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mardi 6 décembre 2022

Paris, Texas - Ry Cooder (B.O.F.)(1985)

   


 "Paris Texas": un film de Wim Wenders, une musique signée Ry Cooder. Qui ne l'a pas vu (voire revu), qui n'a pas été scotché par sa B.O.F. ?

    C'était en 1984. Cà remonte, isn't..! Près de 40 ans maintenant. Bongu, plus d'une demi-vie ! Qu'y faire, sinon se souvenir de l'instant fabuleux du premier visionnage ? Le synopsis, depuis, s'est enfui de ma mémoire; mais la musique m'est restée, immortelle, rémanente, quasi cicatricielle en tatouage sonore sur les tympans. Chaque note parait posée dans l'air, sur une partition invisible, parallèle à cette route rectiligne qui, venue de nulle-part, repart vers nulle-part. Quelques mélodies simples et belles, venues tout doucettement, tranquilles et ouatées, inspirées et magiques, qui l'air de rien s'imposent et perdurent au fil des ans; ce ne sont pas des chef d’œuvres de composition (mais d'interprétation, si). Elles ne sont jamais reparties dans l'oubli, se sont intégrées au rang des airs qui tapent l'incruste, que l'on entend encore et encore sans que la lassitude s'impose. La recette de Ry Cooder: simplicité et sincérité. Un coup de génie, intimiste et poétique, épuré, minimaliste. Pourquoi faire compliqué ?

    Qui se souvient du long métrage "Ascenseur pour l'échafaud" de Louis Malle en 1958 et plus précisément de la bande-son signée Miles Davis ? Le trompettiste, seul, est en impro (presque) totale face à la toile blanche sur laquelle défilent quelques images du film. Un extrait vidéo de la séance d'enregistrement montre Jeanne Moreau déambulant dans les rues de Paris pendant que le musicien improvise. Magie de l'instant, la spontanéité fait remonter une courte parenthèse sonore comme bénie des dieux. Ry Cooder reprend l'idée, use d'un grand écran sur lequel passe le film de Wim Wenders; le musicien se laisse porter, s'imprègne des paysages. Le cornet de Miles Davis et la slide guitar de Cooder sont unis dans une  même intention, celle de sauvegarder l'instant brut, les sensations premières les plus pures. On entend le bottleneck glisser sur les cordes et heurter les frettes comme jadis les bulles de salive éclataient en bordure des lèvres de Miles, au contact de l'embout de sa trompette.

    Le soundtrack de "Paris, Texas" est court (de bout en bout 33 minutes à peine). Un foutage de gueule ? Surtout pas ! Rien ne dépasse, tout est essentiel et suffisant. On a d'emblée l'impression que la beauté ne sera qu'éphémère, qu'il convient donc d'en apprécier chaque instant avant qu'elle ne s'évapore à jamais dans l'air brulant tels ces mirages flottants au loin en ras de bitume noir. Les morceaux sont brefs, ramassés, concis, filant vers l'idée première. Ry Cooder chope l'instant à l'apex de l'intention, ne pas le laisser s'enfuir comme ces poignées de sable en creux de paume serrée qui grain à grain inexorablement s'échappent jusqu'à ne plus rien laisser; ne pas le retravailler en post production, se contenter de la sincérité et de spontanéité du son brut, premier.

    La musique nous parle du désert texan, exacerbe la permanence solitaire et immobile de ses paysages, amplifie les vibrations fébriles de l'air surchauffé. Elle enrobe le silence minéral des lents glissandos du bottleneck qui semble frotter les pierres sèches du désert. L'air vibre, on en perçoit les pulsations dans les vibratos fragiles et délicats en queue de glissandos stridents. On entend les brefs artéfacts involontaires des heurts du tube d'acier sur les frettes, métal sur métal, fragilité accidentelle de l'instant. Vire-voltent les buissons d'épineux roulés par le vent sec et brulant. La peau rocailleuse du désert semble raclée par le rabot des bourrasques.  Un ruban de bitume oscille au loin dans un mirage flottant.

    De plage en plage, de simples lambeaux instinctifs de glissandos au bottleneck, loin de la musique de film habituelle qui noyée dans la masse ne s'entend guère au final, offrent des ponctuations sonores fragiles et cristallines qui prennent peu à peu tout l'espace. 

Chef d'oeuvre.

Illustration sonore

11 commentaires:

  1. A rapprocher de Bagdad Café (la B.O.F.) qui, via "J'm calling you", quoi que plus simple parait bien moins instinctif.
    A noter que la chro fait l'impasse sur deux titres: "Cancion Mixteca" et "J knew these people" qui n'abordent pas les rivages de la steel guitar. La première est d'atmosphère latino-mexicaine, la seconde emprunte, semble t'il, à un dialogue entre acteurs ou à un extrait du film.

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  2. >> "C'était en 1984. Cà remonte, isn't..! Près de 40 ans maintenant. Bongu, plus d'une demi-vie ! Qu'y faire, sinon se souvenir de l'instant fabuleux du premier visionnage ? Le synopsis, depuis, s'est enfui de ma mémoire; mais la musique m'est restée (...)"

    Premier visionnage au début des 90s, en ce qui me concerne (suivi d'autres, car j'avais aussitôt enregistré le film en VHS).
    Souvenir marquant ; des images imprimées durablement dans ma mémoire : le désert américain, Harry Dean Stanton (et sa casquette rouge), Nastassja Kinski (et son pull, rouge également).
    Et si je ne peux convoquer à volonté la musique de Cooder, ça ne tient aucunement à sa qualité (c'est une merveille...) mais à mon esprit, plus tourné vers l'image que le son.
    Elle a ce pouvoir qu'ont les grandes musiques de film : il suffit aux spectateurs d'hier d'en réentendre trois notes et ils revoient les images, se souviennent (revivent, presque !) les émotions passées.


