à trois dates différentes et dans trois villes distinctes (sacrées coïncidences, isn't..!). Lequel des trois à chaque fois ? Le major Grau, de la Sécurité Militaire, mène l’enquête contre vents et marées ; mais tout se complique quand tout se brouille dans l’espace guerrier omniprésent et quand le pouvoir militaire est souvent synonyme d’auto-impunité totale 

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            _  « Voici les noms de trois généraux. Je veux les renseignements complets sur eux.

            _Complets, c’est peut-être trop demandé. Sur quoi en particulier voulez-vous être fixé ?

            _L’un d’eux a commis un meurtre.

            _Un seulement. Mais le meurtre est l’occupation de tous les généraux.

            _Alors disons que ce qui est admirable sur une grande échelle est monstrueux sur une petite. Comme il faut que les meurtriers de masse soient décorés, essayons d’appliquer la justice aux petits entrepreneurs ».

            (Court dialogue extrait du film ; je ne sais plus si on en trouve l’équivalent dans le roman, ni aussi où l’y chercher quand les deux médias ne suivent pas, à coups de flashbacks, la même linéarité scénaristique)

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Un rapprochement est à faire avec "les  âmes grises" de Philippe Claudel: pourquoi rechercher un banal assassin de fait-divers quand la Boucherie de masse des tranchées est légitimée par l’état de guerre ?

Von Seydlitz-Gabler (sa femme, sa fille) est un aristocrate à l’ancienne, il mène grand train (comme le veut son rang) dans les pays occupés ou annexés ; pleutre, jouissif et opportuniste, il avance sans cesse dans le sens du vent. Le second, Kahlenberge, plus effacé, prend discrètement part au complot visant Hitler le 20 juillet 1944. Le dernier, Tanz, cruel et fanatique, est l’archétype de l’officier supérieur de la Wehrmacht, obnubilé par le strict respect des ordres qu’il reçoit et ceux qu’il donne ; il est en constante recherche de la Gloire militaire qu’il se sent mériter (peu importe le prix que paient les soldats sous ses ordres).

« La Nuit des généraux » (le roman) est surtout, en deuxième niveau de lecture plus subtil, une étude de mœurs militaires en temps de guerre. Luttes d’influence de salon (la défaite se profile, comment parer aux conséquences). Intrigues (comme) de cour royale où règnent le mensonge, l’hypocrisie, les phrases à double sens, les sous-entendus complexes à décrypter, les mots-clés, les discussions en « trompe-l’œil ». Partout, derrière les faux-semblants d’actes et de paroles, se sent la défaite à venir. Agir, pourtant, comme si de rien n’était et que le Reich vivait encore ses plus beaux feux. Le milieu décrit est vérolé, usé par toutes ces années perdues, à bout de souffle ; on le sent suspendu dans l’instant, en attente fataliste de l’inévitable, comme si de rien n’était. Obsolescence historique programmée.

On a reproché à O’Toole de trop en faire. Au final, il ne sur-joue que peu quand, sur le fil du roman, il charrie le même charisme inversé et que le lecteur frémit tout autant au rythme des mots que le spectateur au vu des images. Noiret, doucereux (çà lui va si bien), nonchalant et prudent, avance ses pions entre Collaboration et Résistance ; on ne lui en veut pas, il est au final le glaive de la justice. Omar Sharif emporte l’empathie malgré son jeu trouble et ambigu.

Seul bémol, la prose à l’œuvre ne coule pas de source, elle se mérite parfois. Servant un thriller page -turner fébrile, on s’attend à plus de fluidité. Elle est heurtée quand se faufilant dans les lentes arcanes du pouvoir elle demande plus de subtilité. L’auteur, au service de son projet ambitieux, a suivi tant de lièvres à la fois (une intrigue policière sur les traces d’un sadique, un fragment complexe de l’Histoire européenne, une étude de mœurs militaires) qu’il semble parfois perdre le fil de ses ambitions d’origine ou du moins ne plus en avoir vraiment les moyens.

N'empêche, c’est du bon ; la lecture vaut le détour. Le film aussi, tout autant.




1 commentaire:

  1. Découvert le film (en DVD) assez récemment (un ou deux ans). Oui, j'avais apprécié que, au final, ce soit un policier français qui finisse le boulot... dans ce qui apparaît comme un bon "polar" sur fond de temps de guerre.
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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