    PS : j'associe le nom de Ry Cooder à un autre bon souvenir : "Buena Vista Social Club". Cooder a fondé ce groupe pour promouvoir des guitaristes cubains (et ouest-africains, mais ces derniers n'ont pu venir à La Havane) et son ami Wenders y a consacré un documentaire. J'ai vu celui-ci dans une séance de cinéma en plein air, un soir d'été à Bordeaux, et ça m'avait beaucoup plu (alors que la musique cubaine m'était totalement étrangère).


    PPS : je réalise que Cooder a signé la B.O.F. de "Sans retour" ; il va falloir que je me repasse ça, en haussant le volume, pour voir comment ses accords se fonde dans ce suspense en territoire cajun.

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    1. Je n'ai pris vraiment pris bon goût à Ry Cooder que tout récemment, en laissant tourner jusqu'à plus soif "Into the Purple Valley" sur la platine CD et en remarquant qu'il convoquait certaines musiques du monde à son trip et les ramenait, guest-stars aidant et surajoutées, à sa manière bluesy de jouer de la slide. C'est sans doute cette façon de jouer qui me poussera vers d'autres horizons musicaux (La musique cubaine, entres autres, que je connais pas et pressens plus qu’intéressante). Cà doit me travailler car je viens de chroniquer un petit bouquin (+ audio) pour enfants, délicieux et malin, qui tourne autour de la musique cajun et qui m'a vraiment plu. N'empêche, ainsi, la musique de Cooder est fabuleusement riche, profondément attachante et j'ai été bien bête de ne pas l'avoir constaté plus tôt.

      https://bodrumplak.com/wp-content/uploads/2021/10/IMG_3717-scaled.jpg

      Au rayon des B.O.F. il y a aussi "Crossroads" en 1985 signé Walter Hill (écoutée, mais film jamais vu)

      Question: "Sans retour" c'est "Southern Comfort" ? Ecoutable sur You Tube. Je ne connais pas (ni de son ni d'images).

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    2. "Sans retour", c'est bien "Southern Comfort".

      (j'ai le film en dvd ; je me le repasserai d'ici la fin de l'année, pour écouter la musique sur les images.)


      PS : merci pour tes liens, par ailleurs.

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  3. Salut, et très bonne année 2023 !

    Je reviens sur le sujet Ry Cooder pour signaler que le film de Wenders sur le "Buena Vista Social Club" sera diffusé sur France 4 le mercredi 11 janvier à 21 h 10...

    @+

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    1. Bonne année à toi en retour (et bonne santé)
      Merci pour le renseignement. Je serai donc devant mon écran le jour dit et à l'heure dite. Le sujet devrait m'intéresser. Je laisserai un mot ici en conséquence.

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    2. Vu, écouté et largement apprécié (merci, Jim, d'avoir pensé à mon intérêt potentiel pour le sujet). Une belle réussite, vraiment: la manière documentaire de filmer au contact proche des participants, de se poser en spectateur, de prendre une place en retrait, en attente de l'instant significatif, touchant, représentatif ... Wenders se montre témoin de passage quand son film semble avoir suscité à sa sortie un revival du genre musical considéré. Cooder m'a surpris dans son positionnement humble, il est un parmi les autres, au service du collectif, sans esbroufe, dans l'esprit premier de la musique cubaine des 30's, 40's et 50's (je ne la connais que peu, çà donne envie de pousser l'oreille plus loin).
      Le tout m'a remis en mémoire un instant musical (de moindre portée mais d'intention presque identique) concernant le blues: les musiciens blancs de Canned Heat se mettant au service de John Lee Hooker le temps d'un instant unique ( l'album "Hooker n' Heat").

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    3. https://www.youtube.com/watch?v=tGbRZ73NvlY&list=OLAK5uy_n7Ax9WNKAuQVwrnzKHsRZtHGzEcxEDVnY

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    4. Content que ça t'ait plu !

      Tu décris bien la position de Wenders et Cooder ; c'est la musique et le groupe qui sont mis en avant.

      (Elle est emblématique, la chanson que tu mets en lien... C'est celle qui avait été choisie pour la bande-annonce du film.)

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    5. Citation: "Elle est emblématique, la chanson que tu mets en lien... C'est celle qui avait été choisie pour la bande-annonce du film" >>> Elle est MAGIQUE (majuscules essentielles) et porte un sacré élan dynamique (d'un futur espéré renaissant) ET nostalgique (d'une ère qui n'est plus). Toute la portée souhaitée au film. Bref, elle tourne et tourne et tourne en boucle depuis quelques jours sur ma machine à sons. Je vais chercher le CD (ou mieux: le vinyle).
      De plus j'entrevois Cooder d'une autre oreille, son rôle ne semble pas qu'anecdotique comme entrevu de premier abord, va me falloir creuser plus avant dans sa discographie.
      Merci Jim, pour ce précieux fil car comme tu le soulignes ailleurs: "Je déteste les discussions, elles vous font parfois changer d'avis."

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    6. La Havane un tantinet décrépie, humaine et fière; en chair, béton chaud et voitures comme de ronds bonbons roses; une ville-soleil; belle, sensuelle et décalée, heureuse ...
      New-York flamboyante et orgueilleuse, Carnegie Hall, statue de la Liberté, promenades aux pieds des gratte-ciel et lèche-vitrines étonnés ...
      Le film, à la congruence des parallèles, invite à un bien beau voyage presque hors du temps, à une tendre plongée merveilleuse où passé, présent et futur se mêlent et s'embrassent. On y retrouve le sourire et la douceur de vivre et de revivre.
      Merci Mr Wenders.

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